Doucement mais sûrement, la santé devient numérique à Djibouti

Le pays situé à la pointe de l’Afrique, particulièrement touché par le VIH, la tuberculose et le paludisme, fait également face à des difficultés d’accès aux soins et aux errances d’un suivi médical sur papier. Un jeune entrepreneur djiboutien a décidé d’accélérer la digitalisation du secteur en épaulant l’État et en mettant à disposition une plateforme de télémédecine.

  • 29 août 2024
  • 6 min de lecture
  • par Claudia Lacave
Un hôpital de Djibouti. Crédit: Claudia Lacave / Hans Lucas
Un hôpital de Djibouti. Crédit: Claudia Lacave / Hans Lucas
 

 

Depuis le 1er juillet, une centaine de patients bénéficient à Djibouti du suivi de leur diabète via une application mobile. Celle-ci leur permet des consultations en ligne, des soins à domicile et offre un dispositif de suivi glycémique en temps réel pour 27 000 francs djiboutiens (140 euros) par mois. Il ne s’agit que du dernier programme de l’entreprise d’e-santé Medyc, lancée en 2019 par l’entrepreneur de 27 ans, Moubarik Mahamoud. Il travaille à la digitalisation des services de l’État, au suivi des pathologies par télémédecine et à la mise à disposition de spécialistes étrangers. En matière de santé numérique, « à Djibouti, tout est à faire », affirme-t-il.

L’entreprise a été sélectionnée fin 2023 par la société taïwanaise d’investissement en start-up, ACE Capital, pour recevoir 100 000 €. Elle compte bien s’en servir pour développer ses programmes et ainsi améliorer l’accès aux soins. 

« Il y a un problème de suivi des personnes séropositives. Elles ne se font pas suivre régulièrement à cause de la stigmatisation, car même au sein du corps médical, le secret professionnel n’est pas toujours respecté. C’est la même chose en psychiatrie. »

– Moubarik Mahamoud, fondateur de l’entreprise d’e-santé Medyc

Le pays, d’environ un million d’habitants, compte 257 médecins en tout, dont 42 généralistes, d’après l’Annuaire des statistiques sanitaires 2022. Les disparités sont importantes. « En plus du problème d’accessibilité géographique, il y a dans les régions de l’intérieur des centres de santé fermés parce qu’il n’y a pas de personnel, au moins 1 ou 2 postes par région », détaille la Dre Josette Dedoh, du bureau de l’OMS à Djibouti. Le nombre de lits d’hospitalisation en région est en moyenne de 80, alors qu’il y en a 897 à Djibouti-ville, où vit 80 % de la population. La campagne est délaissée, faute d’un nombre de patients suffisant pour assurer le même salaire qu’en ville, notamment dans le secteur privé.

Le VIH, le paludisme et la tuberculose mais surtout les maladies non transmissibles

Moubarik Mahamoud s’attaque pour l’instant aux problèmes d’accessibilité en ville même. Le système djiboutien est composé de plusieurs niveaux, dont celui de la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS) qui, en échange d’une cotisation sur le salaire des employés, leur fournit une couverture gratuite de certains services et pathologies. Mais avec seulement quelques postes de santé et pharmacies dans le système, les longues files d’attente peuvent se révéler contraignantes, notamment pour les maladies chroniques comme le diabète.

« L’idée est de déplacer les infirmiers chez les personnes à mobilité réduite, de faire les prélèvements à domicile, puis un endocrinologue malien réalise une téléconsultation pour analyser les résultats et donner des conseils », explique le jeune homme, en indiquant que le pays compte à ce jour seulement trois spécialistes de ce type. L’équipe de Medyc s’approvisionne ensuite directement en médicaments et en bandelettes de test auprès du fournisseur pharmaceutique, et livre les 300 à 500 patients.

Medyc a également eu recours à des spécialistes étrangers pour d’autres projets, comme l’analyse des résultats de radiologie du Centre hospitalier universitaire (CHU) de Djibouti par des spécialistes marocains du CHU Ibn Sina. Le jeune homme envisage aussi la possibilité future d’assurer le suivi de certaines maladies discriminées, comme le VIH.

