La nouvelle génération de vaccins pourrait cibler les maladies parasitaires

Alors que les pays commencent à vacciner les enfants contre le paludisme, l’espoir grandit de bientôt avoir à portée de main des vaccins contre d’autres parasites humains.

  • 2 juillet 2024
  • 14 min de lecture
  • par Linda Geddes
Parasites du corps humain en 3D
Parasites du corps humain en 3D
 

 

Tafadzwa avait été averti qu'il ne fallait pas se baigner dans la rivière. Mais après une journée passée à s'occuper du bétail sous le soleil brûlant du Zimbabwe, lui et ses amis ont désobéi aux ordres de leurs parents et ont plongé dans les eaux boueuses pour se rafraîchir. Il ne savait pas que la rivière était contaminée par des larves de schistosomes provenant d’excréments humains ; ces parasites se multiplient à l’intérieur des escargots d’eau douce avant de réinfecter les humains.

Quelques semaines plus tard, Tafadzwa a commencé à avoir mal au ventre et mal à la tête. Puis il a commencé à trouver du sang dans ses urines. Inquiets, ses parents l'ont emmené au centre de santé, où le médecin a commencé à lui poser des questions délicates.

« En raison de l'ampleur de l'infection – près de 300 millions de personnes infectées et un milliard de personnes exposées au risque dans le monde – l'impact de la schistosomiase est énorme. »

– Dre Miriam Tendler, chercheuse spécialiste de la schistosomiase, Fondation Oswaldo Cruz, Rio de Janeiro, Brésil.

« Lors de l’interrogatoire, j’ai dû avouer que j’avais désobéi à mes parents et que j’avais joué dans la rivière », a reconnu Tafadzwa.

On lui a diagnostiqué une bilharziose (ou schistosomiase). Aussi pénibles qu’aient été ses symptômes, Tafadzwa a eu la chance que son infection soit détectée et traitée rapidement.

Chez les enfants, la schistosomiase peut entraîner une anémie et un retard de croissance, avec une diminution des capacités d’apprentissage. Dans sa forme chronique, elle peut, chez les adultes, affecter la capacité à travailler, à avoir des enfants ou, dans les cas les plus graves, être à l’origine de cancer ou d’insuffisance hépatique ou rénale. Au Zimbabwe, la schistosomiase est l'une des dix principales causes d'hospitalisation.

« En raison de l'ampleur de l'infection – près de 300 millions de personnes infectées et un milliard de personnes exposées au risque dans le monde – l'impact de la schistosomiase est énorme », constate la Dre Miriam Tendler, chercheuse spécialiste de la schistosomiase à la Fondation Oswaldo Cruz à Rio de Janeiro (Brésil). « La schistosomiase affecte la qualité de vie des femmes et des enfants, leur capacité à aller à l'école ou à travailler, et c’est la principale cause de stérilité chez les jeunes femmes. »

Schistosoma is a genus of trematodes, commonly known as blood flukes. They are parasitic flatworms responsible for a highly significant group of infections in humans termed schistosomiasis
Les schistosomes sont des parasites du genre trématode, communément appelés douves du sang. Il s'agit de vers plats responsables d’une maladie très importante chez les humains, la schistosomiase.

La schistosomiase n'est pas la seule maladie parasitaire à poser des problèmes. Un autre ver hématophage de la classe des nématodes, l’ankylostome, est encore plus vorace, et compte parmi les principales causes d'anémie dans les pays à revenu faible ou intermédiaire. Il y a aussi la leishmaniose, infection douloureuse et défigurante causée par des parasites protozoaires unicellulaires et transmise par les piqûres de phlébotomes (mouches de sables) infectés. La forme la plus dangereuse, la leishmaniose viscérale (kala-azar), est mortelle dans plus de 95 % des cas si elle n'est pas traitée et constitue la maladie parasitaire la plus meurtrière après le paludisme.

Pour la seule année 2019, ces trois parasites ont entraîné la perte de 3,3 millions d'années de vie en pleine santé (pour cause de maladie, d'invalidité ou de décès prématuré) au niveau mondial, mais le bilan réel pourrait être encore plus lourd.

« La maladie affecte tout particulièrement les femmes et les enfants, leur qualité de vie, leur capacité à aller à l'école ou à travailler, et c’est la principale cause de stérilité chez les jeunes femmes ».

