Vaccins contre le choléra : répondre à une demande mondiale en pleine expansion

À l’heure où la demande mondiale de vaccins contre le choléra atteint des niveaux sans précédent, EuBiologics se trouve être le principal fournisseur en période d’épidémie. Rachel Parks, directrice des affaires internationales, explique les stratégies mises en place pour accroître l’offre mondiale.

  • 16 septembre 2024
  • 6 min de lecture
  • par Linda Geddes
Euvichol-Plus. Gavi/2018/Duncan Graham-Rowe
Euvichol-Plus. Gavi/2018/Duncan Graham-Rowe
 

 

La demande de vaccins oraux contre le choléra est aujourd’hui plus forte que jamais, mais cela est relativement récent. Qu’est-ce qui a provoqué cette hausse soudaine ?

Le changement climatique, la pauvreté, les conflits, une meilleure disponibilité des vaccins oraux contre le choléra et les efforts croissants de sensibilisation à leur importance par les acteurs internationaux ont tous contribué à cette augmentation de la demande.

Trois vaccins ont obtenu la préqualification de l'OMS. Le premier, Dukoral, a été approuvé en 2001. Cependant, il est coûteux et nécessite l’utilisation d’une solution tampon, ce qui le rend peu pratique en situation d’urgence, limitant ainsi son utilisation.

Le second vaccin, Shanchol, fabriqué par Shantha Biotechnics, est plus abordable et mieux adapté aux campagnes de vaccination réactives. Toutefois, la production restait limitée à 2 à 3 millions de doses par an, ce qui a restreint l’accès à de nombreux pays et freiné la demande.

EuBiologics est entré sur le marché en partenariat avec l'Institut international des vaccins (IVI), et notre vaccin, Euvichol, a reçu la préqualification en décembre 2015, avec une capacité initiale de 6 millions de doses par an, qui a considérablement augmenté depuis. Il a fallu du temps pour que les acteurs mondiaux, tels que la Fondation Gates, Gavi et l'UNICEF, sensibilisent sur l'importance des vaccins oraux contre le choléra. Ce travail, combiné aux événements climatiques extrêmes comme les inondations et les cyclones, a été l'un des principaux moteurs de la hausse de la demande.

D’autres facteurs, comme la pauvreté et les conflits, jouent également un rôle important. Le choléra est lié aux problèmes d’assainissement, et les populations de réfugiés ou de migrants, en cas de surpopulation et d’accès insuffisant à l’eau, sont particulièrement vulnérables. L'urbanisation rapide, entraînant la croissance de bidonvilles sans infrastructures sanitaires adéquates, contribue également à la propagation de la maladie.

We expect our overall capability to produce oral cholera vaccine to increase to more than 50 million doses in 2024, to more than 70 million doses in 2025, and to more than 90 million doses by 2026.

Au fil des ans, vous avez apporté plusieurs améliorations à votre vaccin oral contre le choléra. Comment ces changements ont-ils contribué à augmenter l'approvisionnement et à faciliter la distribution ?

Nous avons travaillé activement pour augmenter notre capacité de production annuelle, tout en optimisant la formulation du vaccin. L'une des principales améliorations a été l'élimination du thimérosal, un conservateur. Nous avons jugé qu'il était préférable de s'en passer, d’autant que notre vaccin, Euvichol, est administré en dose unique, ce qui rend l'utilisation d'un conservateur superflue.

Un autre changement majeur a été la modification du conditionnement, passant des flacons en verre aux tubes en plastique. Ce changement a plusieurs avantages : il réduit le volume de 30 % et le poids de 50 % par rapport aux flacons en verre, ce qui facilite grandement la logistique. De plus, les travailleurs de terrain nous ont rapporté que l’ouverture des flacons en verre était parfois difficile – ils devaient utiliser des pinces ou risquaient de se blesser les doigts. Les tubes en plastique, en revanche, sont plus simples à ouvrir grâce à un système de bouchon tournant et facile à casser.

En parallèle, nous avons aussi investi dans un fermenteur de 600 litres et effectué des ajustements continus pour améliorer notre rendement. Cela nous a permis de porter progressivement notre capacité à 33 millions de doses, avant d'obtenir la préqualification pour la dernière formulation de notre vaccin oral contre le choléra, Euvichol-S.

En avril 2024, l'OMS a préqualifié Euvichol-S. Quelles sont les différences avec les versions précédentes ?