« Il y a un problème de suivi des personnes séropositives. Elles ne se font pas suivre régulièrement à cause de la stigmatisation, car même au sein du corps médical, le secret professionnel n’est pas toujours respecté. C’est la même chose en psychiatrie », affirme-t-il. En tout, 1 200 personnes sont inscrites sur la plateforme en ligne – en dehors du programme Liberté – avec une surreprésentation du diabète et de l’hypertension parmi les pathologies.

Alors que le gouvernement met l’accent sur les maladies transmissibles comme le VIH, le paludisme et la tuberculose – classifiées comme prioritaires – la population souffre particulièrement de maladies chroniques liées à la sédentarité, au chômage et à la consommation de khat. Les deux principales causes de décès en 2019, d’après l’OMS, étaient la cardiopathie ischémique et l’accident vasculaire cérébral, deux termes évoquant l’obstruction d’artères du cœur, principalement provoquée par le diabète, le cholestérol ou la tension artérielle. Chez les enfants de moins de 5 ans, c’est la malnutrition aiguë qui fait des ravages, atteignant 10 % de la population selon l’UNICEF.

« En tout cas, il est courant que les malades se présentent en consultation à un stade avancé de leur maladie, surtout avec les maladies chroniques et surtout avec les maladies non transmissibles », souligne la Dre Joumana Hermez, représentante de l’OMS à Djibouti. À cela s’ajoute le manque de formation des médecins à la détection de ces pathologies, ainsi que la rareté des spécialistes, ce qui allonge les délais de traitement. C’est donc sur les affections de longue durée (ALD) que Moubarik Mahamoud a décidé de se concentrer.

La numérisation sur tous les fronts

L’histoire commence en 2018 en Guinée, quand le jeune Djiboutien, alors étudiant en médecine, remarque la tendance des praticiens à réaliser le suivi des consultations et des examens grâce à une application de messagerie. Il décide de formaliser le processus. Après plusieurs tentatives et échecs, il revient dans la Corne de l’Afrique pendant la pandémie de COVID-19 et intègre la première promotion du Centre de Leadership et d’Entreprenariat (CLE). Très vite, les missions s’enchaînent et le gouvernement fait appel à lui. Accompagnement de la digitalisation des services de santé du ministère, outils de communication en ligne pour la CNSS, suivi par visioconférence des grossesses à risque et rappel automatisé des vaccins infantiles pour l’hôpital Dar al Hanan : les applications de la santé numérique se révèlent multiples et nécessaires.

La Dre Joumana Hermez appuie : « Oui, la digitalisation va changer la façon dont on fournit les services de santé. Ces plateformes digitales peuvent répondre à beaucoup de problèmes, même pour former les travailleurs de santé. » Connecter les patients djiboutiens pourrait pallier les longues distances de voyage vers les centres équipés ou le risque de déperdition d’informations dans le parcours de soins sur papier. Mais face à cet espoir, la représentante de l’OMS insiste sur la nécessité d’une préparation adéquate, notamment pour assurer la qualité et la confidentialité des données personnelles récoltées, à travers l’établissement de normes et standards validés par les autorités. Un processus long et coûteux, dans un contexte où l’accès au réseau et aux outils numériques reste difficile.

Environ 85 % du territoire habité est aujourd’hui couvert par le réseau 4G, d’après le gouvernement, mais le taux d’accès à internet s’élevait à 59 % de la population en 2019 et seulement 4,4 % des habitants possèdent un smartphone. Moubarik Mahamoud reconnaît ces limites de connectivité et a eu l’idée d’utiliser Starlink. Ce fournisseur d’accès par satellite indépendant, de la société américaine d’Elon Musk, SpaceX, permet d’installer des bornes internet sans difficultés techniques. Le projet pilote, en collaboration avec le ministère de la Santé, prévoit l’installation de trois appareils qui, connectés à un ordinateur et alimentés par panneau solaire, permettront à des infirmiers locaux d’amener la médecine par téléconsultation dans les endroits les plus reculés de Djibouti.


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