Au Nigeria, le premier déploiement du vaccin antipaludique suscite un grand espoir

La course pour sauver les enfants nigérians du paludisme a reçu un soutien de taille grâce à l’introduction du vaccin R21/Matrix-M. Afeez Bolaji revient sur les avancées de ce premier déploiement dans les États de Kebbi et de Bayelsa.

  • 24 janvier 2025
  • 7 min de lecture
  • par Afeez Bolaji
Remise des vaccins antipaludiques au ministère fédéral de la Santé du Nigeria. Crédit : Oluwaseun Dexter Moses
Remise des vaccins antipaludiques au ministère fédéral de la Santé du Nigeria. Crédit : Oluwaseun Dexter Moses
 

 

Beaucoup de gens étaient restés chez eux durant la matinée froide et brumeuse du 13 janvier à Birnin Kebbi, capitale de l’État de Kebbi dans le nord-ouest du Nigeria. Mais à huit heures ce lundi-là, des mères allaitantes ont bravé le temps hivernal pour emmener leurs enfants au centre de santé maternelle et infantile du centre-ville afin de recevoir leur vaccin contre le paludisme.

Un doux brouhaha de rires s’est fait entendre dans l’enceinte de la clinique alors que les femmes s’installaient sur des bancs soigneusement disposés, en attendant le début de la séance de vaccination. Bientôt, deux agents de vaccination, vêtus avec soin, se sont présentés pour informer le groupe rassemblé à propos du R21/Matrix-M, le nouveau vaccin contre le paludisme.

Les mères savaient déjà que le vaccin se compose de quatre doses. Les enfants âgés de cinq à onze mois sont éligibles à la première injection. Deux doses supplémentaires suivent à quatre semaines d’intervalle, puis une quatrième et dernière injection a lieu au moins six mois après la première. « Nous sommes très enthousiastes à propos de ce vaccin. Il protégera nos enfants contre le paludisme, qui est très répandu ici à Kebbi », a déclaré Safina Muhammed après que sa fille de cinq mois, Aisha, a reçu sa première dose. « J’aurais aimé que mes autres enfants puissent aussi en bénéficier, mais ils ont dépassé l’âge d’éligibilité. »

Le paludisme est très endémique en Afrique, et le Nigeria enregistre à lui seul la plus forte incidence mondiale : environ 27 % de la charge globale et environ 30,9 % des 569 000 décès enregistrés dans le monde en 2023.

Comme ailleurs dans la région, les enfants de moins de cinq ans représentent près de 76 % des décès. Mais avec la mise en place de deux vaccins antipaludiques révolutionnaires, le R21 et le RTS,S, dans 17 pays africains, les experts espèrent voir ces chiffres dramatiques reculer. Il est encore trop tôt pour prévoir avec certitude l’ampleur de cet impact, mais les données recueillies au cours du projet pilote de trois ans mené au Kenya, au Ghana et au Malawi à partir de 2019 ont montré que la vaccination contre le paludisme était associée à une réduction de 13 % de la mortalité toutes causes confondues dans la tranche d’âge visée, ainsi qu’à une baisse de 22 % des hospitalisations pour paludisme clinique sévère chez les enfants éligibles.

Un nouveau bouclier pour le Nigeria

En octobre 2024, le Nigeria a reçu son premier million de doses de vaccin contre le paludisme grâce à l’appui de Gavi, l’Alliance du Vaccin, de l’UNICEF et de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS). La campagne de vaccination a été lancée début décembre, avec l’intégration du vaccin dans les calendriers de vaccination de routine des États de Kebbi et de Bayelsa, qui enregistrent la plus forte incidence du paludisme au Nigeria.

Le fils de sept mois de Hafsat Shehu, Abdul-Aziz, venait de recevoir sa deuxième dose à la clinique de Birnin Kebbi. Shehu rayonnait en évoquant le soulagement que ce vaccin apporte à elle-même et à de nombreuses familles de sa communauté.

« Mon fils a reçu la première dose en décembre. [Dans le passé] nous avons dépensé l’argent qui aurait dû nous servir à nous nourrir pour acheter des médicaments contre le paludisme. Cette maladie a porté un coup dur à beaucoup de familles à Kebbi. Un de mes voisins a perdu son enfant à cause du paludisme il y a quelques années. Ce fut une expérience vraiment triste. J’étais donc très heureuse lorsque j’ai entendu parler de ce vaccin », a-t-elle confié.

« Les parents, surtout ceux dont les enfants sont atteints de drépanocytose, ne plaisantent pas du tout avec ce vaccin. Ils tiennent absolument à ce que leurs enfants le reçoivent. »

- Victoria Bankole, agente de vaccination

Le vaccin suscite une adhésion massive

La participation à la campagne de vaccination contre le paludisme s’avère impressionnante, selon les agents de santé des centres de soins primaires des États de Kebbi et Bayelsa interrogés par VaccinesWork.

Depuis le début du déploiement, plus de cent femmes se rendent ici chaque jour de vaccination hebdomadaire – qui tombe le lundi dans cet établissement – pour faire vacciner leurs enfants, explique Victoria Bankole, agente en charge de la vaccination à la Clinique de santé maternelle et infantile.

« Nous vaccinons également jusqu’à 30 enfants les autres jours de la semaine. Les jours de vaccination où il y a beaucoup de monde, des mères allaitantes se disputent parfois, tant elles sont impatientes de faire vacciner leurs enfants. Les parents, surtout ceux dont les enfants sont atteints de drépanocytose, ne plaisantent pas du tout avec ce vaccin. Ils tiennent absolument à ce que leurs enfants le reçoivent », ajoute-t-elle.