– Dre Miriam Tendler, chercheuse spécialiste de la schistosomiase, Fondation Oswaldo Cruz, Brésil.

« On mesure souvent le poids de la maladie en fonction de la durée des symptômes cliniques. Mais lorsqu’il s’agit d’une maladie qui laisse de profondes cicatrices sur le visage, ses répercussions sur la qualité de vie, en particulier sur la santé mentale, se font sentir toute la vie », explique le professeur Paul Kaye, de l'école de médecine Hull York, au Royaume-Uni, qui a mis au point un vaccin contre la leishmaniose. « Si l’on tient compte de ces séquelles à long terme dans les estimations, la charge de morbidité est multipliée par dix par rapport à ce que l’on rapporte actuellement. »

Les infections parasitaires peuvent se traiter par des médicaments, ce qui a été le cas pour Tafadzwa. Mais cela n’empêche pas de se réinfecter. Certains traitements ont des effets secondaires désagréables et la résistance aux médicaments est un problème croissant. Et le traitement est hors de portée de certaines familles.

« Dans de nombreuses régions du monde, le traitement de la leishmaniose correspond à six à neuf mois de revenus pour une famille», explique le Prof. Kaye.

Depuis des décennies, les chercheurs tentent, en vain, de mettre au point des vaccins contre les infections parasitaires. C’est bien plus difficile que de vacciner contre les bactéries ou les virus. Les parasites sont plus grands et plus complexes (les schistosomes adultes mesurent jusqu'à 2 cm de long) et leur cycle de vie comporte souvent plusieurs stades, au cours desquels ils changent complètement d'apparence pour dérouter le système immunitaire, ou alors ils peuvent carrément changer d’hôte.

Les anticorps induits par les vaccins peuvent être suffisants pour bloquer ou détruire les bactéries et les virus. Mais pour déloger ou prévenir les infections parasitaires, il faut aussi stimuler une autre forme de réponse immunitaire spécifique, basée sur les cellules T, plus difficile à obtenir.

« On mesure souvent le poids de la maladie en fonction de la durée des symptômes cliniques. Mais lorsqu’il s’agit d’une maladie qui laisse de profondes cicatrices sur le visage, ses répercussions sur la qualité de vie, en particulier sur la santé mentale, se font sentir toute la vie. »

– Professeur Paul Kaye, École de médecine Hull York, Royaume-Uni

L'approbation des vaccins contre le paludisme – les premiers contre un parasite humain – et les résultats d'essais cliniques récents sont toutefois des signes encourageants.

« On peut espérer pouvoir disposer de quatre ou cinq vaccins antiparasitaires au cours de la prochaine décennie », affirme le professeur Peter Hotez, qui travaille sur la mise au point de vaccins au Baylor College of Medicine et au Texas Children's Hospital aux États-Unis.

Des maladies négligées

La vaccination contre les parasites n'est pas un concept entièrement nouveau. « Dès le début du Moyen Âge, il existait en Iran un procédé appelé leishmanisation, qui consistait à utiliser des prélèvements de plaies cutanées de leishmaniose pour infecter délibérément les filles au niveau d’une partie cachée de la peau comme le dos, dans le but de les protéger des infections futures en évitant les cicatrices faciales », explique le professeur John Kelly de la London School of Hygiene and Tropical Medicine (Royaume-Uni), dont les recherches portent sur les infections parasitaires et notamment la leishmaniose.

Plusieurs vaccins ont été homologués pour lutter contre les parasites des animaux, notamment contre le ver pulmonaire, le ver du barbier et le ténia. Mais la mise au point de vaccins contre les parasites des humains a été plus lente. Pour Paul Kaye, « le grand problème – indépendamment des difficultés d’ordre biologique, c’est que la plupart de ces infections parasitaires figurent dans la liste des maladies tropicales négligées. Et cette négligence va de la sensibilisation du public jusqu’au financement des moyens de lutte existants par les systèmes de santé, en passant par le manque d'incitation pour l’industrie pharmaceutique à se lancer dans le développement de vaccins. »

« Comme elles touchent essentiellement les populations pauvres des pays à revenu faible ou intermédiaire, les maladies parasitaires ne constituent pas un marché intéressant en ce qui concerne les vaccins » poursuit Miriam Tendler.

