Comment le Soudan du Sud conserve les vaccins au frais, de l’aéroport jusqu’aux lieux de vaccination

Il n'est pas facile de maintenir une chaîne du froid sans interruption dans le pays le moins électrifié du monde, qui enregistre par ailleurs des températures ambiantes de l'ordre de 30 à 40 degrés Celsius pendant une grande partie de l'année. Winnie Cirino se penche sur la façon dont le Soudan du Sud y parvient.

  • 30 août 2024
  • 8 min de lecture
  • par Winnie Cirino
Lillian Juliie, responsable adjointe de la chaîne du froid, montre à Winnie comment utiliser les blocs réfrigérants. Crédit : Denis Logonyi
Lillian Juliie, responsable adjointe de la chaîne du froid, montre à Winnie comment utiliser les blocs réfrigérants. Crédit : Denis Logonyi
 

 

C'est le pays le moins électrifié au monde, où la température atteint périodiquement les 40 degrés durant la saison sèche. C’est sans doute l’endroit où il est le plus difficile de maintenir la chaîne du froid (réseau mondial de réfrigérateurs et de glacières permettant de conserver les vaccins à une température comprise entre +2°C et +8°C), depuis leur lieu de fabrication jusqu’au village le plus éloigné.

« Il nous faut agrandir l'entrepôt frigorifique pour pouvoir stocker plus de vaccins, et aussi établir de nouvelles chaînes du froid qui permettent d’obtenir des température négatives pour les vaccins qui doivent être conservés à des températures plus basses.

– Dr Atem Nathan, directeur général des soins de santé primaires au ministère de la Santé

Et pourtant, depuis 2016, le Soudan du Sud est arrivé progressivement à vacciner chaque année un nombre croissant d'enfants : 76 % d’entre eux ont reçu au moins une dose de vaccin en 2022. Comment le pays y parvient-il ?

Cartographie de la chaîne de distribution des vaccins

Chaque année, en septembre, le groupe de travail logistique du ministère de la Santé se réunit pour élaborer ses prévisions en matière de vaccination pour l'année à venir. Ces estimations constituent le plan directeur, qui sert de base au plan de livraison et détaille la manière dont les doses de vaccin vont être introduites et distribuées dans le pays.

Les vaccins sont achetés grâce au soutien de Gavi, l'Alliance du Vaccin, souvent avec la contribution du gouvernement du Soudan du Sud et avec l'aide d'autres partenaires, tels que l'UNICEF.

« Les vaccins arrivent à l'aéroport et sont ensuite acheminés vers l'entrepôt national des vaccins », explique Victor Sule, responsable de la vaccination à l'UNICEF. « Après inspection, les vaccins sont enregistrés et font l’objet de rapports sur leur réception. Ils sont ensuite stockés dans l'entrepôt national situé [à Djouba] dans le quartier de Konyokonyo, qui dispose de chambres froides et de chambres frigorifiques fonctionnelles pour le stockage des vaccins en vrac.

L’entrepôt national de Konyokonyo

À Konyokonyo, deux pharmaciens s'occupent de l'approbation des vaccins, tandis que deux techniciens gèrent les interventions techniques. Le Dr Atem Nathan, directeur général des soins de santé primaires au ministère de la Santé, décrit ainsi ces installations :

« Le centre dispose de quatre chambres froides, d’environ trois mètres sur deux chacune, équipées de dispositifs de contrôle à distance reliés à une unité centrale de surveillance. Ces détecteurs peuvent également envoyer des alarmes sur le téléphone des techniciens ».

Selon le Dr Nathan, le transport des vaccins de l'aéroport à l'entrepôt constitue déjà un véritable défi. « Nous n'avons pas de véhicule dédié au transport des vaccins. Parfois, ils restent sur le tarmac de l'aéroport dans l’attente d’un moyen de transport ».

Les vaccins sont heureusement livrés dans des caissons isolants et l'équipe de Konyokonyo trouve toujours un membre du personnel prêt à se dévouer pour aller chercher les vaccins. Mais, comme le souligne le Dr Nathan, un véhicule réfrigéré permettrait de consolider ce maillon faible de la chaîne. Patience Musanhu, qui dirige l'équipe de Gavi au Soudan du Sud, précise que Gavi a alloué un budget pour acheter des camions adaptés pour la distribution des vaccins. « Nous espérons que cela permettra de résoudre certains des problèmes auxquels le pays est actuellement confronté », ajoute-t-elle

A solar refigerator at Al Sabbah Hospital showing temperature. By Winnie Cirino
Réfrigérateur solaire à contrôle de température, à l'hôpital Al Sabbah.
Crédit : Winnie Cirino

Sachant qu'il est prévu d'introduire à l'avenir encore plus de vaccins, la capacité actuelle de l'entrepôt de stockage du Soudan du Sud est un autre sujet de préoccupation pour le Dr Nathan. « Il nous faut agrandir l'entrepôt frigorifique pour pouvoir stocker plus de vaccins, et aussi établir de nouvelles chaînes du froid qui permettent d’obtenir des températures négatives pour les vaccins qui doivent être conservés à des températures plus basses », note-t-il. La majorité des vaccins doivent être conservés à une température standard de deux à huit degrés Celsius, mais certains vaccins nécessitent des températures « ultra-basses ». Le Soudan du Sud n'a pas pu déployer le vaccin contre la COVID-19 de Pfizer en raison de ces problèmes de froid, souligne-t-il.

