Marquée par les épidémies passées, Madagascar est prête à barrer la route au choléra

Madagascar est à nouveau confrontée à la menace du choléra, avec une épidémie dévastatrice sévissant dans les pays voisins. Mahajanga, toujours marquée par le traumatisme d'une épidémie en 1999 ayant coûté la vie à plus de 1 500 personnes sur l'île, se trouve à la première ligne de défense. La ville côtière tire des leçons cruciales de son passé douloureux pour faire face à cette nouvelle menace.

  • 5 mars 2024
  • 6 min de lecture
  • par Rivonala Razafison
Le Canal Wallon de Mitzinger à Mahajanga. Crédit : CUM
Le Canal Wallon de Mitzinger à Mahajanga. Crédit : CUM
 

 

Des mesures préventives drastiques

Jusqu'à présent, aucun cas, même suspect, n'a été déclaré à Madagascar. Cependant, une grande vigilance est de mise pour Mahajanga, la capitale régionale de Boeny, et le littoral nord-ouest de l'île, en particulier en raison de leur proximité avec l'archipel comorien. Les frontières sont sous haute surveillance depuis fin janvier 2024, suite à la confirmation de cas de choléra, dont six décès, importés de la Tanzanie aux Comores.

Le voyage en bateau entre Mahajanga, une ville de presque 300 000 habitants, et Dzaoudzi, située à Mayotte, un département français dans l'archipel comorien, à 345 km de Madagascar, prend généralement entre 44 et 48 heures, tandis que les vedettes rapides, souvent utilisées par des passages clandestins, peuvent effectuer la traversée en seulement 7 heures. En revanche, une option plus rapide est offerte par les trois vols hebdomadaires reliant Dzaoudzi à l'aéroport international Philibert Tsiranana à Amborovy Mahajanga, avec une durée de vol d'environ une heure.

Les habitants de Mahajanga sont confrontés périodiquement à des maladies diarrhéiques, des infections cutanées, ainsi qu'à des épidémies telles que la dengue, le paludisme et la peste, malgré une amélioration notable de l'accès à l'eau potable.

Sur le tarmac, des consignes strictes sont appliquées aux passagers en provenance de Mayotte, ainsi qu'à l'ensemble de leurs bagages. Dès la descente de l'avion, une série de mesures prophylactiques s'impose à tous, sans exception. Ces mesures comprennent la prise obligatoire de trois comprimés de doxycycline par personne, avec la possibilité d'utiliser des antibiotiques de substitution tels que l'azithromycine pour les enfants et les personnes allergiques. De plus, des protocoles stricts, tels que la désinfection par pédiluve et le lavage des mains avec du savon, sont imposés à tous les passagers dès leur descente d'avion. Une mesure supplémentaire consiste à asperger tous les bagages à main et en soute de HTH, un désinfectant, suivant une dose prescrite par le ministère de la Santé publique.

Le non-respect de ces procédures est catégoriquement sanctionné, comme l'affirme la Dr Solange Hoasy, directrice régionale de la Santé publique de Boeny : « Tout passager qui refuse de s'y conformer n'aura jamais le droit d'accéder à la salle d'arrivée sans tolérance aucune ».

Campagnes de sensibilisation à l’hygiène

Les opérations de sensibilisation battent leur plein dans la cité, avec de nombreux affichages dans les quartiers ainsi que dans des lieux de rassemblement tels que les stationnements, les établissements scolaires et les marchés. Des spots informatifs sont diffusés régulièrement à la télévision et à la radio, mettant l'accent sur les bonnes pratiques à adopter. Notamment, la vente d'aliments non couverts est strictement interdite.

Un quartier de Mahajanga.
Crédit : CUM

Les habitants sont vivement encouragés à privilégier les repas chauds, à observer rigoureusement l'hygiène sociale, et à se laver les mains avec du savon après avoir manipulé des objets potentiellement sales, en particulier après chaque défécation.

Chaque quartier a la responsabilité de maintenir la propreté des caniveaux pour éliminer les déchets accumulés. Malala Pierre Heritiana, chef du quartier de Tsararano Ambany, souligne l'importance des réunions organisées par le médecin-inspecteur en vue de renforcer la prévention contre la propagation du choléra. Tsararano Ambany, aux côtés de quartiers tels qu'Aranta, Tsararano Nosikely, Fiofio et Ambalavola, forme la zone basse de la ville de Mahajanga.

