Les “soldats” nigérians qui se battent contre la drépanocytose sont confrontés à un nouvel ennemi : le changement climatique
Les phénomènes climatiques extrêmes, que ce soit en termes de chaleur ou de froid, menacent notre santé à tous, mais ils touchent en premier lieu les patients atteints de drépanocytose.
- 10 octobre 2024
- 7 min de lecture
- par Afeez Bolaji

Atteinte de drépanocytose, Chinonyerem Obianuju-Nwachukwu, originaire de Port Harcourt, dans l'État de Rivers, au sud du Nigeria, a dû apprendre à gérer méticuleusement sa santé pour éviter les crises douloureuses déclenchées par les changements de temps.
« Quand il fait très chaud, je porte des vêtements légers et je bois de l'eau à température légèrement supérieure à la température ambiante. Quand il fait très froid, je reste au chaud à la maison, avec des chaussettes et des chaussons.
« Parfois, le temps est imprévisible. Il peut faire beau quand je quitte la maison, et pleuvoir à verse avant même que j’aie le temps d’arriver à destination. Alors quand je sors, j’emporte un pull et un parapluie », explique-t-elle à VaccinesWork.

Avec 4 à 6 millions de personnes atteintes de drépanocytose sur les quelque 50 millions au niveau mondial, le Nigéria est considéré comme l'épicentre de cette maladie. Il naît chaque année dans le pays entre 100 000 et 150 000 enfants atteints de drépanocytose, ce qui représente 33 % des quelque 300 000 nouveau-nés chez qui la maladie est diagnostiquée chaque année dans le monde.
Maladie génétique héréditaire qui persiste à vie, la drépanocytose (aussi appelée anémie falciforme) est caractérisée par une anomalie de l’hémoglobine, principale protéine des globules rouges qui transportent l'oxygène vers les tissus de l'organisme.
Les globules rouges "malades" prennent une forme anormale de faucille et peuvent s’agglutiner et obstruer les vaisseaux sanguins. Ils ont une durée de vie plus courte que les globules rouges normaux, ce qui entraîne une anémie chronique. Les hématies malades peuvent également endommager la rate – organe qui filtre les déchets présents dans le sang et joue un rôle important dans la réponse immunitaire – exposant ainsi les patients à un risque accru d'infections. Parmi les principales manifestations de la drépanocytose figurent les crises douloureuses (ou vaso-occlusives), qui résultent de l’obstruction de la circulation sanguine et du manque d’oxygénation des tissus qui s’ensuit. Selon l’organe concerné, le patient pourra développer une jaunisse, ou être victime d’accident vasculaire cérébral (AVC). Le syndrome thoracique aigu, qui peut être déclenché par une infection pulmonaire ou la déshydratation, est dû à l’obstruction d’une ou plusieurs artères pulmonaires. Il se manifeste par des difficultés respiratoires et des douleurs dans la poitrine, parfois accompagnées de fièvre, et peut être mortel.
« [Ceux qui se battent contre la drépanocytose] sont plus sujets aux formes graves de paludisme, ce qui est très problématique. C'est pourquoi il leur est conseillé de recourir à la prophylaxie antipaludique. »
- Dr Oluwole Banjoko, hématologue clinicien
Prévisions météorologiques ou système d'alerte précoce ?
L’imprévisibilité des conditions météorologiques due au changement climatique complique la gestion de la drépanocytose : Maureen Nwachi confie qu'elle organise ses journées en fonction des prévisions météorologiques.
Maureen fait partie des "soldats" qui se battent contre la drépanocytose – terme utilisé par de nombreux patients pour lutter contre la stigmatisation. Elle est également conseillère en génétique pour l’ONG Initiative pour la défense et la prise en charge de la drépanocytose [SAMI, pou Sickle Cell Advocacy & Management Initiative] basée à Lagos, dont elle est un des piliers. « Je vérifie constamment les prévisions météo pour planifier mes activités et savoir comment m’habiller. Je garde toujours une certaine souplesse dans mon emploi du temps pour pouvoir m'adapter aux changements de temps imprévus, et ajuster mes activités de façon à minimiser mon exposition aux conditions extrêmes.
