Lutte contre la rage au Burkina Faso : enjeux, défis et stratégies de vaccination

Docteur en médecine vétérinaire, Madi Savadogo est chercheur en santé publique et en épidémiologie. Actuellement Directeur de la Santé Animale à la Direction Générale des Services Vétérinaires, il nous parle de la situation épidémiologique de la rage au Burkina Faso et des mesures de prévention.

  • 26 août 2024
  • 7 min de lecture
  • par Abdel Aziz Nabaloum
Dr Madi Savadogo. Crédit : Abdel Aziz Nabaloum
Dr Madi Savadogo. Crédit : Abdel Aziz Nabaloum
 

 

VaccinesWork : Un cheval mordu par un chien enragé a récemment été testé positif à la rage, déclenchant une série de mesures d'urgence par les autorités communales. Pouvez-vous nous rappeler ce qu'est la rage ?

Dr Madi Savadogo : La rage est une maladie virale qui affecte les animaux et peut être transmise à l'homme. Elle est particulièrement dangereuse car elle est mortelle : une fois que les symptômes apparaissent, la mort est quasiment inévitable. Cependant, cette maladie peut être contrôlée grâce à la vaccination, qui est efficace aussi bien pour les animaux que pour les humains. Administrer le vaccin après une exposition permet d’éviter l’apparition de la maladie dans 100 % des cas, même chez l’humain.

Comment cette maladie se transmet-elle ?

La rage se transmet principalement par la morsure ou la griffure d'un animal enragé, ou par le contact de la salive infectée avec une plaie ouverte. Plus de 90 % des cas de rage humaine sont dus à des morsures de chien. D'autres animaux domestiques ou sauvages, notamment les chats, les bœufs, les chevaux, les moutons, les ânes et les porcs, peuvent aussi transmettre la maladie.

Quel est le taux de vaccination contre la rage parmi les animaux et les humains au Burkina Faso ?

Il est difficile d’obtenir des données précises sur la population canine, car de nombreux animaux errent sans propriétaire. Bien que nous ayons des estimations, il n'existe pas d'études exhaustives sur l'ensemble de la population canine au Burkina Faso. Malgré nos efforts pour contrôler la rage, comme la mise à disposition de vaccins via les Directions Régionales de l’Agriculture, des Ressources Animales et Halieutiques, ainsi que les vétérinaires privés, il est souvent difficile de déterminer la proportion d'animaux vaccinés dans une région donnée.

Pour lutter efficacement contre la rage, il est essentiel de vacciner les carnivores domestiques. On peut vacciner les humains après chaque exposition ou morsure, mais tant que les animaux resteront porteurs de la maladie, des cas de rage persisteront chez les humains. 

Néanmoins, trois études menées en 2021 dans des zones restreintes montrent qu'à Ouagadougou, environ 30 % des chiens ayant un propriétaire connu étaient correctement vaccinés. À Bobo-Dioulasso, une autre étude a révélé que 25 % des chiens appartenant à des propriétaires étaient vaccinés. Une troisième étude, réalisée dans la région de la Boucle du Mouhoun, a montré que près de 8 % des chiens propriétaires étaient correctement vaccinés. On observe que la couverture vaccinale diminue en milieu rural. Ces données montrent que nous sommes encore loin de l'objectif : pour interrompre le cycle de transmission de la rage, il est nécessaire d'atteindre une couverture vaccinale d'au moins 70 % chez les chiens pendant cinq années consécutives.

Le Burkina Faso dispose-t-il de suffisamment de vaccins pour couvrir toute sa population animale et humaine ?

La disponibilité des doses reste un défi, car les ressources sont limitées. Pour la vaccination des animaux, chaque année, le ministère en charge des ressources animales acquiert des doses de vaccins, qui sont ensuite mises à disposition des services techniques déconcentrés. Cela permet aux propriétaires de chiens d'accéder facilement aux vaccins. En plus des services publics, les vétérinaires privés participent également à la distribution des vaccins. Bien que le vaccin soit disponible, il n'est pas encore en quantité suffisante pour couvrir toute la population canine d'un seul coup. Depuis 2022, un plan stratégique national intégré pour éliminer la rage humaine transmise par les carnivores domestiques a été mis en place. En parallèle, nous continuons de solliciter le soutien des partenaires pour améliorer la couverture vaccinale.

Combien de doses sont mises à votre disposition chaque année pour la lutte contre la rage ?