L'ankylostomiase en est un excellent exemple. Elle est fortement associée à la pauvreté et coexiste souvent avec le paludisme. Ces deux infections contribuent à maintenir dans la pauvreté ceux qui en sont atteints : l’anémie profonde consécutive à la destruction des globules rouges nuit aux résultats scolaires des enfants et réduit la capacité de travail des adultes. Ces infections sont particulièrement dangereuses pendant la grossesse, car elles réduisent la capacité du sang à transporter l'oxygène au moment où il est nécessaire à la croissance du bébé.

« Dès le début du Moyen Âge, il existait en Iran un procédé appelé leishmanisation, qui consistait à utiliser des prélèvements de plaies cutanées de leishmaniose pour infecter délibérément les filles au niveau d’un partie cachée de la peau comme le dos, dans le but des les protéger des infections futures en évitant les cicatrices faciales. »

– Professeur John Kelly, London School of Hygiene and Tropical Medicine, Royaume-Uni

« Lorsqu'une femme meurt en couches en Afrique, ce n'est pas parce qu'elle saigne davantage, mais parce qu'elle a un hématocrite bas (c’est-à-dire un nombre réduit de globules rouges) et ce, parce qu'elle souffre à la fois de paludisme et d'ankylostomiase – ou même parfois de paludisme, d'ankylostomiase et de schistosomiase », rappelle Peter Hotez.

Il rêve de créer un vaccin contre l'ankylostome depuis l'époque où il était étudiant en médecine, lorsqu'il a entrepris d'identifier les mécanismes moléculaires utilisés par les ankylostomes pour se nourrir. C'était dans les années 1980, et son laboratoire à l'université Rockefeller se trouvait juste à côté de l'université de New York, où l'on cherchait à mettre au point un vaccin contre le paludisme. Quarante ans plus tard, les premiers vaccins antipaludiques sont en cours de déploiement en Afrique, où ils devraient contribuer à sauver des millions de vies.

L'ankylostome s'attrape généralement au contact du sol ou de cultures contaminés par des matières fécales humaines, suite au manque d’hygiène, à la défécation en plein air, ou à l’utilisation d’excréments comme engrais. Après avoir pénétré à travers la peau, les larves d'ankylostomes sont transportées vers les poumons via le système circulatoire, puis remontent le long de la trachée (ce qui entraîne une toux) puis sont enfin dégluties. Elles gagnent ensuite l'intestin, où elles s'accrochent à la paroi de la partie supérieure de l'intestin grêle à l'aide de leur bouche en forme de crochet, pour se nourrir du sang de leur victime, et rejeter leurs œufs dans ses fèces.

Head of a parasitic hookworm Ancylosoma, 3D illustration.
Illustration 3D de la tête d'un ankylostome (Ancylostoma, ver parasite de la classe des nématodes).

La mise au point de vaccins antiparasitaires contre des vers tels que les ankylostomes ou les schistosomes est sans doute encore plus difficile que la mise au point de vaccins contre le paludisme, en raison de leur taille et de leur complexité biologique. « Le parasite du paludisme est un organisme unicellulaire, alors que les ankylostomes sont de véritables animaux », précise Peter Hotez. « Imaginez la complexité de la fabrication d'un vaccin contre un animal ! »

Pour lui, le financement est également un problème persistant qu’il explique ainsi : « Le paludisme est une maladie meurtrière : il tue 200 enfants toutes les heures. Mais beaucoup d’autres maladies parasitaires sont très invalidantes sans avoir forcément un taux de mortalité élevé. C’est un peu plus difficile à faire comprendre. »

Stratégie de lutte : Affamer le parasite

Le vaccin contre l'ankylostome mis au point par le groupe du Texas Children's Hospital codirigé par le Prof. Peter Hotez et la Dre Maria Elena Bottazzi, de même que les vaccins contre la schistosomiase mis au point par ce groupe et celui de la Dre Miriam Tendler, ciblent tous l'appareil digestif des parasites – soit pour les tuer, soit pour les affaiblir suffisamment pour qu'ils ne puissent plus se reproduire, c’est à dire pour qu’ils ne puissent plus infecter d'autres personnes.

