Au Bénin, le Club des pères redéfinit les rôles familiaux pour la santé des enfants

À Koukiri, un village situé dans le nord du Bénin, à environ 360 km de Cotonou, un projet mené par l’UNICEF transforme les mentalités : du suivi de grossesse à l’accouchement, en passant par la vaccination de routine et la nutrition, les hommes s’impliquent et redéfinissent la place des pères, longtemps cantonnés au rôle de simples spectateurs.

  • 14 avril 2025
  • 5 min de lecture
  • par Edna Fleure
Un membre du Club des pères évalue l’état nutritionnel d’un jeune enfant à Koukiri. Crédit : Edna Fleure
Un membre du Club des pères évalue l’état nutritionnel d’un jeune enfant à Koukiri. Crédit : Edna Fleure
 

 

Bousculer les normes

Joseph Adamou, membre du club des pères, s’affaire en cuisine pour préparer le déjeuner, sous le regard attendri et admiratif de son épouse et de leurs enfants. Cette scène, bien que banale ailleurs, attire ici la curiosité — et parfois les moqueries — de certains de ses pairs, qui ne comprennent pas les agissements de cet homme qu’ils jugent « féminisé ».

Au menu de la famille Adamou : une sauce Tchétoum, une spécialité peule reconnue pour ses vertus nutritives et thérapeutiques. Avant de se mettre aux fourneaux, Joseph s’est porté volontaire pour conduire son fils de deux mois au centre de santé pour sa vaccination.

S’il est chargé, au sein du club, des questions liées à l’alimentation et à la nutrition des enfants du village, Joseph voit plus large : sa priorité est la santé et le bien-être de ses enfants. Cette évolution des mentalités et des comportements est rendue possible grâce à une initiative de l’UNICEF, mise en œuvre par l’ONG Sia N’Son, avec le soutien de plusieurs bailleurs de fonds du Royaume-Uni, des Pays-Bas et du Japon.

Même si tous les hommes du village ne comprennent pas encore l’intérêt que certains de leurs pairs portent désormais à des tâches traditionnellement dévolues aux femmes, Joseph, lui, poursuit sa mission le sourire aux lèvres.

« Je sais que les hommes engagés dans le club des pères comme moi sont traités de tous les noms. Mais cela ne nous arrêtera pas. Notre mission est de sensibiliser autour de nous, pour que tous les papas nous rejoignent. Lorsqu’ils comprendront l’importance de veiller à la nutrition de leur enfant, de rappeler les rendez-vous de vaccination, et bien plus encore, ils passeront à l’action », affirme-t-il.

Un meilleur équilibre au sein du foyer

À Koukiri, le club des pères fait figure d’école de la parentalité. Chaque membre y a son mot à dire pour le bien-être collectif des enfants. Tous y participent avec fierté et engagement. Les pères sont répartis par thématiques essentielles à la santé infantile : nutrition, allaitement maternel exclusif de 0 à 6 mois, mise au sein immédiate après l’accouchement, respect du calendrier vaccinal, hygiène et assainissement.

« Nous sommes dans un processus de co-création avec cette communauté. Nous l’accompagnons pour améliorer ses recettes traditionnelles de façon à intégrer les quatre groupes d’aliments essentiels au développement de l’enfant », explique Gaëlle Logozo, chargée de nutrition au bureau de l’UNICEF de Parakou.

Les membres du Club des pères de Koukiri posent avec leurs familles.
Crédit : Edna Fleure

Le Club des pères est composé de six hommes. Mais derrière ces six volontaires engagés se trouvent de nombreux autres qui partagent une même conviction : pour grandir en bonne santé et s’épanouir, un enfant a besoin de l’implication totale de ses deux parents, et ce, dès la grossesse.

Véronique Tinéponanti, chargée de projet au sein de l’ONG Sia N’Son, explique que dans cette localité, les habitants reconnaissent pleinement la valeur du club pour l’équilibre des foyers.

« Vous ne verrez cette organisation nulle part ailleurs. Nous avons décidé d’impliquer les pères lorsque nous avons constaté que les mères ne pouvaient pas toujours suivre correctement leurs enfants, faute d’autorisation ou de soutien de la part de leurs maris », explique-t-elle.

Pour elle, il était indispensable d’agir au cœur du noyau familial : les pères.

« Nous avons compris qu’il fallait les sensibiliser en leur montrant l’importance de la nutrition, des soins et du suivi dès la petite enfance, pour la santé présente et future des enfants. Et cela a fonctionné, à notre plus grande satisfaction. »

Des résultats spectaculaires sur la nutrition infantile

Grâce à ce projet d’implication paternelle dans toutes les dimensions du développement de l’enfant — nutrition, vaccination, suivi médical — plus de 282 localités ont été touchées, avec un impact direct sur au moins 3 000 ménages. Un véritable succès pour l’UNICEF, dont la mission est au cœur du bien-être et de l’épanouissement des enfants.

Dans le club, Sanni Demon joue un rôle essentiel : celui du père sensibilisateur. Il œuvre à convaincre d’autres hommes de s’impliquer dans les consultations prénatales. À travers cette mission qu’il assume avec fierté, il apprend chaque jour… et exprime des regrets.

« On nous a toujours dit que tout ça, c’était le travail des femmes. Mais grâce au soutien de l’UNICEF et de Sia N’Son, j’ai compris que les hommes ne perdent rien à accompagner leurs épouses dans ces grandes responsabilités. On a besoin d’être deux pour avancer dans la même direction. Un enfant en bonne santé, dont le carnet de vaccination est à jour, c’est une inquiétude en moins pour nous, les parents. »

Ce qui rend le Club des pères particulièrement remarquable, c’est qu’à Koukiri, où le projet a vu le jour, les résultats sont déjà visibles. Tous les voyants sont au vert, tant en matière de vaccination que de nutrition infantile.

« Nous étions à 32 % de malnutrition aiguë dans cette localité. Je peux vous assurer qu’aujourd’hui, tous les enfants sont en bon état nutritionnel grâce à nos interventions », affirme un responsable du projet.

Les données enregistrées par l’UNICEF confirment des progrès significatifs à l’échelle nationale, en conformité avec les standards de l’Organisation mondiale de la santé (OMS).

Dans la zone couverte par notre reportage, la proportion d’enfants bénéficiant d’une alimentation minimale acceptable est passée de 1,1 % en 2021 à 16,3 % en 2023 — une avancée spectaculaire.

L’UNICEF entend poursuivre ses efforts à travers l’initiative First Food, en partenariat avec le gouvernement béninois, le secteur privé et d’autres acteurs, pour faire de la lutte contre la malnutrition une priorité nationale.

Quant à Ibrahim Sanni, surnommé « papa mise au sein précoce », il forme le vœu que l’expérience du Club des pères s’étende à toutes les localités du Bénin. Il reste toutefois lucide sur les défis à venir : « Changer les mentalités ne sera pas facile, mais c’est possible. »