Euvichol est un vaccin à cellules entières inactivé, contenant des bactéries Vibrio cholerae tuées. Notre version précédente, Euvichol-Plus, incluait cinq souches inactivées par la chaleur et le formol : deux du sérotype Inawa, deux du sérotype Ogawa, ainsi qu'une souche 0139. Toutefois, la souche 0139 n'a pas été observée depuis un siècle, il n'est donc plus nécessaire de l'inclure. Nous avons également estimé qu'une seule souche d’Inawa et une seule souche d’Ogawa seraient suffisantes.

Euvichol-S est une version simplifiée, contenant uniquement ces deux souches, inactivées par le formol. Un essai clinique de phase 3 mené au Népal a confirmé que cette version n’est pas inférieure à Shanchol en termes d’immunogénicité et de sécurité.

La simplification d’Euvichol-S permet d’augmenter notre capacité de production de 40 %. Avec le soutien de la Fondation Gates, nous avons également entrepris l’agrandissement de notre usine. Nous prévoyons ainsi de produire plus de 50 millions de doses en 2024, 70 millions en 2025, et jusqu’à 90 millions de doses d’ici 2026. Ces efforts devraient contribuer à alléger les tensions mondiales sur l'approvisionnement en vaccins contre le choléra.

Lancer un nouveau vaccin sur le marché est un défi en soi, et vous avez dû faire face à la pandémie de COVID-19. Comment cela a-t-il affecté vos activités ?

Les mesures prises pour limiter la propagation de la COVID-19 ont presque complètement stoppé la demande de vaccins oraux contre le choléra au plus fort de la pandémie. Bien que nous ayons d'autres vaccins en développement, Euvichol est notre seul produit sur le marché, et à ce moment-là, nous étions en pleine augmentation de notre capacité de production. Cela a créé une situation très difficile pour nous. Heureusement, Gavi et l’UNICEF sont intervenus en proposant des paiements anticipés pour notre vaccin contre le choléra, ce qui nous a permis de poursuivre notre expansion et de rester viables malgré la baisse de la demande liée à la pandémie.

EuBiologics est aujourd’hui le seul fournisseur de vaccins contre le choléra en cas d’épidémie, après le retrait de Shantha Biotechnics du marché en 2022. Est-ce un avantage ou une contrainte ?

Idéalement, un marché de vaccins sain nécessite plusieurs fournisseurs. Si un pays demande à l'OMS combien de doses de vaccins oraux contre le choléra sont disponibles et qu'on lui répond que le stock est limité, il peut réviser sa demande en fonction de cette pénurie, sachant qu'il ne recevra pas assez de doses.

De plus, certains pays ont obtenu l'approbation pour des campagnes de vaccination préventive, mais doivent attendre la livraison des vaccins en raison de l'insuffisance de l'offre. Si un autre fabricant venait à augmenter l'offre, cela permettrait de faire croître le marché et d'engager une concurrence saine, ce qui serait bénéfique pour tous.

Que peut faire la communauté de la santé mondiale pour aider les fabricants comme EuBiologics à maximiser la production de vaccins ?

Dans les premières années, la demande de vaccins oraux contre le choléra a été inférieure aux attentes, ce qui a rendu la planification de la production difficile.

En 2022, le Groupe international de coordination, qui gère les stocks d'urgence de vaccins, a décidé de suspendre la stratégie habituelle à deux doses pour le choléra, optant pour une seule dose en cas d’épidémie. Cette décision, prise suite à une recommandation du Groupe stratégique consultatif d’experts (SAGE) de l'OMS, était due aux contraintes d’approvisionnement. Depuis, aucune campagne de prévention n’a été menée, car la demande liée aux épidémies est devenue prioritaire.

Le problème avec les campagnes réactives, c'est qu'elles sont imprévisibles. Dans le cadre de campagnes de prévention, nous pouvons planifier la production en fonction de la demande anticipée. En revanche, les campagnes d'urgence, déclenchées par des épidémies, rendent la demande instable et difficile à prévoir.

Nous produisons actuellement à pleine capacité en fonction des demandes des acteurs mondiaux, avec l’assurance que les vaccins seront utilisés à un moment donné. Cependant, en tant qu'entreprise, nous avons besoin d’un flux de trésorerie constant pour garantir notre pérennité. C’est pourquoi nous espérons un retour des campagnes de prévention, qui offriraient plus de stabilité à la production et à la distribution des vaccins.