Chaque année, environ 50 000 doses de vaccins sont acquises pour vacciner les carnivores domestiques. Il s’agit d’un vaccin multidose subventionné par l’État, ce qui permet aux propriétaires de chiens de l’obtenir pour seulement 1 000 F CFA. Le secteur privé dispose également de ses propres circuits d'approvisionnement et d'importation de vaccins, sous le contrôle des services vétérinaires, afin de compléter l'effort de l'État.

Pourquoi la vaccination est-elle essentielle dans la lutte contre cette maladie mortelle ?

Le meilleur moyen de lutter contre la rage et de l'éliminer est la vaccination. De nombreux pays ont réussi à éradiquer la maladie en atteignant et en maintenant une couverture vaccinale d’au moins 70 % pendant cinq ans. Le Mexique est un exemple récent : en 2019, l’Organisation Mondiale de la Santé a reconnu que le pays avait éliminé la rage humaine transmise par les carnivores domestiques. Nous mettons en œuvre un plan stratégique pour atteindre ce taux de 70 % et maintenir cette couverture afin d'éliminer la rage au Burkina Faso. C’est un objectif réalisable ! Pour protéger la population contre cette maladie, il est essentiel de continuer à investir dans la vaccination des animaux, en particulier les carnivores domestiques comme les chiens, les chats, et certains animaux sauvages élevés en captivité.

Au Burkina Faso, la vaccination des animaux n'est pas encore une pratique courante. Comment incitez-vous les propriétaires à faire vacciner leurs animaux ?

Nous sensibilisons les propriétaires à l’importance de la vaccination antirabique. Il est également crucial que le vaccin soit accessible. Une fois les vaccins acquis par les services vétérinaires, ils sont distribués aux services techniques déconcentrés, publics et privés, en fonction des besoins. Le vaccin est acheminé jusque dans les villages les plus reculés afin de réduire la distance entre les propriétaires et les sites de vaccination, encourageant ainsi une plus grande participation. Les vaccins acquis par l'État sont subventionnés pour être financièrement accessibles aux propriétaires, qui n'ont pas toujours les moyens de les payer. Le format multidoses permet également de vacciner plusieurs animaux en même temps, ce qui réduit les coûts et facilite les campagnes de vaccination.

Quels sont vos objectifs pour protéger la population, sachant que le défi est de taille ?

Pour lutter efficacement contre la rage, il est essentiel de vacciner les carnivores domestiques. On peut vacciner les humains après chaque exposition ou morsure, mais tant que les animaux resteront porteurs de la maladie, des cas de rage persisteront chez les humains. L'objectif est donc d'augmenter la couverture vaccinale chez les animaux jusqu'à atteindre le seuil de 70 % nécessaire pour rompre le cycle de transmission.

En parallèle, il est crucial que les services vétérinaires et médicaux collaborent étroitement pour gérer chaque situation de rage de manière appropriée, ce qui est indispensable pour sauver des vies. S'il y a des cas d’exposition chez les humains, les professionnels de la santé humaine doivent pouvoir prévenir les cas potentiels en collaborant avec les services de santé animale pour observer les animaux mordeurs, confirmer les diagnostics en laboratoire et mener des enquêtes sur le terrain.

Heureusement, cette collaboration se renforce, notamment grâce à la Plateforme Nationale de Coordination One Health, mise en place en 2019 et maintenant fonctionnelle. La rage a été identifiée comme la deuxième zoonose prioritaire du pays, ce qui lui vaut une attention particulière et une collaboration accrue entre les acteurs de la santé humaine et animale pour faciliter son élimination.

Quel message souhaitez-vous adresser aux partenaires pour obtenir suffisamment de vaccins et vaincre la rage ?

L’État déploie beaucoup d'efforts pour lutter contre la rage, aussi bien chez les animaux que chez les humains. Dans le cadre de la mise en œuvre du Plan Stratégique National Intégré d’Élimination de la Rage Humaine Transmise par les Carnivores Domestiques au Burkina Faso, nous appelons les partenaires techniques et financiers à soutenir l’État dans cette lutte. Cet appel reste d’actualité, car la rage est une maladie grave et mortelle. Pour l'éliminer, nous devons unir nos efforts. Nous sollicitons donc l’appui des partenaires techniques et financiers pour l'acquisition de vaccins, afin d'améliorer la couverture vaccinale chez les carnivores domestiques et financer les différentes actions nécessaires pour éradiquer cette maladie, tant chez les animaux que chez les humains.

Propos recueillis par Abdel Aziz Nabaloum.


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