Oreillons : L'histoire du deuxième des vaccins le plus rapidement mis au point

Pour Maurice Hilleman, l'invention du vaccin contre les oreillons est le résultat d’une combinaison d’une bonne démarche scientifique et de l’art d’être de bons parents. Jusqu'à l’arrivée des vaccins contre la COVID-19, le développement du vaccin contre les oreillons avait été le plus rapide de toute l'histoire.

  • 23 octobre 2023
  • 7 min de lecture
  • par Maya Prabhu
Cette photographie de 1966 qui accompagnait le communiqué de presse de Merck annonçant le succès du vaccin contre les oreillons, montre Jeryl Lynn réconfortant sa sœur Kirsten en pleurs, qui vient d’être vaccinée avec la souche Jeryl Lynn par le Dr Robert Weibel. Crédit : Musée national d'histoire américaine
Cette photographie de 1966 qui accompagnait le communiqué de presse de Merck annonçant le succès du vaccin contre les oreillons, montre Jeryl Lynn réconfortant sa sœur Kirsten en pleurs, qui vient d’être vaccinée avec la souche Jeryl Lynn par le Dr Robert Weibel. Crédit : Musée national d'histoire américaine
 

 

C’était en 1963, dans la banlieue de Philadelphie. Une petite fille de cinq ans, dénommée Jeryl Lynn, se réveille malade au milieu de la nuit, et court hors de sa chambre pour appeler son papa. « Oh mon Dieu, elle avait un cou gros comme ça », raconte son père, Maurice Hilleman, des dizaines d'années plus tard, mimant par gestes un gonflement au niveau de l’angle de la mâchoire. J'ai dit1 : « Merde, tu as les oreillons ».

Aujourd'hui octogénaire, avec ses cheveux blancs, son air de chien battu et ses lunettes sur le bout du nez, il se souvient en riant : « Je lui ai dit : - Retourne dans ton lit. Il était environ une heure du matin. Je suis allé au laboratoire récupérer le matériel pour lui faire des prélèvements de gorge que j’ai rapportés au laboratoire ; et je les ai congelés ».

En termes de rapidité, la mise au point du vaccin contre les oreillons allait constituer son record - record que personne n’arrivera à battre -jusqu'à ce que le monde entier consacre toutes ses ressources scientifiques et financières à la mise au point d'un vaccin contre la COVID-19.

Ce genre de réaction n’est pas courant chez les parents, mais elle n’a probablement pas choqué Jeryl, qui a grandi dans un milieu ou interférons, poly (I:C) et politique interne du Bureau des produits biologiques – ancêtre de la FDA – étaient des sujets de conversation tout à fait courants autour de la table.

Hilleman dirigeait la division Recherche sur les vaccins et les virus de l’entreprise pharmaceutique Merck, mais il n’abandonnait pas sa casquette de scientifique quand il rentrait à la maison. Les visites au cimetière avec ses filles, sur la tombe de sa première femme Thelma, décédée d'un cancer du sein quelques mois avant les oreillons de Jeryl Lynn, se transformaient en expéditions pour capturer des insectes dans du formaldéhyde, se souviendra Kirsten, la sœur cadette de Jeryl. « Il voulait que tout le monde apprenne et aime la science », explique Jeryl.

Né dans l’État rural du Montana en 1919, en plein milieu de la pandémie de grippe la plus meurtrière jamais enregistrée, Hilleman a grandi dans une ferme, ce qui ne le prédisposait pas vraiment à passer sa vie derrière un microscope. Mais il découvre Darwin, ce qui lui ouvre les portes d’un autre monde, plus rationnel que la cosmologie luthérienne de sa famille, et lui permet ensuite d’obtenir une bourse d'études de l'État du Montana pour apprendre la chimie et la microbiologie.

Il était doué et travaillait dur - la rude vie de fermier a été pour lui, dit-il, un terrain d’apprentissage très fertile, car « cela vous transforme en bourreau de travail – il le fallait bien, pour survivre » - et il est sorti premier de sa promotion. Il a ensuite obtenu son doctorat à l'université de Chicago sur un sujet tout à fait novateur, les chlamydias, après quoi le monde universitaire lui a ouvert ses portes. Mais Hilleman était pressé et voulait faire des choses pratiques, alors il s'est lancé dans l'industrie et a commencé à mettre au point des vaccins.

Quand la petite Jeryl l'a réveillé pour lui dire qu'elle avait mal à la gorge, Hilleman avait 43 ans et avait déjà accumulé un grand nombre de succès scientifiques. Il avait mis au point un vaccin contre l'encéphalite japonaise B, découvert que les virus de la grippe « présentaient des changements antigéniques mineurs graduels et progressifs ponctués de rares changements majeurs », ce qui constituerait à l'avenir la base des stratégies de vaccination contre la grippe ; il avait découvert les adénovirus et produit un vaccin contre la grippe pour enrayer une pandémie naissante.

Et il n'avait pas l'intention de se reposer sur ses lauriers. « Mon but, c’était de vaincre les maladies infantiles », a reconnu Maurice Hilleman. Considéré par ses collègues comme un homme bourru, sans état d'âme et, ce qui est assez amusant, incorrigiblement grossier, Hilleman aimait les enfants et était, selon sa fille Kirsten, « un papa très gentil ». Roy Vagelos, devenu directeur des laboratoires de Merck en 1975, disait de Hilleman : « De tous les grands chercheurs que j'ai rencontrés, c’était le plus déterminé à éradiquer les maladies qui frappent l’humanité ». Selon Vagelos, sa liste de cibles à combattre comprenait « pratiquement toutes les maladies connues ». À sa mort, en 2005, il avait à son actif la mise au point d'une quarantaine de vaccins, dont neuf parmi les vaccins essentiels pour les enfants.

