En Afrique, la résistance aux antimicrobiens dépasse désormais le paludisme, le VIH et la tuberculose en tant que principale cause de mortalité

La résistance aux antimicrobiens est une « pandémie silencieuse » qui met en danger des millions de vies en Afrique, selon un nouveau rapport.

  • 24 septembre 2024
  • 4 min de lecture
  • par Priya Joi
Une mère et son enfant lors du lancement du vaccin contre le paludisme au Soudan du Sud. Crédit : Gavi/2024/Achuoth Deng
Une mère et son enfant lors du lancement du vaccin contre le paludisme au Soudan du Sud. Crédit : Gavi/2024/Achuoth Deng
 

 

En Afrique, la résistance aux antimicrobiens (RAM) est devenue une cause de mortalité plus importante que le paludisme, le VIH ou la tuberculose, qui étaient jusqu’à présent les trois principales causes de décès sur le continent. En 2019, la RAM a été associée à environ 55 000 décès dus au VIH et 30 000 au paludisme. D’après une étude publiée dans The Lancet, on estime qu’en 2019, la RAM bactérienne a été responsable de 1,05 million de décès, dont 250 000 directement liés à cette résistance dans la région africaine de l’OMS.

Bien que la RAM soit une crise mondiale, l’Afrique subsaharienne en porte le fardeau le plus lourd, avec 23,7 décès pour 100 000 habitants, contre 5 pour 100 000 en Amérique du Nord, par exemple. On observe également que les décès liés à la RAM continuent d’augmenter en Afrique subsaharienne alors que ceux liés au VIH/sida et au paludisme sont en diminution.

Table: AMR in low-resource settings
Même si la RAM concerne autant les pays à hauts revenus que ceux à bas revenus, les pays à bas revenus supporte le fardeau le plus lourd.

 

Les réalités brutales de cette crise sont exposées dans un rapport marquant publié en août 2024 par le CDC Afrique, une agence de santé publique de l’Union africaine (UA). L’UA a consulté une série d’experts en santé publique, en microbiologie et en médecine vétérinaire pour offrir une analyse africaine de cette menace.

Ce rapport a été publié à un moment stratégique : la semaine prochaine, l’Assemblée générale des Nations Unies (AGNU) tiendra sa deuxième réunion de haut niveau sur la RAM, dans le but de galvaniser une action urgente contre cette menace. Les experts de santé de The Lancet plaident pour des objectifs ambitieux à atteindre d’ici 2030 : ils exhortent les dirigeants mondiaux à réduire de 10 % la mortalité liée à la RAM, de 20 % l’utilisation inadéquate des antibiotiques chez l’humain, et de 30 % leur usage chez l’animal.

L’urgence de la situation est indéniable, car selon le rapport, la situation en Afrique pourrait s’aggraver considérablement. D’ici 2050, la population africaine pourrait doubler et les décès liés à la RAM quadrupler, atteignant jusqu’à 4,1 millions par an.

En outre, les tendances macroéconomiques sur le continent, telles que le changement climatique, l’urbanisation (avec une croissance de 3,5 % par an d’ici 2050), l’économie largement agricole (17 % du PIB de l’Afrique subsaharienne, avec une hausse de 13 % de la productivité agricole sur cinq ans), ainsi que la propagation des maladies zoonotiques (en hausse de 63 % sur dix ans) contribueront à l’aggravation de la RAM.

Le rapport met en lumière la gravité de la situation en Afrique, où le poids de la RAM est particulièrement lourd en raison de la surutilisation des antibiotiques dans les soins de santé et l’agriculture, de mesures de prévention des infections inadéquates, et d’un manque de systèmes de surveillance robustes. Le rapport de l’UA révèle des données alarmantes sur les schémas de résistance et souligne l’impact disproportionné sur les populations vulnérables, notamment les enfants et les personnes âgées.

La lutte contre la RAM nécessite des financements, qui restent actuellement très inférieurs aux besoins. On estime que pour répondre efficacement à la RAM en Afrique, il faudrait entre 2 et 6 milliards de dollars par an. Pourtant, les financements actuels sont dix fois inférieurs à ceux consacrés à d’autres grandes luttes contre les maladies.

Le budget annuel estimé pour les plans d’action nationaux de lutte contre la RAM s’élève à seulement 100 millions de dollars, soit entre 1 et 5 % des besoins.

Les investissements dans ce domaine auraient d’importants effets positifs. Par exemple, des efforts dans les domaines de l’eau, de l’assainissement, de l’hygiène et de la prévention des infections permettraient de réduire sensiblement les cas d’infections et de décès dus aux maladies, tout en évitant potentiellement jusqu’à 20 % des décès liés à la RAM chaque année en Afrique.

Table: AMR mortality in sub-Saharan Africa
En 2019, l'Afrique subsaharienne supportait le plus lourd fardeau de la RAM, avec 23,7 décès pour 100 000 habitants et 255 000 décès attribués à la RAM.

 

L’un des points clés du rapport de 2024 est l’appel à une réponse unifiée des nations africaines. Il préconise le renforcement des plans d’action nationaux, en les alignant sur la stratégie continentale de l’UA contre la RAM. Cela implique notamment l’amélioration des capacités des laboratoires, une meilleure collecte et partage des données, ainsi que la promotion de programmes de gestion visant à garantir l’utilisation rationnelle des antimicrobiens. Le rapport insiste également sur l’importance des campagnes d’éducation du public pour sensibiliser à la RAM et à ses conséquences.

De plus, le rapport met en avant des exemples de pays africains, comme le Malawi et le Kenya, qui ont déjà réalisé des progrès significatifs dans la lutte contre la RAM. Ces succès montrent que le continent peut s’appuyer sur des modèles existants et des leçons précieuses pour d’autres pays qui doivent encore intensifier leurs efforts. Bien qu’il reste beaucoup à faire, ces exemples montrent que les pays africains ne partent pas de zéro.

Le rapport du CDC Afrique se veut un appel à l’action collective et souligne la nécessité d’une approche robuste et multidimensionnelle pour préserver l’efficacité des antimicrobiens pour les générations futures. « Si rien n’est fait », prévient le rapport, « la RAM plongera une grande partie de l’Afrique dans une extrême pauvreté et entraînera des pertes annuelles massives du produit intérieur brut. »