Frappée par une épidémie, la population du Zimbabwe accueille les vaccins contre le choléra à bras ouverts

La crainte d'une répétition de l'épidémie dévastatrice de 2008 s'estompe alors que les habitants accueillent chaleureusement le déploiement de 2,3 millions de doses de vaccin oral contre le choléra.

  • 20 août 2024
  • 6 min de lecture
  • par Elia Ntali
Une infirmière à la polyclinique de Kuwadzana. Crédit : Elia Ntali
Une infirmière à la polyclinique de Kuwadzana. Crédit : Elia Ntali
 

 

Deux semaines après le début de la campagne de vaccination orale de masse contre le choléra au Zimbabwe, les responsables de la santé déclarent que le taux de participation dans les zones ciblées est "encourageant", avec des signes précoces de ralentissement de la transmission de la maladie. Les populations touchées par l'épidémie dans la capitale du pays se disent soulagées.

L'infection diarrhéique mortelle, qui se propage par l’ingestion d'aliments ou d'eau contaminés, a tué plus de 400 personnes au Zimbabwe depuis février 2023, et en a infecté plus de 22 000 en un an.

« Je me souviens de l'épidémie de choléra de 2008 et je ne voulais pas risquer ma vie en refusant la vaccination après ce que j'avais vu à l'époque. »

- Cleopas Dzamtusana, Kuwadzana, Harare

Les mesures mises en place, qui vont de la limitation des rassemblements au forage de puits pour disposer d’une eau plus pure n'ont pas permis de vaincre l'épidémie, mais l'attribution de plus de 2,3 millions de doses provenant du stock mondial de vaccins oraux contre le choléra (OCV) financé par Gavi suscite l'espoir d'un retour à la vie normale.

« Un immense soulagement »

Dans le quartier de Kuwadzana à Harare, point chaud du choléra où la première dose de la campagne actuellement en cours a été administrée le 29 janvier, Cleopas Dzamutsana, 65 ans, ne voulait prendre aucun risque.

« Je me souviens de l'épidémie de choléra de 2008 et je ne voulais pas risquer ma vie en refusant la vaccination après ce que j'avais vu à l'époque », a-t-il déclaré. Cette épidémie, la plus meurtrière du Zimbabwe, n'avait pas fait l'objet d'une campagne de vaccination de masse réactive ; elle a coûté la vie à près de 4 300 personnes. D’après les chercheurs, une vaccination réactive aurait pu éviter entre 1 320 et 2 920 décès lors de cette crise de santé publique très complexe.

« C'est un énorme soulagement que le gouvernement se soit engagé dans cette voie [le déploiement des vaccins] pour éviter le pire. Je suis heureux d'avoir été vacciné ainsi que ma famille », reconnaît Cleopas.

Pour Stella Sibindi, 38 ans, qui vit à Glen View dans la banlieue de Harare, la capitale du Zimbabwe, les vaccins auraient dû être disponibles depuis longtemps.

« C'est un énorme soulagement pour nous et pour toutes les communautés affectées. Depuis l'apparition de l'épidémie, nous vivons dans la peur. Nous avons perdu trois membres d'une même famille en l'espace de deux semaines, ce qui a bouleversé notre communauté ».

Le spectre de 2008 hantait Stella, qui estime que les mesures préventives prise par le gouvernement ont permis d'éviter la catastrophe.

« Notre mode de vie a été profondément perturbé », confie-t-elle. « Nous passons désormais la majeure partie de notre temps confinés à la maison. Nous espérons qu’avec l'arrivée des vaccins, nous pourrons à nouveau vivre normalement. »

Questions à un spécialiste : Francisco Luquero, responsable de la gestion des épidémies à fort impact chez Gavi

VW : Plusieurs pays de la région connaissent actuellement des épidémies de choléra à grande échelle. Disposons-nous de suffisamment de vaccins pour juguler ces crises ?

FL : L'offre de vaccins s'est considérablement élargie ces dernières années. Le stock mondial avait déjà permis de distribuer un demi-million de doses de vaccins oraux contre le choléra en 2013. L'année dernière, il en a distribué 35 millions. Cette année et l'année prochaine, la tendance à la hausse va se poursuivre, avec l'augmentation des volumes de vaccins acheminés vers les pays.

L'augmentation de la demande s'explique par une croissance alarmante du nombre et de l'ampleur des épidémies, ainsi que par un intérêt accru de la part des gouvernements des pays concernés à déployer des vaccins pour aider à les enrayer.

C'est une bonne chose que de pouvoir utiliser les vaccins contre le choléra. Mais ce n’est pas la solution miracle et il ne faut pas les utiliser seuls. Nous savons d’ailleurs tenir le cholera à distance depuis les années 1800, bien avant que l’on dispose de vaccins. En d'autres termes, les vaccins ne peuvent pas, à eux seuls éliminer le choléra.

Les enseignements de la COVID-19

Comme la plupart des jeunes de son âge, Tanaka Mushandike, 20 ans, a vu sa vie marquée par les épidémies. « En ce qui concerne les vaccins : Je pense que la COVID nous a appris à ne pas risquer nos vies en ignorant ces interventions », a-t-elle déclaré à VaccinesWork. « Je suis heureuse d'avoir été vaccinée et la plupart de mes amies ont également pris leur dose. Pour l'instant, nous espérons voir une amélioration et nous continuons à respecter les règles d’hygiène. »

« Notre mode de vie a été profondément perturbé ; nous passons désormais la majeure partie de notre temps confinés à la maison. Nous espérons qu’avec l'arrivée des vaccins, nous pourrons à nouveau vivre normalement. »

- Stella Sibindi, Glen View, Harare

Pour Marvelous Mufandaedza, l'un des agents de santé communautaire en première ligne de la campagne de vaccination porte-à-porte, l'adoption du vaccin par la population a été "au-delà de toute attente".

