Témoignages : Le choléra à nouveau en progression

Avec la pénurie de vaccins anticholériques oraux (VCO), il est de plus en plus difficile d’endiguer les épidémies de choléra.

  • 24 juin 2024
  • 6 min de lecture
  • par Ian Jones ,   Charlotte Mbuh
Des agents de santé font du porte-à-porte pour inciter les enfants et les femmes enceintes à prendre le vaccin oral contre le choléra. Crédit : Taphurother Mutange/Programme pour la vaccination à l’horizon 2030
Des agents de santé font du porte-à-porte pour inciter les enfants et les femmes enceintes à prendre le vaccin oral contre le choléra. Crédit : Taphurother Mutange/Programme pour la vaccination à l’horizon 2030
 

 

Le choléra est un véritable fléau pour l'humanité. Depuis le début des années 1800, sept pandémies ont balayé le monde, faisant des millions de victimes. La pandémie la plus récente, qui a débuté en 1961, est toujours en cours, avec des fluctuations. La recrudescence des épidémies, qui touchent actuellement au moins 29 pays, de l'Afghanistan au Zimbabwe, est due à une combinaison de facteurs, parmi lesquels la pauvreté et le changement climatique.

Les épidémies ne sont pas seulement plus nombreuses, elles sont aussi plus importantes. Cette crise sanitaire ne montre guère de signes d’accalmie : le nombre de cas de choléra a plus que doublé entre 2021 et 2022 pour atteindre 473 000, et les données préliminaires indiquent une nouvelle augmentation importante du nombre de cas en 2023, avec plus de 5 500 décès entre le début de l'année 2023 et le 14 mars 2024.

Le choléra se propage principalement par l'eau contaminée, de sorte que l'amélioration de l'assainissement et de l'accès à l'eau potable constitue à terme le meilleur moyen de prévention. À court terme, la vaccination peut offrir un degré élevé de protection. Mais hélas, la demande mondiale dépasse largement l'offre, du fait de l'augmentation récente du nombre de cas et du manque de capacités de production des vaccins anticholériques oraux.

La vaccination orale contre le choléra figure parmi les sujets abordés lors de la huitième édition de Teach to Reach: Connect organisée par la Fondation Apprendre Genève (The Geneva Learning Foundation - TGLF), dont le compte rendu est disponible en ligne. Les événements organisés dans le cadre de Teach to Reach permettent aux agents de santé des pays du Sud global de partager leur expérience avec leurs pairs, et d’apprendre les uns des autres.

The Cholera Outbreak intervention, isolation, and treatment centre. We always focus on community vaccination against six killer diseases before the peak period and emergency situation.” Credit: Aliyu Muhammad/Movement for Immunization Agenda 2030
Aliyu Mohammad au centre d’intervention, d'isolement et de traitement du choléra en réponse aux épidémies. « Nous insistons toujours sur la nécessité de vacciner les communautés contre les six maladies mortelles avant le pic épidémique, sans attendre d’être confrontés à une situation d'urgence. »”
Crédit : Aliyu Muhammad/Mouvement pour la vaccination à l’horizon 2030

De nombreux participants de Teach to Reach 8 ont montré comment les pénuries d'approvisionnement au niveau mondial ont affecté les programmes locaux de vaccination orale contre le choléra. Dans certains pays, le schéma vaccinal classique à deux doses a été remplacé par un schéma à dose unique, conformément aux recommandations du Groupe international de coordination (GIC) qui gère l’approvisionnement d’urgence en vaccins. L'administration d'une seule dose de VCO suffit à assurer une protection immédiate, mais cette protection n'est pas aussi durable qu'après l'administration de deux doses. Les participants ont également noté qu’il leur avait fallu prendre des décisions difficiles pour définir les groupes à vacciner en cette période de pénurie.

« Les principales cibles pour la vaccination sont les populations à risque élevé d’exposition au choléra, selon l’analyse des épidémies antérieures. Si le nombre de vaccins disponibles est limité, seules des sous-populations particulièrement vulnérables (enfants en âge préscolaire ou scolaire, femmes enceintes, personnes infectées par le HIV et personnes âgées) peuvent être sélectionnées en raison d’un risque particulièrement élevé d’infection et/ou de mortalité ».

– Martince Yuma Zahera, agent de santé communautaire travaillant dans un établissement de santé, RDC

Les participants ont partagé leurs points de vue sur les stratégies et les plans de lutte contre les épidémies. La vaccination peut être effectuée par des équipes fixes, des équipes mobiles ou des équipes faisant du porte-à-porte. Elle se fait généralement dans le cadre de campagnes intégrées, ce qui nécessite une bonne coordination entre les différentes autorités, des partenariats de travail et une microplanification rigoureuse. Les campagnes sont souvent associées à des mesures visant à améliorer l'accès à l'eau potable ou à fournir des moyens de purification de l'eau.

« Nous avons fait du porte-à-porte, mis en place des stratégies de vaccination sur site fixe, distribué des pastilles de purification de l’eau et désinfecté des puits et d'autres zones à risque. »

– Dr Ndifontiayong Adamu Ndongho, ministère de la Santé au niveau du district, Cameroun

Il est difficile d’atteindre les populations déplacées ou nomades, qui sont généralement exposées à un risque accru de choléra. Il a fallu aussi résoudre des problèmes pratiques, notamment la taille des boîtes utilisées pour le transport et la distribution du vaccin - ce qui rappelle les problèmes auxquels sont confrontés quotidiennement les professionnels de santé.