De son côté, Agnes Sunday, infirmière au Comprehensive Health Centre d’Azikoro, dans l’État de Bayelsa, précise que son établissement mène une campagne publique pour que chaque enfant éligible reçoive les quatre doses.

Près de 200 enfants reçoivent chaque semaine le vaccin antipaludique dans ce centre, ajoute-t-elle, soulignant toutefois que les parents ne doivent pas baisser la garde une fois leurs enfants immunisés.

« Nous envoyons des messages aux mères pour leur rappeler le moment d’amener leurs enfants recevoir la dose suivante. Nous les encourageons toujours à faire en sorte que leurs enfants complètent les quatre doses afin que le vaccin soit pleinement efficace.

« Nous conseillons également aux mères de protéger leurs enfants contre les piqûres de moustiques. Même s’ils ont été vaccinés, ils doivent continuer à dormir sous des moustiquaires imprégnées. Les parents doivent garder leur environnement propre et consulter un médecin dès qu’ils constatent des symptômes de paludisme chez leurs enfants », précise Sunday.

Les stratégies de mobilisation portent leurs fruits

D’importants progrès ont été accomplis dans les États de Kebbi et de Bayelsa depuis le lancement de la campagne de vaccination, avec « des milliers d’enfants éligibles » ayant déjà reçu la première dose, a déclaré Remi Adeleke, responsable des relations publiques de la National Primary Health Care Development Agency (NPHCDA), l’organisme chargé de coordonner la distribution des vaccins à l’échelle nationale, lors d’un entretien avec VaccinesWork.

« Les initiatives d’engagement communautaire ont renforcé la sensibilisation et l’acceptation du vaccin. La NPHCDA a activement collaboré avec les gouvernements des États, les chefs traditionnels, les professionnels de la santé et les organisations communautaires pour mobiliser la population. Des campagnes de sensibilisation via la radio, les réseaux sociaux et des canaux de communication interpersonnelle ont joué un rôle crucial dans l’adoption du vaccin.

« Le déploiement progresse progressivement vers d’autres États, conformément au plan d’extension du vaccin contre le paludisme au Nigeria. Nous renforçons également la chaîne du froid pour assurer la bonne conservation et le transport des vaccins, et nous formons les agents de santé pour soutenir l’administration du vaccin. La NPHCDA s’appuie sur la technologie pour assurer un suivi en temps réel et un contrôle efficace de la distribution du vaccin », a-t-il expliqué.

Adeleke a ajouté que la NPHCDA collabore avec les bailleurs et les partenaires pour obtenir des approvisionnements supplémentaires, afin de compléter le million de doses déjà reçues. Il a souligné que l’agence s’engage à rendre le vaccin antipaludique accessible à tous les enfants éligibles au Nigeria.

Le professeur Seiyefa Brisibie, Commissaire à la Santé de l’État de Bayelsa, a précisé que l’objectif est de vacciner 7 500 enfants par mois dans cet État et que plus de 98 % de ce chiffre ont été atteints durant le premier mois.

Il a ajouté que 7 371 enfants ont été vaccinés en décembre 2024 avec la première dose. « La deuxième dose a déjà commencé dans toutes les structures, et les enfants éligibles la reçoivent actuellement. L’équipe ACSM (plaidoyer, communication et mobilisation sociale) a organisé des rencontres de sensibilisation dans les districts, avec la participation de parties prenantes majeures. Il y a eu des défilés de rue, des programmes radio, des spots radio ainsi que des jingles télévisés pour encourager les parents à faire vacciner leurs enfants.

« Dans deux collectivités locales, nous avons testé une application de suivi numérique (e-tracking app) pour aider les parents à revenir à temps pour les doses suivantes. Nous utilisons également nos systèmes habituels de suivi de la vaccination de routine, comme les boîtes de rappel (tickler boxes) et la mobilisation porte-à-porte, afin de nous assurer que les familles reviennent pour les doses suivantes », a-t-il détaillé.

Le professeur Brisibie, spécialiste en médecine familiale, a indiqué que la Commission de santé primaire de l’État a mis en place un dispositif pour traiter les plaintes relatives aux effets indésirables post-vaccination (AEFI). Il souligne que les parents sont bien informés et invités à revenir dans les structures de santé s’ils constatent des symptômes chez leurs enfants.

« Des hôpitaux de référence sont désignés pour prendre en charge les cas sérieux sans aucun frais pour les parents. Les coûts liés au traitement des effets indésirables post-vaccination sont entièrement pris en charge par la commission de santé de l’État », a-t-il ajouté.

Un vaccin pédiatrique

Le coordonnateur national du Programme national pour l’élimination du paludisme (NMEP), le Dr Godwin Ntadom, a expliqué que les adultes vivant dans des zones endémiques développent une immunité partielle contre le paludisme après avoir été infectés à plusieurs reprises, ce qui réduit leur risque de décès comparé à celui des jeunes enfants.

« La majorité des décès dus au paludisme concernent des enfants de moins de cinq ans. Une fois qu’ils dépassent cet âge, le risque de mourir du paludisme diminue. Ce qui tue ces jeunes enfants, c’est l’infection palustre sévère. Elle devient compliquée, et l’enfant succombe à ces complications. Le vaccin agit en les protégeant contre les formes graves de paludisme.

« Nous avons commencé avec les États de Bayelsa et de Kebbi, et la campagne sera étendue à d’autres États. Le NMEP collabore avec la NPHCDA pour ce déploiement. Nous documentons également les défis rencontrés afin de les résoudre. Mais le vaccin est sûr, efficace, et c’est actuellement la meilleure option pour les enfants. L’objectif principal est d’assurer que les enfants de moins de cinq ans ne meurent pas du paludisme », a précisé le Dr Ntadom.