Les mutations du virus de la grippe aviaire, qui lui permettent d'infecter plus facilement les mammifères, font craindre la menace d’une nouvelle pandémie
L'augmentation des cas de grippe aviaire chez les humains et les nouvelles mutations du virus inquiètent les scientifiques.
- 25 octobre 2024
- 5 min de lecture
- par Priya Joi

Les tests effectués sur le dernier cas de grippe aviaire identifié chez un être humain ont révélé, selon les US Centers for Disease Control and Prevention (CDC) [Centres américains de contrôle et de prévention des maladies] une mutation « notable » du virus qui lui permet de mieux se propager chez les mammifères.
Le séquençage génétique de l’agent infectieux prélevé chez un employé d'une ferme laitière du Michigan a montré que le virus avait déjà évolué par rapport à celui identifié chez un ouvrier agricole texan un mois auparavant, pour devenir plus facilement transmissible aux humains. Selon le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC, pour European Centers for Disease Prevention and Control), les mutations du virus H5N1 responsable de la grippe aviaire indiquaient déjà l'an dernier une augmentation de son potentiel de transmission à l'homme.
Pour l'instant, les scientifiques observent la situation avec beaucoup d'attention et attendent de voir si la menace que fait peser le virus sur la population ne s’aggrave pas.
On observe l’apparition de cas humains de grippe aviaire aux États-Unis, en Australie et en Asie du Sud-Est, parallèlement à la propagation du virus chez plusieurs espèces de mammifères (chats, visons, bovins, alpagas), ce qui inquiète de plus en plus les experts de la santé. Le Dr Jeremy Farrar, scientifique en chef de l'Organisation mondiale de la Santé (OMS), a qualifié cette propagation d'« extrêmement préoccupante ».
Les deux patients américains de cette année s'en sont tirés avec des symptômes bénins, à savoir une conjonctivite, mais un enfant cambodgien infecté en février dernier n'a pas eu cette chance. L'enfant de neuf ans est mort quelques jours après avoir mangé en famille un coq trouvé mort.
Risque pour la population
Selon le Dr Jeremy Farrar, le virus H5N1 est déjà à l’origine d’une zoonose mondiale (c’est à dire une pandémie animale). Depuis 2022, le virus a tué des centaines de millions d'oiseaux, et 50 000 visons ont dû être abattus lorsque la grippe s'est propagée aux élevages de visons situés en Espagne.
Actuellement, les CDC et l'OMS estiment que le risque pour la santé humaine est relativement faible.
Mais les scientifiques sont toujours en état d'alerte en ce qui concerne la grippe aviaire, car lors des quatre pandémies de grippe survenues jusqu'à présent, à commencer par la « grippe espagnole » de 1918, les virus pandémiques comportaient au moins un segment génomique dérivé d'un virus aviaire.
Jusqu'à présent, il n'y a pas eu de cas de transmission interhumaine et le virus n'a pas encore développé les mutations qui rendraient cette transmission plus probable. Toutefois, plus un virus se propage, plus son évolution est rapide. Or, la grippe aviaire s'est propagée à une vitesse stupéfiante chez les oiseaux et, de plus en plus, chez les mammifères.
En mars 2023, l'ECDC s'inquiétait déjà de voir des virus de la grippe aviaire « porteurs de marqueurs d'adaptation aux mammifères dans des gènes qui, comme le PB2, sont associées à une accélération de la réplication et une augmentation de la virulence chez les mammifères. »
L'inquiétude vient du fait que lorsque des élevages de visons ou de bovins - qui impliquent des contacts fréquents entre les animaux et les humains - sont infectées par le virus de la grippe aviaire, le risque de transmission du virus à l'homme est plus élevé.
En juillet 2023, le professeur Wendy Barclay et le docteur Tom Peacock, experts de la grippe à l'Imperial College de Londres (Royaume-Uni), ont alerté sur le fait que « l'établissement, chez les animaux, de réservoirs pour des virus qui évoluent différemment des variants établis chez les humains pourrait constituer une bombe à retardement avec la réémergence du virus chez l'homme ».
La lenteur du partage des données
Pour l'instant, les scientifiques observent la situation avec beaucoup d'attention et attendent de voir si la menace que fait peser le virus pour la population ne s’aggrave pas.
L'ECDC et l'Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA, pour European Food Safety Authority) ont présenté des mesures d'atténuation des risques dans un rapport publié le 3 avril 2024. Ces mesures comprennent « le renforcement de la surveillance et du partage des données, la planification minutieuse des activités relatives à l'élevage des volailles et des animaux à fourrure (en particulier dans les zones à forte densité d'oiseaux aquatiques) et la mise en place de mesures préventives telles que la vaccination des volailles et des personnes à risque ».
Pour aller plus loin
Les données sur la propagation du virus dans le bétail au cours des derniers mois aux États-Unis sont trop fragmentaires pour que l’on puisse savoir s’il se transmet facilement entre les bovins ou si les cas sont principalement dus à des contacts entre oiseaux infectés et bétail.
Commencer à préparer des vaccins contre la grippe aviaire
Même si les scientifiques ne croient pas, pour l’instant, à un risque élevé pour les humains, la pandémie de COVID-19 a permis de tirer suffisamment d'enseignements pour déjà travailler à la mise au point de vaccins contre la grippe aviaire, au cas où le virus grippal acquerrait la capacité de se propager entre les êtres humains.
On fabrique déjà chaque année des vaccins contre la grippe saisonnière et, en cas d'urgence, les unités de production existantes pourraient être réaffectées à la fabrication de vaccins contre la grippe pandémique. Les premières doses pourraient déjà être disponibles quatre mois après la déclaration de la pandémie.
La production des vaccins antigrippaux fait actuellement appel à la culture du virus vaccinal sur des œufs de poule, ce qui prend généralement un certain temps et nécessite un grand nombre d’œufs.
Les scientifiques explorent d'autres modes de production pour pouvoir accélérer la fabrication des vaccins en cas de pandémie de grippe aviaire. Moderna, par exemple, a mis au point un vaccin contre la grippe pandémique à base d'ARNm, dont les essais cliniques de phase avancée devraient bénéficier d'un financement du gouvernement américain.
La prochaine pandémie
Les pandémies émergent rarement de nulle part. Les scientifiques avaient mis en garde contre l’éventualité de survenue d’une pandémie de coronavirus plusieurs années avant que l’on en prenne réellement conscience, en 2020.
Les scientifiques exhortent les pays à prendre cette menace très au sérieux.
Un éditorial publié dans The Lancet Infectious Diseases lance un avertissement plus ferme que celui des CDC ou de l'OMS : « la prochaine pandémie de grippe - qu'elle soit causée par un virus de la grippe aviaire A(H5N1) ou autre - semble inévitable. La menace de pandémie reste toujours très élevée. »
Le Dr Michael Mina, spécialiste en épidémiologie, immunologie et maladies infectieuses, s'est fait l'écho de cette mise en garde sur CNN : « Ce que nous voyons actuellement n’est que le premier chapitre du livre qui nous empêche de dormir, mes collègues et moi-même, de même que de nombreux épidémiologistes travaillant dans le domaine des maladies infectieuses.
« Le mauvais génie n'est pas encore sorti de sa bouteille, et c'est une bonne chose, mais on ne peut pas dire que l’on en fasse trop pour l’instant ».
Davantage de Priya Joi
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