« La principale difficulté, c’était le manque de place. Pour les établissements équipés de réfrigérateurs de petite taille, le stockage pose un réel problème ».

– Mary Wanjiru Kamau, infirmière de district, ministère de la Santé of Health, Kenya

Le vaccin oral contre le choléra est généralement utilisé en cas d'épidémie, mais les participants ont noté la persistance d’une certaine résistance à son utilisation dans les communautés, et de craintes quant à son innocuité. Quand les épidémies de choléra ont éclaté pendant la pandémie de COVID-19, beaucoup se sont imaginé que les campagnes de vaccination avec le VCO relevaient d’un stratagème pour écouler le vaccin contre la COVID-19.

« Le vaccin contre le choléra a été rejeté par beaucoup sous prétexte qu'il s'agissait du vaccin contre la COVID-19, mais présenté sous une autre forme ».

– Lamine Mahamat Seid, agent de santé communautaire, ministère de la Santé du Tchad

Les participants ont fait part de diverses stratégies utilisées pour renforcer la confiance et encourager la population à se faire vacciner contre le choléra. La mobilisation des chefs communautaires et autres personnalités influentes a été considérée comme essentielle pour obtenir le soutien de la communauté.

« Nous avons commencé par collaborer avec les chefs traditionnels locaux pour montrer le bien fondé du vaccin et les résultats obtenus avec lui à d'autres endroits. Nous leur avons expliqué que, comme tous les vaccins, le VCO peut avoir des effets secondaires mineurs qui disparaissent en moins de 48 heures. Mais si jamais il y a des manifestations graves, nos services pourront s’en occuper dans les structures de santé les plus proches. D'un commun accord, nous avons pris l’option de commencer à nous faire vacciner nous-mêmes, devant le public, les autorités politiques et administratives locales et les membres des familles des équipes de vaccinateurs. Cela a suscité l'envie de se faire vacciner parmi nos populations cibles et, au final, nos résultats ont été satisfaisants parce que nous avions maintenu une communication permanente en utilisant tous les canaux accessibles à chaque communauté ».

– Ouedraogo Lassane, agent de santé, ministère de la Santé national (central), Burkina Faso

L'auto-administration du vaccin oral conte le choléra a également été proposée pour rassurer les communautés sur la sécurité du vaccin. D'autres stratégies ont été évoquées, notamment la communication sur les conséquences de la maladie et le recours à des agents de santé communautaires jouissant de la confiance de la population pour établir le dialogue avec elles.

Muslim Muhammadi vaccinating a child with the oral cholera vaccine in January 2022 at the Zurmi LGA of Zamfara State, Nigeria. In response to the cholera outbreak, I support immunisation activities of all types on the state.” Credit: Muslim Muhammad Ladan Maru/Movement for Immunization Agenda 2030
Janvier 2022, zone de gouvernement local de Zurmi, État de Zamfara (Nigéria) : Muslim Muhammadi administre le vaccin oral contre le choléra à un enfant. « En réponse à l'épidémie de choléra, je soutiens des activités de vaccination de toutes sortes au niveau de l'État ».
Crédit : Muslim Muhammad Ladan Maru/ Mouvement pour la vaccination à l’horizon 2030

« Nous avons rencontré des difficultés avec les parents qui refusaient de se faire vacciner et empêchaient leurs enfants de faire de même. Nous avons dû les convaincre de l'importance du vaccin en leur faisant d'abord comprendre la gravité de l'épidémie, en attirant leur attention sur les cas mortels et en leur montrant des photos de personnes malades. Nous avons fait appel à des agents de santé communautaires en qui ils avaient confiance pour mieux les sensibiliser à l'importance de la vaccination ».

– Ilunga Kikunga Jean Paul, gestionnaire de données au niveau du district, ministère de la Santé, RDC

La participation des communautés présente également d'autres avantages : cela permet, par exemple, de rappeler l'importance des bonnes pratiques en matière d'eau potable, d'assainissement et d'hygiène (WASH, pour water, sanitation and hygiene) dans la prévention de la transmission des maladies. Parmi les activités innovantes évoquées, on peut citer l'utilisation du théâtre pour mobiliser la population.

« Les éléments facilitateurs comprennent une bonne mobilisation sociale, la collaboration avec les chefs traditionnels, une bonne microplanification, la volonté politique des autorités locales, un encadrement attentif, un bon plan de gestion des données, des réunions de coordination quotidiennes sans discontinuation et une parfaite communication ».

– Samuel Majang Mut, ministère de la Santé au niveau régional, Soudan du Sud

Un seul fabricant produisant actuellement le vaccin anticholérique oral, les pénuries risquent de persister. À moyen terme, on cherche à transférer la technologie à d'autres fabricants, afin d'augmenter la production du vaccin. À long terme, l'amélioration de l'assainissement et de l'accès à l'eau potable est certainement le moyen le plus efficace de lutter contre le choléra.

En attendant, la mise en relation des agents de santé qui tentent de faire face aux épidémies de choléra constitue un moyen précieux de faciliter le partage d'expériences et de conseils pratiques, et les aide à tirer le meilleur parti d'une situation difficile.


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