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Comment l'Afrique s'oriente vers une réponse locale aux urgences sanitaires

Un traité de libre-échange et les efforts visant à promouvoir la fabrication locale de produits de santé pourraient déboucher sur des solutions locales pour faire face aux futures urgences sanitaires.

  • 5 août 2024
  • 5 min de lecture
  • par Priya Joi
Alors que l'Afrique représente près de 20 % de la population mondiale, l'industrie du vaccin de ce continent ne fournit que 0,2 % de l'offre mondiale. Crédit : GAVI/SANOFI PASTEUR/2014
Alors que l'Afrique représente près de 20 % de la population mondiale, l'industrie du vaccin de ce continent ne fournit que 0,2 % de l'offre mondiale. Crédit : GAVI/SANOFI PASTEUR/2014
 

 

Depuis des années, l'Afrique dépend lourdement de l'importation de médicaments, de diagnostics et de vaccins pour répondre aux besoins sanitaires des 1,2 milliard d'habitants du continent.

Lorsque la pandémie de COVID-19 a bloqué le commerce international, cette dépendance extrême à l'égard des importations a rendu l'Afrique très vulnérable.

Aujourd'hui débute la mise en application du nouveau traité de libre-échange qui assouplira les droits de douane sur les échanges entre pays africains. Cette initiative coïncide avec l’adoption de mesures visant à renforcer la capacité du continent à fabriquer des fournitures médicales et à mettre en place des chaînes d'approvisionnement, ce qui pourrait radicalement changer la capacité de l'Afrique à subvenir à ses propres besoins en matière de santé.

« Ce dont on a besoin maintenant, c’est de financements constants et durables, d’engagements politiques, de la création de plateformes régionales, du développement de réseaux de transport et du renforcement des ressources humaines. »

– Jonta Kamara, King’s College Londres, Royaume-Uni

Dans une analyse publiée ce mois-ci dans Public Health Challenges, Jonta Kamara du King's College de Londres (Royaume-Uni) et ses collègues Ukeme Essien et Alain Labrique expliquent comment la zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf), qui fonctionne depuis le début de l’année 2021, pourrait élargir le marché africain des soins de santé.

L'amélioration des systèmes de santé en Afrique a débuté au lendemain de l'épidémie de maladie à virus Ebola de 2014 qui a ravagé le Libéria, la Guinée et la Sierra Leone. Le Centre africain de contrôle et de prévention des maladies (CDC Afrique) a été créé en 2017 pour aider les membres de l'Union africaine à mieux riposter aux épidémies. Lorsque la pandémie a frappé en 2020, le CDC Afrique a fourni aux pays une assistance stratégique, technique et logistique pour faire face à la menace.

Mais comme les pays africains importent près de 94 % de leurs fournitures médicales, 75 % des kits de dépistage, près de 95 % des médicaments et 99 % des vaccins, l’embargo imposé par certains pays producteurs a sérieusement limité la capacité du continent à riposter à la COVID-19.

Les échanges économiques à l'intérieur du continent ont également été asphyxiés par les droits de douane et les restrictions imposées aux échanges entre pays africains, ce qui explique que ces derniers commercent beaucoup plus avec les pays situés en dehors du continent qu’entre eux. Les échanges intra-africains ne représentent que 14 % du total des échanges africains, alors que les échanges intracontinentaux sont de 55 % en Asie, 49 % en Amérique du Nord et 63 % dans l'Union européenne. Les vols entre les pays africains peuvent être plus chers que les vols vers l'Europe, et les visas difficiles à obtenir.

Signée par 55 États membres de l'Union africaine, la ZLECAf devrait changer la donne. Le traité a créé un bloc économique de 3,4 billions de dollars qui pourrait devenir un acteur mondial important s'il bénéficie de l'impulsion et du soutien adéquats. Bien que les échanges aient techniquement débuté en 2021, ils n'ont réellement démarré que fin 2022 avec une poignée de pays à cause de la pandémie. Lors du tout premier échange effectué dans ce cadre, le Kenya et le Rwanda ont expédié des piles et du café au Ghana.