Ne plus jamais revivre 1999

En raison du manque d'hygiène persistant, ces quartiers, soumis à des humidités quasi-permanentes, sont un foyer propice à diverses infections. Les habitants y font face périodiquement à des maladies diarrhéiques, des infections cutanées, ainsi qu'à des épidémies telles que la dengue, le paludisme et la peste, malgré une amélioration notable de l'accès à l'eau potable.

« L’épidémie de choléra de 1999 était partie de ces quartiers. La maladie tuait beaucoup de personnes au début de sa frappe », souligne la Pr Elia Béatrice Assoumacou, native de Mahajanga, socioanthropologue et ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique de 2020 à 2024.

À l'époque, sa famille était en première ligne de la riposte, avec toutes les forces vives mobilisées pour contrer la menace. « J’avais alors 18 ans. Ma mère était sage-femme. L’une de mes sœurs l’était aussi et une autre médecin. Nous faisions du bénévolat pour les vaccins et la distribution des savons dans la rue. Les travailleurs de la santé étaient tous vaccinés », témoigne-t-elle. Son père, une personnalité influente de la ville, contribuait également de manière significative à ces efforts.

Pr Elia Béatrice Assoumacou

Selon elle, la mobilisation générale pour vaincre la maladie était formidable. « La prise de responsabilité était des plus louables. Il y avait moins de communication mais beaucoup d’action. Le personnel de santé, celui du bureau municipal d’hygiène (BMH) et les militaires étaient très motivés. Ils étaient tous bien protégés. Les gens aussi respectaient bien les consignes. Le président Didier Ratsiraka attribuait des distinctions honorifiques à tous les combattants sans exception », se souvient-elle.

Pendant l'épidémie, les malades hospitalisés étaient soumis à une interdiction de visite. Une initiative altruiste d'un étranger garantissait l'approvisionnement en nourriture des patients jusqu'à la fin de la crise sanitaire. Le bureau municipal d'hygiène était fortement mobilisé, avec son personnel aspergeant les latrines, domiciles, marchés, établissements scolaires, lieux de culte, etc., avec de l'insecticide DDT et du désinfectant crésyl.

La lutte contre les mouches, vecteurs de la propagation des microbes provenant des matières fécales éparpillées en raison de la pratique répandue de la défécation à l'air libre, ainsi que contre les vomissements disséminés, représentait un défi considérable. Malgré ces difficultés, l'épidémie a été surmontée après environ deux mois et demi d’âpre combat. Toutefois, elle a fait un retour environ cinq mois plus tard, bien qu’avec une intensité moindre, grâce à la vigilance accrue de la population, qui avait déjà adopté des mesures de précaution suffisantes.

Lutter contre le péril fécal

La lutte contre le péril fécal demeure au centre des efforts actuels de prévention à Mahajanga, selon la directrice régionale de la Santé publique de Boeny, la Dr Solange Hoasy. Toutes les formations sanitaires sont en état d'alerte, prêtes à faire face à une éventuelle épidémie si elle survient. Cependant, malgré la régularité des sensibilisations, des poches de résistance persistent.

Le chef de quartier Malala Pierre Heritiana exprime ses préoccupations quant à la situation. « La salubrité dans les quartiers submersibles pose toujours un grand défi. Les habitants ont peu de moyen pour financer la construction des latrines. Ils sont en effet habitués au jangoany (défécation à l’air libre), regrette-t-il.

La situation à Mahajanga est aggravée par le fait que la principale évacuation de la zone inondable, le canal Vallon de Mitzinger, est souvent obstrué pendant la saison des pluies. Ce phénomène aggrave la situation précaire en provoquant le débordement de flux insalubres. Soalizy Prudent Ronald, sociologue et président des artistes Taratr’i Boeny, souligne la nécessité urgente pour la ville d'élaborer et de mettre en œuvre un plan d'urbanisme intégrant des solutions sanitaires pragmatiques. Mais il faut aussi aller au-delà. « Le problème d’hygiène sociale affecte l’ensemble urbain. Les gens ont tendance à l’associer à l’enlèvement et au ramassage des ordures. Pourtant, l’hygiène sociale, c’est est bien plus que ça. Bref, il faut de l’éducation citoyenne », estime-t-il.

Actuellement, Madagascar manque cruellement de vaccins contre le choléra. Il est urgent de coordonner des actions pour résoudre ce problème et assurer une prévention efficace des maladies infectieuses. Ces défis soulignent l'importance d'une approche globale, impliquant des interventions médicales immédiates ainsi que des solutions à long terme pour améliorer la santé et l'hygiène publique à Mahajanga.