Le docteur de l'amour : comment les applications de rencontres nigérianes s'intéressent à la génétique

Au Nigeria, les applications de rencontres se mobilisent contre la drépanocytose, une maladie génétique grave.

  • 27 septembre 2024
  • 6 min de lecture
  • par Zubaida Baba Ibrahim
Page d'inscription de GenZee Baddies. Crédit : Zubaida Baba Ibrahim/HEIC.
Page d'inscription de GenZee Baddies. Crédit : Zubaida Baba Ibrahim/HEIC.
 

 

À 25 ans, Onye Ebokwe, fondateur de Genzee Baddies, une application de rencontres novatrice, a découvert que la quête d’un partenaire de vie allait bien au-delà de l'alchimie amoureuse. Il devait aussi prendre en compte la compatibilité génétique, en particulier en ce qui concerne l’hémoglobine.

« J’ai rencontré de nombreuses femmes formidables, mais la plupart avaient un génotype AS, comme moi », explique Ebokwe. Le génotype AS indique qu’il est porteur du trait drépanocytaire. S’il concevait un enfant avec une personne ayant également ce génotype, leur enfant aurait un risque élevé de souffrir de drépanocytose. « Au début, je ne voyais pas cela comme un problème majeur, mais après trois ans, cette question revenait sans cesse. »

L'amour face aux gènes

Cette expérience a poussé Ebokwe à mener une enquête. Sur 500 utilisateurs de son application, plus de 300 avaient déjà envisagé le mariage avant de découvrir une incompatibilité de leurs gènes d'hémoglobine.

Les gènes d'hémoglobine, responsables du transport de l’oxygène dans les globules rouges, peuvent présenter des variations héréditaires. Les génotypes d’hémoglobine se répartissent en plusieurs catégories : AA, AS, AC ou SS. « A » correspond à un gène sain. Le génotype AA signifie que la personne a deux copies normales du gène, donc une hémoglobine normale.

Les génotypes AS et AC désignent les porteurs du trait drépanocytaire, ce qui signifie qu’ils ont un gène sain et un gène porteur de la drépanocytose. Enfin, le génotype SS est synonyme de drépanocytose (SCD), une maladie pouvant provoquer anémie chronique, douleurs intenses, infections fréquentes et souvent une mort prématurée.

Deux parents de génotype AS ont 25 % de chances d’avoir un enfant atteint de drépanocytose. Si l’un des parents est SS et l’autre AS, ce risque grimpe à 50 %. Le Nigéria enregistre l’un des taux les plus élevés de drépanocytose au monde, avec environ 150 000 nouveaux cas chaque année, soit un taux de 20 à 30 enfants pour 1 000 naissances.

À mesure que la conscience de la compatibilité génétique se développe, elle devient un facteur clé dans les relations. La peur des maladies génétiques, et notamment de la drépanocytose, a sensibilisé de plus en plus de Nigérians à l'importance de connaître le génotype de leur partenaire potentiel.

Ainsi, de plus en plus d'applications de rencontres incluent des informations sur le génotype, aux côtés des critères habituels comme l'âge ou le sexe. La compatibilité génétique s’impose désormais comme une priorité dans la recherche amoureuse.

Une approche technologique de l’amour

Fort de son expérience personnelle et des résultats de son enquête, Ebokwe a lancé l’application Genzee Baddies. Celle-ci repose sur un algorithme de compatibilité génétique, facilitant la recherche d’un partenaire compatible tout en rendant plus accessible la discussion autour de ce sujet souvent délicat.

L’application permet aux utilisateurs de renseigner leur génotype à l’inscription, et de trouver automatiquement des correspondances compatibles. « Elle offre aussi des filtres pour sélectionner des critères comme la taille, l’âge ou le poids », précise Ebokwe.

Bien que l’application ait été pensée pour une jeune génération technophile, Ebokwe a rapidement constaté que la question de la compatibilité génétique intéressait un public beaucoup plus large, allant des jeunes adultes aux quinquagénaires.