Une surveillance permanente

Néanmoins, le Soudan du Sud, qui a accédé à l'indépendance il y a à peine plus de dix ans, a beaucoup progressé dans le renforcement de son système de vaccination, notamment en développant la chaîne du froid à l'aide d'outils innovants.

Anthony Lomoro, technicien de la chaîne du froid, témoigne de l'impact révolutionnaire de certains dispositifs de pointe tels que le système de contrôle à distance de la température BeyondWireless. Ces dispositifs sont particulièrement importants au niveau du centre national de stockage, par lequel passent toutes les doses de vaccin. Des problèmes à ce niveau entraîneraient des problèmes à l'échelle du pays.

Technician Anthony showing the beyond wireless platform on a laptop
Le technicien Anthony Lomoro présente la plateforme de contrôle à distance BeyondWireless sur son ordinateur portable.
Crédit : Winnie Cirino

« Ces appareils ont amélioré notre travail de 90 % », déclare Anthony. Auparavant, il devait se rendre plusieurs fois par jour dans les chambres froides pour vérifier manuellement leur température à l'aide d'un thermomètre numérique placé dans chaque compartiment. Avec les nouveaux outils, plus intelligents, il peut accéder à distance à ces données cruciales.

« Je n'ai plus besoin d’aller en personne dans les chambres froides. J’ai juste à me connecter à l'ordinateur, qui fournit toutes les informations sur les différentes chambres froides, l'état de leurs capteurs, leur température et envoie des alertes en cas de défaillance dans certains secteurs particuliers », explique-t-il.

Grâce aux notifications instantanées qu’il reçoit sur son téléphone, Anthony est à même de résoudre rapidement les incidents qui peuvent être dus à une porte laissée ouverte par inadvertance ou à des dysfonctionnements techniques tels que des pannes de courant. « Je reçois immédiatement des alertes sur mon téléphone m'indiquant si les systèmes sont hors service en raison de problèmes d'alimentation électrique ou si une porte est restée ouverte. Il m'est ainsi facile d'identifier et de résoudre immédiatement les problèmes, même si je suis déjà rentré à la maison à la fin de ma journée de travail », souligne-t-il.

Les maillons de la chaîne

Les outils permettant d'économiser de la main-d'œuvre sont d'autant plus utiles que la chaîne du froid nationale manque de personnel, puisqu'elle ne compte que deux techniciens, qui interviennent également dans les centres de stockage des États fédérés et des comtés, ce qui limite la rapidité d’intervention.

En outre, les catastrophes naturelles, notamment les inondations, l’insuffisance des capacités de stockage ainsi que le manque d'entretien des équipements et le manque de pièces de rechange, affectent parfois les opérations.

« Pour éviter les problèmes dus à des pannes, nous mettons en place des installations de secours. Dans le pire des cas, nous réexpédions les vaccins vers les entrepôts d’État », révèle Anthony.

Des entrepôts d’État aux réfrigérateurs des comtés, jusqu’aux patients

Chaque trimestre, les vaccins sont livrés aux différents États fédérés du Soudan du Sud, sur la base des rapports trimestriels de l’état de leurs stocks. Pour les 37 comtés qui ne peuvent être livrés par la route, en raison de leur mauvais état ou de l'insécurité, les vaccins sont acheminés par largage aérien. Si le parachutage des vaccins améliore l'accès aux zones difficiles d'accès, il augmente également le coût de la vaccination.

Les États distribuent mensuellement les vaccins aux dépôts de la chaîne du froid des comtés. « Les entrepôts frigorifiques des comtés sont équipés de réfrigérateurs solaires à entraînement direct qui permettent de conserver les vaccins dans de bonnes conditions », explique Victor Sule. L'alimentation des réfrigérateurs par le soleil permet d'éviter de dépendre d'un réseau électrique très faible à certains endroits, et généralement peu fiable.

Il ajoute qu'au niveau des comtés, les vaccins sont également distribués chaque mois aux établissements de santé ou aux centres de vaccination.

Périodiquement, les auxiliaires sanitaires se rendent dans les communautés pour mener des actions de proximité, pour vacciner les enfants qui ne l’avaient pas été, soit qu’ils n’avaient pas fréquenté le centre de santé voisin soit qu'ils habitaient trop loin. Pour ce faire, les vaccinateurs utilisent des conteneurs passifs spécialement conçus pour maintenir les vaccins à la bonne température.

Ces « porte-vaccins » dans lesquels les vaccins sont conservés au frais grâce à des blocs de glace, sont utilisés en bout de chaîne du froid, par les équipes mobiles qui vont vacciner les enfants dans les différentes communautés », précise Victor Sule.

Les pastilles thermosensibles autocollantes apposées sur les flacons de vaccin permettent d’alerter les agents de santé en cas de défaillance des glacières susceptible d’entraîner la dégradation des vaccins. « Si l’indicateur thermique a changé de couleur, cela signifie que le vaccin a été exposé à une température supérieure à la température recommandée », explique-t-il.

