Serait-il facile de fabriquer un vaccin contre la grippe pandémique H5N1 ?

Même si la grippe aviaire H5N1 ne semble pas constituer une menace imminente pour les humains, des structures sont déjà en place pour fabriquer des vaccins contre elle à titre de précaution.

  • 11 juillet 2024
  • 7 min de lecture
  • par Linda Geddes
Vétérinaire en équipement de protection dans un élevage de poulets pour une inspection relative à la grippe aviaire.
Vétérinaire en équipement de protection dans un élevage de poulets pour une inspection relative à la grippe aviaire.
 

 

La propagation actuelle de la grippe aviaire H5N1 à des mammifères et sa transmission entre troupeaux de bovins aux États-Unis sont sources d’inquiétude au niveau mondial. De hauts responsables de l'Organisation mondiale de la Santé (OMS) appellent à la vigilance face au risque de nouvelle mutation du virus qui pourrait le rendre dangereux pour les humains.

Bien qu'il n'y ait encore aucun signe de la survenue de tels changements, les scientifiques s’activent pour être prêts à lancer rapidement la production de vaccins en cas de pandémie de grippe chez les humains. Mais combien de temps faut-il pour mettre au point ces vaccins et que faut-il faire pour y parvenir ?

Même si actuellement le virus H5N1 et les autres virus grippaux circulant chez les animaux ne semblent pas présenter un risque important pour les humains, des études sont déjà en cours pour mettre au point des vaccins contre eux sans attendre l’émergence d’une nouvelle pandémie.

Une surveillance constante

Le système mondial OMS de surveillance de la grippe et de riposte (GISRS, pour Global Influenza Surveillance and Response System) est un réseau mondial de laboratoires opérant dans 129 États membres de l'OMS qui collectent et analysent des échantillons de virus respiratoires provenant des sites de surveillance sentinelle (cabinets médicaux et hôpitaux), afin de se faire une idée des virus grippaux en circulation. Ils envoient également des échantillons représentatifs de ces spécimens à l'un des sept centres collaborateurs régionaux de l'OMS pour une analyse plus approfondie, dont les résultats permettent de déterminer chaque année la composition des vaccins contre la grippe saisonnière.

Ces efforts sont encore renforcés dans le cadre de la préparation à la grippe pandémique de l'OMS – système visant à faciliter l’échange d’échantillons de virus grippaux et à assurer un accès équitable aux vaccins pour tous les pays en cas de pandémie.

Parallèlement à ces efforts de surveillance de la grippe humaine, un réseau d'experts de la grippe animale, connu sous le nom d'OFFLU, analyse des spécimens de virus provenant d'oiseaux, de porcs et d'autres animaux, afin de mieux comprendre quels virus circulent chez eux et comment ils évoluent. Ces résultats sont également communiqués à l'OMS et contribuent à la composition des vaccins antigrippaux et à l'évaluation des risques.

Pour l’instant, ces activités de surveillance suggèrent que le virus H5N1 de la grippe aviaire reste principalement un problème de santé animale. Même si les rapports sur sa propagation entre bovins aux États-Unis peuvent paraître alarmants, « cela s’est déjà passé chez des mammifères [tels que le vison], où la propagation d'animal à animal ne semble pas avoir atteint la population humaine », a reconnu la Dre Ruth Harvey, directrice adjointe du Centre mondial de la grippe à l'Institut Francis Crick de Londres, centre collaborateur de l'OMS.

Les infections humaines qui se sont produites concernaient des personnes exposées directement, dans le cadre de leur travail ou de leurs loisirs, à des oiseaux ou à des mammifères infectés. En revanche, il n'y a à ce jour aucune preuve de transmission interhumaine.

« Les signaux qui pourraient faire craindre un accroissement du risque pour la santé publique comprennent la multiplication de notifications simultanées d'infections humaines par le virus A(H5N1) suite à l’exposition à des oiseaux ou à d'autres animaux, ou l'identification d'une transmission interhumaine », ont précisé les Centers for Disease Control and Prevention (CDC) des États-Unis.

