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Mpox : en attendant le vaccin, les agents de santé kényans mobilisent la population

10 700 doses du vaccin contre la mpox, fournies par Gavi, sont arrivées au Kenya début avril – un soulagement pour les personnes en première ligne à risque, qui ont jusqu’à présent dû compter sur une campagne d'information pour freiner la propagation du virus.

  • 22 avril 2025
  • 6 min de lecture
  • par James Karuga
L’infirmière Catherine Ndanu discute de questions de santé avec une jeune mère au dispensaire de Kiboko. Crédit : James Karuga
L’infirmière Catherine Ndanu discute de questions de santé avec une jeune mère au dispensaire de Kiboko. Crédit : James Karuga
 

 

Pendant plusieurs jours en février, Jane*, 36 ans, originaire de la ville de Kiboko dans le comté de Makueni, le long de l'autoroute Nairobi-Mombasa, a souffert de courbatures, de vertiges, de fatigue et de déshydratation. Sa vision était trouble, elle a eu de la fièvre, puis a développé une éruption cutanée douloureuse et prurigineuse. Cette mère de quatre enfants était si affaiblie qu’elle ne parvenait plus à porter son fils de huit mois.

Pensant avoir la varicelle, elle a tenté de soulager ses symptômes avec des remèdes traditionnels : elle a fait bouillir des feuilles d’eucalyptus bleu pour en boire la décoction et s’en asperger. Elle s’est également enduite, ainsi que ses enfants, de terre de termitière, censée les protéger de la maladie. En vain.

C’est lors d’une visite de routine que Ndunge Muli, promotrice locale de santé communautaire (CHP), a soupçonné une infection à la variole simienne (mpox). Des analyses effectuées à l’hôpital de sous-comté de Makindu ont confirmé le diagnostic.

Jane, qui est travailleuse du sexe, fait partie des 60 personnes infectées par la mpox recensées dans 13 comtés kényans depuis la détection du premier cas dans le pays, le 29 juillet 2024. Le comté de Busia, qui borde l’Ouganda à la hauteur de la ville de Malaba, est celui qui compte le plus de cas, avec 17 personnes infectées.

Autoroutes et chemins de traverse du virus

Selon le Dr Pius Mutuku, épidémiologiste biomédical au ministère kényan de la Santé, les 13 comtés touchés ne le sont pas par hasard : ils sont tous situés le long d’un grand axe routier international utilisé pour le transport de marchandises depuis le port de Mombasa, au Kenya, vers le Rwanda, l’Ouganda, le Burundi, la République centrafricaine, le Congo-Brazzaville, ainsi que la République démocratique du Congo (RDC), où la variole simienne (mpox) est endémique. Les chauffeurs de poids lourds qui empruntent cette route sont particulièrement exposés au virus, en raison de leurs interactions dans des lieux d’échange – que ce soit avec des dockers, ou avec des travailleuses du sexe comme Jane.

« Lorsque les chauffeurs de camion reviennent par ce même corridor pour récupérer des cargaisons à Mombasa, nous constatons que les cas de mpox se concentrent principalement le long de cet axe routier international. Ce schéma alimente la transmission, en particulier parmi les travailleuses du sexe dont les clients incluent des routiers effectuant des trajets vers et depuis les régions d’Afrique où l’incidence de la mpox est la plus élevée », explique le Dr Mutuku, principal épidémiologiste chargé du suivi de la mpox au Kenya.

Outre les chauffeurs de camion et les travailleuses du sexe, d’autres groupes sont considérés comme particulièrement à risque : les personnels de santé en première ligne, les enfants et nourrissons, ainsi que les personnes immunodéprimées. Au Kenya, les deux premiers cas identifiés par le Dr Mutuku et son équipe de surveillance étaient des hommes diabétiques – selon la revue The Lancet Medical Journal, les personnes atteintes de diabète sont souvent plus vulnérables aux formes sévères ou prolongées de maladies virales telles que la mpox.

Et dans le comté de Bungoma, au Kenya, un homme vivant avec le VIH est récemment décédé des suites de la mpox, après avoir manqué plusieurs doses de son traitement antirétroviral (ARV). Dans le pays, 18 % des cas confirmés de mpox concernent des personnes vivant avec le VIH.

« Lorsqu’une personne infectée par la mpox ne suit pas de traitement contre le VIH, le risque de développer une forme grave de la maladie explose. Mais nos données montrent que les patients qui adhèrent au traitement antirétroviral évitent généralement les issues les plus sévères. Cela souligne à quel point un traitement VIH suivi de manière rigoureuse peut sauver des vies chez les patients atteints de la mpox », a expliqué le Dr Mutuku.