« Je reste toujours en contact avec mon thérapeute et j'ai mis en place tout un programme pour les situations d'urgence. La progression des maladies à transmission vectorielle et des maladies à transmission hydrique due au changement climatique a de graves conséquences pour ceux qui luttent contre la drépanocytose. »
« Nous sommes plus sensibles aux infections à cause de l'affaiblissement de notre système immunitaire. Le paludisme, en particulier, représente un risque important car il peut déclencher une crise vaso-occlusive douloureuse. J'utilise des répulsifs et des insecticides, je dors sous une moustiquaire et je veille à consommer de l'eau potable et salubre », explique-t-elle.
« Le froid est particulièrement difficile à gérer. Avec le froid, les vaisseaux sanguins se contractent tandis que les globules rouges ont tendance à prendre la forme d'une faucille et à les obstruer. Il faut donc rester au chaud ».
- Professeur Philip Olatunji, consultant en hématologie
Mauvais pour nous tous, encore pire pour les patients atteints de drépanocytose
La vulnérabilité accrue des sujets atteints de drépanocytose à l’égard du paludisme est empreinte d’une grinçante ironie : les scientifiques pensent que le gène de la drépanocytose s’est répandu dans certaines régions d'Afrique parce que le fait d'hériter d'une copie du gène défectueux (dénommé "S") et d'un gène normal (dénommé ‘‘A’’) accroît la résistance au paludisme. Mais l'avantage se transforme en nuisance lorsqu’on hérite de deux gènes "S".
« Génétiquement, les personnes "SS" sont sensibles au paludisme, contrairement aux personnes "AS", qui en sont protégées », confirme le Dr Oluwole Banjoko, hématologue clinicien à l'hôpital universitaire de l'État de Lagos. « Elles sont plus sujettes aux formes graves de paludisme, ce qui est très problématique. C'est pourquoi il est conseillé à ceux qui se battent contre la drépanocytose de recourir à la prophylaxie antipaludique. »
Les récits de Chinonyerem et de Maureen rejoignent ceux d'un groupe représentatif de patients nigérians qui se battent contre la drépanocytose, et se sont confiés à VaccinesWork. Les recherches dans les domaines médical et climatique suggèrent que la hausse de la fréquence des phénomènes climatiques extrêmes accroît les risques pour la santé humaine et augmente de manière disproportionnée les risques de crise douloureuse pour les sujets atteints de drépanocytose.
« Le froid est particulièrement difficile à gérer », explique le professeur Philip Olatunji, consultant en hématologie à l'hôpital universitaire Olabisi Onabanjo, dans l'État d'Ogun. « Avec le froid, les vaisseaux sanguins se contractent et les globules rouges ont tendance à prendre la forme d'une faucille et à les obstruer. Il faut donc rester au chaud », explique-t-il, ajoutant qu'il conseille aux patients de s’abstenir des tâches pénibles et de boire au moins trois à quatre litres d'eau par jour pour éviter les risques de déshydratation.
« Certains [patients atteints de drépanocytose] peuvent déjà être en état de déshydratation du fait de leur maladie. Alors, s’ils perdent encore de l’eau sous l’effet du choléra, ils vont être beaucoup plus affectés que les autres. »
- Professeur Philip Olatunji, consultant en hématologie
Au moment où la plupart des régions du Nigéria commencent à enregistrer des précipitations, le professeur Olatunji conseille aux drépanocytaires d'être plus vigilants face aux maladies infectieuses telles que le choléra, d’accorder une attention particulière à leur hygiène personnelle et de faire plus attention à ce qu'ils mangent et à ce qu'ils boivent.
Le Nigéria est actuellement confronté à des épidémies de choléra, avec 1 141 cas suspects, 65 cas confirmés et 30 décès signalés dans 30 États au cours du premier semestre de cette année.
