Comment atteindre les populations urbaines difficiles à atteindre ? On a demandé à ces agents de santé
Une plateforme d’apprentissage entre pairs a invité des agents de santé d'Afrique à partager leurs expériences pour vacciner les enfants zéro dose en milieu urbain.
- 5 décembre 2024
- 6 min de lecture
- par Ian Jones , Charlotte Mbuh
Atteindre les enfants non vaccinés en milieu urbain présente des défis uniques. Lors d’une session organisée par la Geneva Learning Foundation, en partenariat avec l’UNICEF, sur la plateforme d’apprentissage Teach to Reach, des agents de santé ont partagé des idées pratiques sur ce qui fonctionne – et ce qui ne fonctionne pas – pour identifier et vacciner les enfants non vaccinés dans les bidonvilles et quartiers informels.
Le défi urbain
Dans les zones urbaines et périurbaines, les agents de santé soulignent que la mobilité de la population complique la détermination des tailles cibles et des localisations des enfants. Rufai Isah Gwaska, agent de santé dans l’État de Kano au Nigeria, décrit son approche systématique pour atteindre les populations souvent oubliées :
« J’ai pu déterminer précisément la population cible de moins d’un an dans mon environnement urbain ou périurbain grâce à une combinaison de méthodes. D’abord, j’ai travaillé avec les autorités locales pour accéder aux données démographiques disponibles pour la zone. Ensuite, j’ai effectué une enquête porte-à-porte auprès des foyers avec des enfants de moins d’un an. Cela m’a permis de vérifier les données et d’identifier les éventuelles erreurs. Enfin, j’ai croisé ces données avec celles des structures de santé locales. »
Créer des cartes là où il n’y en a pas
Dans de nombreuses zones informelles, l’absence d’infrastructures complique les efforts de sensibilisation. La docteure en santé publique Sylvie Nkulu Lenge a relevé ce défi dans la zone de santé de Likasi, en République Démocratique du Congo :
« J’étais dans une zone urbaine où la couverture administrative était correcte, mais les enquêtes ont révélé de nombreux enfants zéro dose et sous-vaccinés, notamment dans deux aires de santé. Le problème était l’absence de noms ou de numéros de rues. Pour recenser les enfants, avec l’infirmier en chef, nous avons nommé toutes les avenues et ruelles, puis compté les enfants de moins de deux ans, ainsi que ceux zéro dose et sous-vaccinés. »
Les agents de santé communautaires en première ligne
Les agents de santé communautaires, véritables relais de confiance entre les communautés et le système de santé, jouent un rôle essentiel dans la vaccination en milieu urbain. Dans les bidonvilles de Mathare, au Kenya, Margaret Osielo Odera a vu des résultats spectaculaires :
« En 2009, lorsque j’ai commencé les visites à domicile, mon principal objectif était les femmes enceintes, les mères allaitantes et les enfants de moins de cinq ans. Dans ma communauté, les mères croyaient beaucoup aux médecines traditionnelles, ce qui faisait que de nombreux enfants n’étaient pas vaccinés... 30 % des habitants de Mathare n’avaient jamais emmené leurs enfants à l’hôpital pour la vaccination... 14 ans plus tard, je suis très fière de ma zone : le taux de cas zéro dose est désormais inférieur à 1 %. Cela est dû à la détermination des agents de santé communautaires à vacciner tous les bébés. »
Les agents de santé de première ligne développent des méthodes de suivi innovantes. En RDC, John Linus Kalubya décrit un système basé sur des jetons :
« Lors de la phase de dénombrement avant la vaccination, j’ai rencontré des enfants n’ayant jamais été en contact avec les services de vaccination ou ayant reçu certains vaccins mais pas d’autres. Nous avons donc formé des relais communautaires, dont l’une des missions est de visiter les foyers pour identifier ces enfants dans leur quotidien. Ils donnent des jetons aux parents et les dirigent vers le centre de santé le plus proche pour que les enfants reçoivent les vaccins manquants. »
Construire la confiance par l’engagement communautaire
Au Cameroun, Ibrahim Hamadou souligne l’importance de rassurer les parents sur les effets secondaires de la vaccination. Certaines mères, explique-t-il, sont inquiètes à l’idée que leurs enfants aient de la fièvre ou des troubles du sommeil après la vaccination.