Une bibliothèque de virus candidats

Même si actuellement le virus H5N1 et les autres virus grippaux circulant chez les animaux ne semblent pas présenter un risque important pour les humains, des études sont déjà en cours pour mettre au point des vaccins contre eux sans attendre l’émergence d’une nouvelle pandémie. Les souches de "virus vaccinal candidat" à utiliser pour ces vaccins sont recommandées par l'OMS et atténuées de manière à ne pas pouvoir induire de maladie. Elles pourront être utilisées par les fabricants pour produire un vaccin antigrippal en cas de besoin.

« Si un nouveau virus émerge chez les oiseaux ou les mammifères domestiques et qu’il est différent des virus vaccinaux candidats précédemment recommandés, ou si on détecte un cas humain de grippe transmis par ces animaux, l'OMS recommandera la préparation d'un nouveau virus vaccinal candidat », ajoute la Dre Harvey.

Ainsi, dès que les chercheurs de l'OMS en poste dans les centres collaborateurs pourront identifier un nouveau virus de la grippe animale à partir d’un échantillon qui leur aura été envoyé – par exemple, le virus à l'origine de l'épidémie actuelle dans le bétail américain – ils vérifieront si les anticorps des animaux immunisés à l'aide du vaccin fabriqué à partir de l'un des virus vaccinaux candidats sont capables de reconnaître cette nouvelle souche. Si ce n'est pas le cas, l'OMS créera un nouveau candidat en combinant le nouveau virus avec une souche de virus grippal atténuée en laboratoire. Ainsi ce nouveau virus vaccinal candidat sera incapable d’infecter les humains ou de provoquer une maladie, mais il se développera très bien dans les œufs, qui servent de milieu de culture pour la fabrication du vaccin antigrippal.

« Ce que l’on crée en fin de compte, c'est un virus que l’on peut cultiver dans des œufs en toute sécurité (parce qu'il est incapable d'infecter les humains), mais qui possède les protéines de surface du nouveau virus. Voilà ce que contiendra le vaccin », résume la Dre Harvey. « Ces virus vaccinaux candidats sont ensuite fournis gratuitement à tous ceux qui, dans le monde, souhaitent les utiliser pour produire un vaccin. »

Montée en puissance de la production

L'OMS produit depuis la fin des années 1990 ces virus vaccinaux candidats contre la grippe non saisonnière à partir de ceux qui circulent chez les animaux, tandis que le processus de fabrication sur des œufs qui serait largement utilisé pour intensifier la production est en usage depuis plus de 70 ans. Cela signifie que le profil de sécurité de ce type de vaccin antigrippal est bien établi.

Les installations de production existantes pour les vaccins contre la grippe saisonnière pourraient également être réaffectées à la production de vaccins contre la grippe pandémique – qui sont plus faciles à fabriquer dans la mesure où ils ne comportent qu'un seul virus candidat. Les premières doses pourraient être disponibles entre quatre à six mois après la déclaration de la pandémie, avec une capacité de production annuelle d'environ 8,31 milliards de doses, dans le meilleur des cas.

Ce chiffre est certes impressionnant, mais comme très peu de personnes ont été exposées au virus H5N1, il faudra probablement deux doses de vaccin pour induire une réponse immunitaire adéquate. Ainsi, même dans le meilleur des cas, la quantité de vaccin produite ne permettrait de couvrir que la moitié de la population mondiale au cours de la première année de production.

Équité en matière de vaccins

En réalité, la capacité de production est probablement encore plus faible : dans l'hypothèse d'un scénario modéré, les chercheurs s’attendent plutôt à une production de 4,15 milliards de doses par an – mais encore faut-il disposer de suffisamment d'œufs de poule, d'installations de remplissage et de finition ainsi que de divers produits comme les adjuvants, pour fabriquer les vaccins.

Par ailleurs, même si l’on s’efforce actuellement d’étendre la capacité de production aux pays à revenu faible ou intermédiaire, la plupart des fabricants de vaccins antigrippaux se trouvent actuellement dans les pays à revenu élevé ou intermédiaire de la tranche supérieure.