« Contrairement à ce qui s’était passé en 2008, où les problèmes sociopolitiques étaient nombreux, nous avons eu l'occasion de dialoguer avec les citoyens et de les sensibiliser. Nous avons travaillé jour et nuit pour informer la population du lancement de la campagne de vaccination et nous sommes ravis que voir que tout le monde, de tous les horizons, a reçu ses doses.

« Nous nous sommes déplacés dans les communautés pour distribuer des brochures et montrer comment se laver les mains. Notre tâche consistait à organiser des campagnes en porte-à-porte pour transmettre les grands messages sur l'hygiène de base et la prévention du choléra », a-t-il ajouté.

Questions à un spécialiste : Francisco Luquero, responsable de la gestion des épidémies à fort impact chez Gavi

VW : Quelle est l'importance du moment choisi pour mener les campagnes de vaccination réactive ?

FL : Le timing et le ciblage géographique sont tous deux très importants. L'administration rapide du vaccin aux populations concernées permet non seulement de sauver des vies dans l'immédiat, mais aussi de prévenir la propagation de l’épidémie. Pour pouvoir élaborer une bonne stratégie de vaccination, il faut disposer de tests rapides de diagnostic. À la fin de l'année dernière, 15 pays ont obtenu le soutien de Gavi pour l'achat de tests de diagnostic rapide. Cela permettra de s'assurer que les doses sont administrées au bon endroit et au bon moment de façon à obtenir un impact maximal, ce qui aura des effets bénéfiques plus larges sur les autres interventions de prévention et de lutte contre le choléra.

Il faudrait aussi pouvoir réduire le délai entre la détection de l’épidémie et le déploiement des vaccins. Dans certains pays, cela peut prendre des mois, ce qui signifie qu'au moment où les vaccinations peuvent commencer, l'épidémie s'est aggravée, plus de communautés sont atteintes et il faut encore plus de vaccins.

Les vaccins font gagner du temps

S'exprimant lors du lancement de la vaccination orale contre le choléra à Harare, le Dr Prosper Chonzi, directeur du département de la santé de la ville de Harare, a précisé que la vaccination ne remplaçait pas les mesures d'hygiène qui peuvent pratiquement annuler le risque de transmission de la bactérie par l'eau.

« La campagne de vaccination constitue une mesure supplémentaire. Mais elle ne remplace pas les bonnes pratiques d’hygiène personnelle, l’accès à l'eau potable, et encore moins l’amélioration des infrastructures d'assainissement et de la gestion des déchets solides et des eaux usées », a déclaré le Dr Chonzi.

S'adressant aux journalistes à Harare mardi, le Dr Isaac Phiri, chargé de la gestion des problèmes de choléra au sein du ministère de la Santé et de la protection de l'enfance (MoHCC), a déclaré que les taux de vaccination avaient été remarquables dans les zones visées où la vaccination avait déjà eu lieu.

« Le taux de vaccination est encourageant et nous n'avons pas rencontré de poches de résistance », a-t-il précisé. « Ainsi, une campagne de ratissage a été menée à Harare, parce que tous les vaccins distribués avaient été administrés. À ce jour, le taux d'utilisation des vaccins dans les zones ciblées est de 89 à 90 %. »

« À ce jour, le taux d’utilisation des vaccins dans les zones ciblées et de 89 à 90 %. »

- Dr Isaac Phiri, ministère de la Santé et de la protection de l'enfance

Le Dr Phiri a également noté qu'au cours de la première semaine suivant le début de la campagne, les villes de Chitungwiza et Harare avaient enregistré une baisse sensible du nombre de nouveaux cas par rapport à la semaine précédant le coup d'envoi de la campagne.

Le Zimbabwe a déjà reçu 1 884 536 doses de vaccin et un dernier lot de 418 612 doses, en cours d’expédition en trois fois, devrait arriver dans le pays le 17 février 2024, en complément des 2 303 248 doses approuvées pour la campagne réactive en cours.

Questions à un spécialiste : Francisco Luquero, responsable de la gestion des épidémies à fort impact chez Gavi

VW : Avec le changement climatique, le choléra risque de devenir un problème de plus en plus pressant dans de nombreuses régions du monde. La vaccination préventive peut-elle changer la donne ?

FL : Absolument. La mise en œuvre de stratégies de vaccination préventive solides dans le cadre de plans multisectoriels de prévention et de contrôle est le meilleur moyen de réduire à la fois la survenue et la propagation des épidémies, et d'améliorer la prévisibilité de la demande de vaccins, ce qui nous permettra de disposer de suffisamment de vaccins pour répondre à la demande générée par cette maladie explosivement contagieuse. À l'heure actuelle, notre stock est déployé à 100 % pour aider à contenir les épidémies, c'est pourquoi il est essentiel de continuer à augmenter l'offre, pour que nous puissions reprendre les campagnes de vaccination à visée préventive.