« Nous avons conseillé aux responsables des centres d’expliquer ces effets avant la vaccination, pour que les mères soient psychologiquement préparées et comprennent que certains vaccins peuvent avoir des effets secondaires... Nous avons appris que notre communauté a besoin d’être soutenue et écoutée pour résoudre ses problèmes de santé. »
En Côte d’Ivoire, Bogui Théodule Yesoh rapporte le succès d’une mobilisation communautaire inclusive :
« L’expérience se déroule en Côte d’Ivoire pour vacciner les communautés mal desservies des zones périurbaines. Nous avons impliqué les leaders communautaires, religieux et les associations de femmes. Lors des réunions, nous avons tenté, avec eux, d’identifier les raisons du non-recours à la vaccination, leurs perceptions des services de vaccination, et leurs attentes pour améliorer la performance dans leurs quartiers. »
Mobilisation des jeunes et de la communauté
Dans l’État de Bauchi, au Nigeria, le spécialiste de santé publique Rabiu Abdulwahab décrit une stratégie de mobilisation des jeunes réussie :
« Nous avons mobilisé des jeunes volontaires en santé communautaire lors d’une réunion pour qu’ils s’occupent de la sensibilisation, de la collecte et de l’analyse des données afin de repérer les zones à faible couverture vaccinale... Les jeunes ont été formés comme défenseurs de la vaccination, et sont désormais équipés pour dissiper les mythes et idées fausses sur les vaccins. Les jeunes filles et les jeunes femmes jouent un rôle essentiel pour mobiliser les résidents et encourager les discussions ouvertes sur les bienfaits de la vaccination. »
Tirer parti de chaque contact
Les agents de santé trouvent des occasions d’identifier les enfants zéro dose lors d’autres visites médicales. Mudassir Abdullahi, du Nigeria, décrit une approche efficace :
« Un programme a été mis en place pour identifier les enfants lors de leurs visites en structure sanitaire, quelle qu’en soit la raison, et vérifier leur statut vaccinal. Cela permet aux prestataires de santé de s’assurer que les enfants sont vaccinés et inscrits dans les registres pertinents, y compris un registre pour les enfants identifiés. Les parents reçoivent des conseils sur l’importance de compléter les vaccins de la naissance à cinq ans, les endroits où obtenir ces services, la gestion des cartes de vaccination et la prochaine visite. »
Certains centres de santé combinent des services pour augmenter la couverture. L’infirmière Mougang Brigitte, du Cameroun, témoigne :
« Nous avons constaté que depuis que nous distribuons des moustiquaires aux enfants de neuf mois recevant le vaccin contre la rougeole, de nombreuses mères font l’effort de venir pour en bénéficier. Ce système incite les mères à faire vacciner leurs enfants. »
Pour aller plus loin
Travailler ensemble donne des résultats
Le succès en milieu urbain repose sur un effort coordonné. Franck Hilaire Beast, du Bénin, l’observe ainsi :
« Dans les zones de santé où des initiatives locales ont été mises en place pour rassembler les efforts des acteurs, la couverture vaccinale s’est améliorée. Les principaux obstacles à la pérennisation de ces actions innovantes au niveau local sont le manque de ressources humaines qualifiées pour fournir un service à plein temps là où c’est nécessaire. »
L’ingénieur en chaîne du froid Gad Ngilimana, du Rwanda, souligne la nécessité de combiner différentes approches :
« Atteindre les enfants zéro dose et les populations sous-vaccinées demande une approche globale qui allie plusieurs méthodes de prestation de services, de communication et de stratégies d’engagement. »
Ces expériences de terrain montrent que, malgré la complexité des défis liés à la vaccination en milieu urbain, des solutions sont possibles. Grâce à des méthodes de suivi innovantes, à l’engagement des communautés et à une action locale coordonnée, les agents de santé parviennent à atteindre les enfants jusque-là négligés, même dans les environnements urbains les plus difficiles.
Note : Note : Ces expériences d’agents de santé sont documentées dans la collection Expériences partagées de Teach to Reach.
En savoir plus
Anglais : Teach to Reach 9: Shared experiences (1.0). Teach to Reach: Connect 9, en ligne. The Geneva Learning Foundation. https://doi.org/10.5281/zenodo.10062521
Français : Teach to Reach 9. Expériences partagées (1.0). Teach to Reach: Connect 9, en ligne. The Geneva Learning Foundation. https://doi.org/10.5281/zenodo.10065921
Avant Teach to Reach 11, The Geneva Learning Foundation a publié la dernière collection en anglais des « Expériences partagées ». Ce recueil comprend plus de 600 expériences d’agents de santé sur la vaccination, le changement climatique, le paludisme, les MNT et la santé numérique. Une deuxième collection, avec plus de 600 expériences partagées par des participants francophones, est également disponible.
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