« Certains [patients atteints de drépanocytose] peuvent déjà être en état de déshydratation du fait de leur maladie. Alors, s’ils perdent encore de l'eau sous l’effet du choléra, ils vont être beaucoup plus affectés que les autres. Il faut qu’ils aillent à l'hôpital, car ils peuvent avoir besoin d’être rapidement réhydratés », ajoute le professeur Olatunji.

Le Dr Banjoko, hématologue clinicien, explique qu'il dit toujours à ses patients drépanocytaires de prendre des bains d’eau chaude quand il fait froid, de sortir avec « un grand parapluie » pendant la saison des pluies et d’avoir toujours un imperméable à portée de main.
« Quand la chaleur est caniculaire, il faut qu’ils se rafraîchissent. Ils peuvent prendre des bains d’eau chaude. Ils peuvent s’équiper de ventilateurs ou de l’air conditionné, mais il ne faut surtout pas qu’ils soient directement dans les courants d’air », explique-t-il.
Une planète hostile
Le changement climatique a déjà modifié les températures de manière significative, confirme le professeur Debo Adeyewa, professeur de météorologie et sciences du climat et directeur du programme de recherche doctorale sur les systèmes climatiques d'Afrique occidentale à l'Université fédérale de technologie d'Akure, dans l'État d'Ondo.
« Quand il fait chaud dans le sud du Nigéria, il fait encore plus chaud dans le nord, en particulier dans l'État de Sokoto. En février et mars de cette année, la température a atteint 33° [Celsius] dans le sud, ce qui n'est déjà pas normal, mais elle était encore plus élevée dans le nord. Un tel phénomène de chaleur extrême, appelé stress thermique, affecte la santé des individus et peut être très grave pour ceux qui sont atteints de drépanocytose, à cause du risque de déshydratation », explique le professeur Adeyewa.
Pour aller plus loin
Anthony Kola-Olusanya, professeur de développement durable et anciennement vice-recteur adjoint chargé de l'enseignement, de la recherche, de l'innovation et des partenariats à l'université de l'État d'Osun à Osogbo, ajoute que l'évolution des facteurs environnementaux (température, humidité et qualité de l'air) peut également aggraver les crises vaso-occlusives de la drépanocytose.
« La fréquence et l'intensité des vagues de chaleur sont plus élevées dans la région du Sahel, en particulier dans l'État de Sokoto, en raison du manque de végétation. Or les températures élevées peuvent déclencher les crises vaso-occlusives caractéristiques de la drépanocytose, responsables de douleurs intenses et de lésions organiques.
« Parallèlement, il peut faire extrêmement froid à Jos, dans l'État du Plateau, connu pour son climat presque tempéré, ce qui n’est pas habituel au Nigéria. Le froid extrême peut entraîner une vasoconstriction des vaisseaux sanguins et aggraver les crises douloureuses. »
« La fréquence et l'intensité des vagues de chaleur sont plus élevées dans la région du Sahel en raison du manque de végétation... [ce qui] peut déclencher les crises vaso-occlusives caractéristiques de la drépanocytose, responsables de douleurs intenses et de lésions organiques ».
- Anthony Kola-Olusanya, Professeur de développement durable
« Dans l’État de Sokoto, l'harmattan transporte de grandes quantités de poussière, ce qui peut aggraver les problèmes respiratoires des patients atteints de drépanocytose. Il faut qu’ils se couvrent le nez pour filtrer la poussière et purifier l’air qu’ils respirent », ajoute l'expert en climatologie.
Pour le professeur Kola-Olusanya, la combinaison des mauvaises conditions climatiques et de la drépanocytose constitue un problème majeur, qui nécessite un meilleur accompagnement de la part de ceux qui les prennent en charge. « Il faut apprendre à ceux qui se battent contre cette maladie à affronter les températures extrêmes », conclut-il.
Davantage de Afeez Bolaji
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