Il existe un point où la couleur de la pastille de contrôle indique que le vaccin est inutilisable et qu’il faut le jeter. En-dessous de ce niveau, on peut considérer que le vaccin n'a pas été exposé à une chaleur excessive, et qu’il peut être utilisé. »

Cette méthode permet aux professionnels de santé de s'assurer que la chaîne du froid a bien été respectée pendant le transport et le stockage.

Du soleil pour produire du froid

Il fait très chaud au Soudan du Sud. En mars dernier, les écoles ont été fermées dans tout le pays en raison d’une météo annonçant des pics de +45°C.

À de telles températures, les vaccins thermosensibles perdent rapidement leur efficacité mais, d’après Victor Sule, cela se produit rarement car la chaîne du froid fonctionne généralement bien. De surcroît, c’est ce soleil brûlant qui fournit l’énergie qui alimente la majeure partie de la chaîne du froid du Soudan du Sud.

Soixante-dix-neuf des 80 entrepôts frigorifiques du Soudan du Sud sont équipés de réfrigérateurs solaires à entraînement direct (sans batteries) ; celui du comté de Bor attend d'être réparé, suite à un récent incendie qui a endommagé toute l'infrastructure du centre de santé. Le Dr Nathan souligne que le Ministère continue à donner la priorité à l’installation de nouveaux équipements sur différents sites, en fonction des besoins.

The National Cold Chain Store in Konyokonyo Solar Powered
L'entrepôt national de la chaîne du froid de Konyokonyo fonctionne à l'énergie solaire.
Crédit : Winnie Cirino 

« Chaque État dispose désormais d'une chaîne du froid dotée de réfrigérateurs et, à l'avenir, nous avons l'intention de les équiper de chambres froides afin d'accroître leurs capacités. Nous installons également des réfrigérateurs solaires dans les zones prioritaires », précise le Dr Nathan, et plus de 120 agents affectés à la chaîne du froid ont été formés à la gestion des petits problèmes de fonctionnement des réfrigérateurs solaires.

Le saviez-vous ?

Le travail de Gavi ne s'arrête pas à la livraison des vaccins, mais au point de vaccination. C’est pourquoi l’Alliance aide les pays à améliorer le transport des vaccins jusqu’aux destinataires ultimes.

Au Soudan du Sud, le soutien de Gavi a permis de fournir, depuis 2018, plus de 3 800 unités de chaîne du froid, qui équipent les États, les comtés et les établissements de santé

Quels en sont les résultats concrets ? Depuis 2019, le soutien de Gavi à la chaîne du froid du Soudan du Sud a permis d’administrer trois doses de vaccin pentavalent à 1 126 723 enfants, et de vacciner 1 077 579 enfants contre la rougeole.

En 2023, Gavi a contribué à former à la gestion de la chaîne du froid 33 membres du personnel du ministère de la Santé travaillant au niveau des États et des comtés.

Les nouvelles unités de la chaîne du froid (réfrigérateurs et glacières) qui seront reliées en 2024 au réseau tentaculaire des infrastructures permettront d’augmenter de 9 092 litres la capacité de stockage de vaccins des établissements de santé.

Victor Sule souligne également que les investissements dans l’énergie solaire se sont déjà révélés particulièrement rentables dans d’autres pays. « L'innovation au niveau de l’utilisation directe de l’énergie solaire [pour les réfrigérateurs et les congélateurs], dans laquelle le pays a investi avec le soutien de Gavi et de différents donateurs, a permis de garantir la qualité des vaccins utilisés dans ce cadre. On ne risque pas de subir des pannes ou de voir les vaccins exposés à la chaleur car les systèmes de stockage frigorifiques n’ont pas besoin de courant électrique », explique-t-il.

Il se félicite de l'importance accordée aux réfrigérateurs solaires par Gavi et les autres partenaires. L'ensoleillement quasi permanent permet une alimentation électrique fiable dans les pays chauds comme celui-ci.

De nouvelles innovations

D'autres améliorations sont en cours. Victor Sule indique que plus de 13 personnes ont été formées au système de gestion électronique des stocks récemment mis en place. « Ce système relie les mouvements aux niveaux infranational et national, ce qui permet au responsable national de connaître l’état des stocks à tous les niveaux. »

Pour améliorer le contrôle des stocks de vaccins, les professionnels de santé utilisent WhatsApp pour collecter des données au niveau des comtés à la fin de chaque mois.

« Les États et les comtés commencent à soumettre leurs données et il nous arrive d’en recevoir de 98 % d’entre eux chaque mois », explique Victor Sule. Ce processus en ligne a permis de remédier rapidement aux ruptures de stock.

« Ces innovations ont permis d’améliorer la rapidité avec laquelle les informations sont collectées. En effet, grâce au recueil des informations par WhatsApp, on connaît l’état des stocks dans les différents entrepôts dès la première semaine du mois, ce qui permet de prendre rapidement des décisions en cas de rupture de stock à un niveau quelconque », affirme-t-il.