En termes de rapidité, la mise au point du vaccin contre les oreillons allait constituer son record - record que personne n’arrivera à battre -jusqu'à ce que le monde entier consacre toutes ses ressources scientifiques et financières à la mise au point d'un vaccin contre la COVID-19.

Trois ans seulement après cette fameuse nuit où son père avait dû parcourir près de 25 km pour aller déposer le virus de Jeryl dans le congélateur des laboratoires Merck2, Kirsten Hilleman, âgée d'un an, était vaccinée avec le candidat vaccin que son père avait fabriqué. En 1967, le vaccin était commercialisé dans une boîte bleue et blanche sur laquelle on pouvait lire : « Vaccin contre les oreillons, souche Jeryl Lynch » : « Il trouvait que ça faisait bien », dira plus tard Jeryl en riant à propos du nom du produit.

Les oreillons étaient très fréquents à cette époque et généralement bénins, mais ils pouvaient, dans une minorité de cas, être à l’origine d’encéphalite ou de surdité. Chez les hommes atteints après la puberté, les oreillons entraînent souvent une orchite, inflammation douloureuse des testicules, qui peut les rendre stériles. Chez les femmes enceintes, les oreillons peuvent impacter le fœtus ou même entraîner sa mort. Mais l’infection naturelle confère également une immunité durable - signe encourageant pour le développement d'un vaccin vivant.

Un vaccin vivant atténué est en fait un virus affaibli, dont on a réduit la capacité à provoquer une maladie chez les sujets infectés, sans nuire à leur capacité à stimuler le système immunitaire. Ceci dit, il n’est pas si simple d’affaiblir un agent pathogène. L'approche utilisée par Hilleman consistait à exploiter le processus naturel de l'évolution, en cultivant le virus dans des cultures de cellules d’une autre espèce, pour réduire ou supprimer sa capacité à se multiplier chez les humains, ce qui n’est pas toujours facile.

« Après avoir isolé le virus, nous avons procédé à son atténuation », se souvient Maurice Hilleman. « Mais nom d’un chien, cette fois-ci, ça s'est passé comme ça ». Il a introduit le virus provenant du frottis de gorge de Jeryl3 dans un œuf de poule fécondé. Le virus s'est développé dans l'œuf, et alors il l'a transmis à un autre œuf, puis à un autre. Ensuite, il a pris un embryon de poussin incubé pendant 12 jours, il lui a coupé la tête avec une paire de ciseaux, puis il a haché le corps de l’embryon. Il a traité la bouillie obtenue avec une enzyme pour la décomposer en cellules individuelles de poussin, cellules qui se sont multipliées jusqu’à recouvrir la base d'une fiole de laboratoire. C'est dans cette fiole qu'il a inoculé le virus. À chaque passage - d'un œuf à l'autre, d'un œuf aux cellules de poussin - le virus s'adaptait, se spécialisait : il se modifiait de manière à mieux s’attaquer aux cellules de poulet et à moins bien s’attaquer aux cellules humaines.

Au moment où, dans le processus d'atténuation, le virus est apparu assez affaibli – mais encore suffisamment fort - pour servir de vaccin, les collègues médecins de Hilleman ont commencé à le tester sur des enfants. Dans ce que Hilleman lui-même, à la fois suffisant et optimiste, décrira plus tard comme « un gros problème éthique », les premiers sujets à recevoir le candidat vaccin furent des enfants handicapés mentaux placés dans des institutions d'État. Il s'agissait d'une pratique courante à l'époque, qui est aujourd'hui considérée à juste titre comme abominable. S'adressant à son biographe, Hilleman s’est attaché aux résultats pratiques : « Mon vaccin a permis de protéger ces enfants contre les effets délétères de cette maladie. »

L'essai a été étendu à des milliers de familles volontaires - dont celle de Hilleman - qui ont donné leur consentement en apposant leur signature sur des cartes de 7,6 x 12,7 cm. Obtenus rapidement, les résultats étaient sans ambiguïté : on a détecté des anticorps chez 95 % des sujets vaccinés. Il n'y a pas eu de réactions indésirables significatives attribuables à la vaccination. Au milieu des années 2000, plus de 150 millions de doses du vaccin contre la souche Jeryl Lynn avaient été distribuées aux États-Unis, protégeant des milliers de personnes de la surdité et de la méningite.

Jeryl Lynn n'a bien sûr jamais été vaccinée contre les oreillons, son contact avec le virus lui ayant laissé une immunité naturelle. Mais en 1991, elle a emmené son fils Colin se faire vacciner avec le vaccin ROR (rougeole, oreillons et rubéole) que son grand-père avait fabriqué. « J'ai été très émue lors de la vaccination de mon premier enfant », a reconnu Jeryl Lynn par la suite. « En le regardant, j’ai réalisé comme c’était formidable de ne pas avoir à s'inquiéter des oreillons, et de bien d'autres maladies encore. C’était très important pour moi en tant que parent ».


1. Cet article doit beaucoup aux interviews réalisées pour le film “Hilleman: A Perilous Quest to Save the World’s Children,” ["Hilleman : Une quête périlleuse au secours des enfants du monde"], disponible en streaming sur Vimeo.

2. D’après : Vaccinated: One Man’s Quest to Defeat the World’s Deadliest Diseases [Vaccination : Le combat d'un homme contre les maladies les plus meurtrières du monde], du Dr Paul Offit, qui a largement contribué à cet article.

3. À nouveau d’après Paul Offit