« Cela soulève évidemment de nombreux problèmes et de nombreuses craintes, tant en ce qui concerne la rapidité de production que l'équité dans l’accès aux vaccins », affirme la Dre Nicole Lurie, directrice exécutive de la préparation et de la riposte à la Coalition pour les innovations en matière de préparation aux épidémies (CEPI). « La pénurie est l'ennemie de l'équité. Les techniques actuelles de fabrication de vaccins contre la grippe fonctionnent très bien, mais elles prennent du temps. Et si l'on fabrique des vaccins à petite vitesse, on arrive très vite en situation de pénurie ».

La bonne nouvelle, c’est que l'expérience acquise avec la COVID-19 a peut-être fourni les moyens de produire des doses supplémentaires de vaccin, et de le faire plus rapidement, grâce aux nouvelles technologies et notamment grâce à la production de vaccins à base d'ARNm.

Plusieurs vaccins antigrippaux de ce type sont actuellement en phase finale d'essais cliniques, et l’on peut espérer que d'ici à la prochaine pandémie de grippe, ils seront encore plus avancés.

Ces candidats vaccins n'étant pas encore homologués, il reste encore à préciser la voie réglementaire à suivre avant de pouvoir y avoir recours en cas de pandémie. « Ils sont intéressants car ils permettent une réponse beaucoup plus rapide que les vaccins traditionnels produits sur des œufs, mais aucun contrat d’achat conditionnel n’a encore été signé », souligne Freya Hopper, responsable principale de la stratégie de la CEPI.

Des infrastructures dédiées à la vaccination

Autre héritage positif de la pandémie de COVID-19, les systèmes et infrastructures dédiés à l'administration des vaccins sont plus solides qu'ils ne l'étaient avant la pandémie. « Du fait de la COVID, tous les pays du monde ont mis en place des programmes de vaccination des adultes ou ont tout au moins procédé à l’administration de vaccins à des populations adultes. Ce sont vraisemblablement ces mêmes populations adultes (personnel de santé, femmes enceintes, personnes âgées) qui sont également vulnérables face à une pandémie de grippe », a reconnu le Dr Joseph Bresee, épidémiologiste et directeur des programmes de prévention des virus respiratoires à la Taskforce for Global Health, organisation internationale à but non lucratif basée à Decatur, aux États-Unis.

« Le problème, c’est que ces programmes risquent de se dégrader au fil du temps si on ne les maintient pas ou si on ne leur fournit pas les ressources nécessaires pour les renforcer. Cela pourrait s’avérer problématique, car il faut au moins autant de temps pour mettre en place ces programmes que pour mettre au point les nouveaux vaccins. »

Pour le Dr Bresee, le renforcement des programmes de vaccination contre la grippe saisonnière pourrait être un bon point de départ. « La vaccination contre la COVID-19 a pu être déployée plus rapidement, avec une couverture des groupes à risque plus élevée dans les pays qui possédaient déjà un programme de vaccination contre la grippe avant la pandémie. »

« C'est pourquoi, en préparation à la pandémie, nous avons travaillé avec les pays pour mettre en place ou renforcer leurs programmes de vaccination antigrippale. »

La volonté de se faire vacciner

Même si l’on dispose de suffisamment de doses, il reste un dernier obstacle à surmonter : il va falloir persuader la population des bienfaits de la vaccination. « Sur ce point, nous nous trouvons probablement dans une situation moins positive qu'avant la COVID-19. On constate en effet beaucoup plus d’hésitation, une plus grande méfiance à l'égard des vaccins et probablement une moindre volonté de se faire vacciner dans de nombreux segments de la population et ce, dans tous les pays », a déclaré le Dr Bresee. « Pour s'attaquer à ce problème, il va falloir beaucoup de ressources, il va falloir utiliser des stratégies personnalisées, adaptées à chaque individu. Il faut reconnaître la complexité de ce problème, mais on ne peut en aucun cas l'ignorer. »