 

A young mother reads through an mpox information flyer at Kiboko Dispensary. Credit: James Karuga
Une jeune mère lit un dépliant d'information sur la mpox au dispensaire de Kiboko.
Crédit : James Karuga

Les vaccins arrivent

Jane vit elle aussi avec le VIH. L’infirmière Catherine Ndanu, du dispensaire de Kiboko, pense que Jane a contracté la mpox dans cette ville très fréquentée par les chauffeurs routiers, avant de transmettre l’infection à ses enfants, qui sont toutefois restés asymptomatiques. Elle est restée isolée avec ses quatre enfants pendant 21 jours – la durée pendant laquelle la maladie est transmissible. La Croix-Rouge kényane lui a fourni suffisamment de nourriture et de produits de première nécessité pour cette période, tandis que Ndanu s’est chargée de traiter ses symptômes : elle nettoyait ses lésions cutanées et lui prescrivait des antihistaminiques.

Ndanu explique que, avec ses collègues, elle mène aussi un important travail de sensibilisation auprès de la population. Ils encouragent notamment les travailleuses du sexe à examiner leurs clients, à la lumière, avant tout rapport, afin de repérer d’éventuels signes visibles de la maladie. Partout à Kiboko, des affiches de prévention sur la mpox – avec photos, description des symptômes et recommandations pour consulter rapidement – sont désormais bien visibles.

« Depuis qu’on a commencé, les gens sont plus vigilants, les mamans viennent me voir et me demandent de les examiner pour savoir si elles ont la maladie. On a mis des affiches partout… et ça aide », confie Ndanu.

Jusqu’à présent, les campagnes d’information ont été l’outil de prévention le plus efficace à la disposition des soignants kényans face à l’épidémie. Mais cela pourrait bientôt changer. Le 9 avril, l’Alliance Gavi a livré 10 700 doses de vaccin contre la mpox au Kenya. Celles-ci devraient être administrées dans les prochaines semaines aux populations prioritaires, apportant un soulagement tant attendu aux professionnels de santé et aux groupes les plus à risque.

 

Minister of Health and Epidiomologist Dr Mutuku discusses mpox matters with nurse Catherine Ndanu and a young mother. Credit: James Karuga
Le ministre de la Santé et épidémiologiste, Dr Mutuku, échange au sujet de la mpox avec l’infirmière Catherine Ndanu et une jeune mère.
Crédit : James Karuga

Tisser des liens pour la surveillance et le contrôle de la maladie

D’après le Dr Mutuku, établir des liens solides entre le système de santé et les communautés reste l’outil clé pour assurer à la fois la surveillance épidémiologique et le contrôle des flambées. Et jusqu’à présent, cela porte ses fruits. Il cite l’exemple de la ville de Bonje, à Mombasa, qui accueille en permanence un flux de chauffeurs routiers de différentes nationalités, et où a été détecté le tout premier cas confirmé de mpox au Kenya. Pour repérer ce cas initial, le Dr Mutuku et son équipe ont dû collaborer avec tact avec les promoteurs de santé communautaire (CHP) locaux, qui leur ont signalé le patient index.

L’équipe a également établi un dialogue avec les syndicats de chauffeurs, en leur partageant des informations sur la mpox via WhatsApp. Informés, certains routiers ont alors commencé à envoyer des photos de leurs lésions suspectes pour les comparer aux symptômes décrits. En moins de trois semaines, cinq chauffeurs s’étant eux-mêmes présentés dans des établissements de santé ont été confirmés positifs.

« Cette collaboration a confirmé, au fil de notre enquête épidémiologique, que les routiers ne sont pas seulement au cœur de la transmission : notre action ciblée leur a permis de devenir des acteurs engagés dans la maîtrise de l’épidémie », explique le Dr Mutuku.

Encore beaucoup à faire

Des lacunes importantes subsistent dans la lutte contre la mpox au Kenya, reconnaît le Dr Mutuku. Le pays ne dispose pas d’assez d’installations pour isoler les personnes infectées et souffre fréquemment de pénuries d’équipements de protection individuelle pour le personnel soignant. Trop peu d’agents de santé en première ligne ont été formés à la prise en charge des cas de mpox, ce qui conduit à des erreurs de diagnostic et à des traitements inadaptés. Ndunge, par exemple, raconte qu’avant d’être formée, elle-même risquait d’être contaminée, ayant pris certains cas de mpox pour d’autres maladies cutanées.

L’épidémie continue pourtant de progresser sur le continent africain – et le nombre de cas enregistrés au Kenya en mars 2025 a presque doublé par rapport à la même période en 2024. « Cette croissance exponentielle des infections exige une action immédiate », alerte le Dr Mutuku. Il appelle à un déploiement rapide des ressources nécessaires pour des campagnes d’éducation communautaire, menées par des soignants bien formés et motivés, diffusées à la fois par les médias traditionnels et numériques, et ciblant les populations les plus à risque.

« Cela nous laissera le temps de mobiliser des stocks suffisants de vaccins et de traitements pour répondre efficacement à l’épidémie avant qu’elle ne devienne une pandémie et ne submerge nos systèmes de santé », insiste-t-il.


1 En date du 21 mars 2025

* Le nom a été modifié.