Ces efforts pour faciliter le commerce sont associés à des initiatives visant à stimuler l'innovation dans le secteur de la fabrication de produits de santé. En novembre 2021, le traité de l'Union africaine (UA) établissant l'Agence africaine du médicament (AMA) est entré en vigueur, en soutien au plan de fabrication de produits pharmaceutiques pour l'Afrique. En mai 2022, la Banque africaine de développement (BAD) a créé la Fondation africaine pour la technologie pharmaceutiques (APTF), qui vise à renforcer les capacités régionales d’innovation et de production dans le secteur pharmaceutique.

Pour les auteurs de l’article publié dans Public Health Challenges, la signature de traités et le lancement de nouvelles initiatives sont les bienvenus, mais ce qui est important, c’est que ces projets ambitieux soient suivis d'effets. « Ce dont on a besoin maintenant, c’est d’un financement continu et durable, d’engagements politiques, de la création de plateformes régionales, du développement de réseaux de transport et du renforcement des ressources humaines », affirme Jonta Kamara, cosignataire de l'article. « Les plateformes régionales auront un rôle particulièrement important, étant donné que les pays n'auront pas tous la capacité de produire eux-mêmes les médicaments et les vaccins dont ils ont besoin ». Il faut aussi, selon elle, investir dans les infrastructures logistiques de transport et disposer d'une main-d'œuvre qualifiée.

Alors que l'Afrique représente actuellement près de 20 % de la population mondiale, l'industrie du vaccin de ce continent ne fournit que 0,2 % de l'offre mondiale. Les dirigeants africains se sont engagés à porter à 60 % la part des vaccins, médicaments et diagnostics fabriqués localement en Afrique d'ici à 2040.

Approuvé par le Conseil d'administration de Gavi en 2023, l’Accélérateur de la production des vaccins en Afrique (AVMA, pour African Vaccine Manufacturing Accelerator) est un instrument de financement innovant, qui a été conçu pour soutenir dans la durée la croissance de la production de vaccins en Afrique. Ainsi, un milliard de dollars US seront mis à disposition à cet effet au cours des dix prochaines années. Ce mécanisme devrait permettre d’assainir le marché mondial des vaccins et de favoriser la prévention, la préparation, la riposte et la résilience aux épidémies et aux pandémies.

« Il faut continuer à développer des infrastructures publiques numériques ouvertes sur des bases solides – notamment établir des "points de départ" en matière de technologie et de contenu – afin d'accélérer l’adoption et la gestion de l’innovation au niveau local pour soutenir les objectifs de santé publique ».

– Alain Labrique, épidémiologiste spécialiste des maladies infectieuses, École de santé publique Johns Hopkins Bloomberg

Pour construire ses propres systèmes, le continent va avoir besoin de l’aide internationale reconnaît Ukeme Essien, anciennement à l'École de santé publique Johns Hopkins Bloomberg. « Ce soutien peut s’exercer de différentes façons : partage de propriété intellectuelle, accords de licence et renforcement de nos capacités grâce à des partenariats avec des experts extérieurs. »

Pour Alain Labrique, épidémiologiste spécialiste des maladies infectieuses à l'École de santé publique Johns Hopkins Bloomberg, le renforcement de la résilience des systèmes de santé publique, qui nécessitera « localement de solides capacités institutionnelles en matière de surveillance scientifique et réglementaire », aidera au développement de la production locale et créera les conditions propices à l'engagement du secteur privé en faveur des objectifs nationaux en matière de santé ».

Pour lui, « il faut continuer à développer des infrastructures publiques numériques ouvertes, sur des bases solides – notamment établir des "points de départ" en matière de technologie et de contenu – afin d'accélérer l’adoption et la gestion de l’innovation au niveau local pour soutenir les objectifs de santé publique ».