Comme dans toute application de rencontres, il existe un risque que certains utilisateurs ne soient pas entièrement honnêtes dans leurs informations. C’est une inquiétude d’autant plus importante pour Genzee Baddies, où la compatibilité génétique joue un rôle crucial. « C’est pourquoi nous travaillons sur une version 2.0 de l'application, en partenariat avec l’une des plus grandes organisations de soins de santé du Nigéria. Nous vérifions désormais les résultats des tests de laboratoire de chaque utilisateur avant de les valider. Ainsi, lorsque quelqu'un s'intéresse à votre profil, il peut consulter des informations vérifiées. »

Sensibilisation à la drépanocytose : un défi persistant

Les efforts d’Onye Ebokwe pour combattre la drépanocytose au Nigeria sont soutenus par d'autres plateformes de rencontres, notamment dans le nord du pays, où la faible sensibilisation aggrave encore l'impact de la maladie sur les communautés, déjà lourdement touchées.

Ce manque de sensibilisation s'explique par plusieurs facteurs : stigmatisation culturelle et sociale, éducation limitée sur la santé, infrastructures médicales insuffisantes et contraintes économiques. La faible couverture médiatique, une éducation sanitaire déficiente dans les écoles et le manque d'engagement communautaire aggravent aussi la situation.

Dans cette région, un groupe de jeunes a lancé la plateforme Arewa Up Matchmaking, avec pour objectif de sensibiliser à la compatibilité génétique et de promouvoir des relations saines. Issue d'un forum ouvert traitant des défis régionaux, la plateforme offre un espace où les utilisateurs peuvent se rencontrer et discuter des enjeux liés à la compatibilité génétique dans le cadre de leurs relations.

Cependant, malgré les efforts d'Arewa Up, la stigmatisation entourant la drépanocytose persiste, notamment à l’encontre des femmes. Un responsable de la plateforme, sous couvert d’anonymat, souligne que les femmes atteintes de drépanocytose rencontrent souvent plus de difficultés à trouver des partenaires compatibles. « Quand un homme découvre qu'une femme est de génotype SS, il pense d'abord aux crises douloureuses et à la responsabilité qu'implique la maladie », explique-t-il. Selon lui, les femmes semblent plus disposées à accepter des partenaires atteints de drépanocytose, contrairement aux hommes, qui sont souvent réticents.

Les lois visant à promouvoir la compatibilité génétique peinent à être adoptées

Face à la forte prévalence de la drépanocytose au Nigeria, l'Assemblée nationale examine actuellement un projet de loi national visant à s'attaquer à ce problème.

Depuis 2017, quatre États nigérians ont pris l'initiative d’adopter des lois exigeant des tests génotypiques prénuptiaux pour les couples. Cette approche proactive cherche à réduire l'incidence de la drépanocytose en fournissant aux couples des informations cruciales sur leur compatibilité génétique avant le mariage.

Cependant, plusieurs obstacles freinent la mise en œuvre efficace des programmes de dépistage génotypique prénuptial. Selon une étude récente menée par Nguvu Collective, une organisation de la société civile, ces obstacles incluent des mythes et des idées fausses qui dissuadent la participation, l’inaccessibilité des services de dépistage génotypique ainsi que leur coût élevé.

De plus, les infrastructures de santé et le financement sont insuffisants pour offrir des soins complets aux personnes atteintes de drépanocytose, notamment dans les zones rurales. Enfin, des croyances socioculturelles et religieuses, qui valorisent le mariage et la lignée familiale au détriment de la compatibilité génétique, alimentent la résistance au dépistage.

Pour remédier à ces défis, Nguvu Collective recommande de lancer des campagnes ciblées de sensibilisation pour informer la population sur la drépanocytose ; de renforcer les compétences des prestataires de soins de santé, des chercheurs et des dirigeants communautaires par des formations et des ateliers afin d'améliorer la gestion de la maladie ; d'investir dans des initiatives de recherche pour approfondir la compréhension de la drépanocytose, développer de nouveaux traitements et optimiser les médicaments existants.

Le collectif suggère également d’encourager les personnes atteintes de drépanocytose à partager leurs expériences, afin de favoriser l’empathie et une meilleure compréhension de la maladie.