« Lorsqu'une femme meurt en couches en Afrique, ce n'est pas parce qu'elle saigne davantage, mais parce qu'elle a un hématocrite bas (c’est-à-dire un nombre réduit de globules rouges) et ce, parce qu'elle souffre à la fois de paludisme et d'ankylostomiase - ou même parfois de paludisme, d'ankylostomiase et de schistosomiase. »

– Professeur Peter Hotez, chercheur dans le domaine des vaccins, Baylor College of Medicine et Texas Children's Hospital, États-Unis.

Le vaccin contre l'ankylostome du Texas Children's Hospital (connu sous le nom de Na-GST-1) cible une enzyme appelée glutathion-s-transférase-1, que ces parasites utilisent pour se lier à un composant de l’hémoglobine (protéine servant au transport de l’oxygène par les globules rouges) appelé hème et le détoxifier. Sous sa forme libre, l'hème est toxique pour les ankylostomes. En induisant une réponse immunitaire contre cette enzyme, on devrait pouvoir empoisonner progressivement les ankylostomes par le sang dont ils se nourrissent. Un autre vaccin contre l'ankylostome, qui fait également l'objet d'essais chez l'homme (appelé Na-APR-1), cible une enzyme apparentée appelée protéase aspartique-1, qui aide également les ankylostomes à digérer l'hémoglobine en toute sécurité.

Jusqu'à présent, les études de phase 1 menées au Gabon, au Brésil et aux États-Unis ont confirmé que ces vaccins sont sûrs et qu'ils génèrent des réponses immunitaires contre Necator americanus, l'une des deux principales espèces d'ankylostomes qui infectent l'homme. Les résultats d'une autre forme d’essai connue sous le nom de  « challenge vaccinal humain » (ou human challenge) consistant à immuniser des sujets non contaminés avec le vaccin Na-GST-1, à les infecter avec des larves d'ankylostomes et à compter ensuite le nombre d'œufs détectés dans leurs fèces devraient être publiés prochainement.

Parallèlement, des vaccins contre la schistosomiase sont également parvenus au stade des essais chez l'homme. Les vaccins mis au point par les équipes de Miriam Tendler et du Texas Children's Hospital, ainsi que par une société américaine appelée PAI Life Sciences ciblent tous les protéines de liaison des acides gras utilisées par ces parasites pour absorber les graisses du sang de leur hôte. « Ces protéines sont d'une importance capitale pour presque tous les helminthes [vers parasites], car ils ne sont pas capables de synthétiser eux-mêmes les graisses nécessaires à leur survie », explique Miriam Tendler.

« Le paludisme est une maladie meurtrière : il tue 200 enfants toutes les heures. Mais beaucoup d'autres maladies parasitaires sont très invalidantes sans avoir forcément un taux de mortalité élevé. C’est un peu plus difficile à faire comprendre. »

– Professeur Peter Hotez, chercheur spécialiste des vaccins, Baylor College of Medicine et Texas Children's Hospital, États-Unis.

Le vaccin du Texas Children's Hospital et celui développé par l'équipe de Miriam Tendler sont actuellement en cours d’essai de phase 2, tandis que les essais de phase 1 du vaccin candidat de PAI viennent de débuter.

« Jusqu'à présent, nos résultats suggèrent que [notre vaccin] induit une réponse immunitaire très forte et durable, y compris des réponses cellulaires et humorales [production d’anticorps] », affirme Miriam Tendler.

La fièvre noire

Pour la leishmaniose, le problème est légèrement différent. Comme le paludisme, elle est causée par des parasites unicellulaires microscopiques appelés protozoaires. Mais alors que cinq espèces de parasites sont responsables du paludisme chez l'homme, la leishmaniose est causée par au moins 20 espèces différentes de Leishmania. Ces parasites sont transmis par plus de 90 espèces différentes de phlébotomes, qui sont difficiles à contrôler car, contrairement aux moustiques, leurs sites de reproduction sont difficiles à identifier, et ils sont également plus petits et plus silencieux.

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Phlébotomes vecteurs de la leishmaniose.
Crédit : LJNovaScotia de Pixabay

En fonction de l'espèce de Leishmania responsable de l'infection, il existe trois formes différentes de maladie : la leishmaniose viscérale (kala-azar ou « fièvre noire »), caractérisée par des accès de fièvre, une perte de poids, une hypertrophie de la rate et du foie et une anémie ; la leishmaniose cutanée, qui provoque des ulcères cutanés pouvant entraîner de profondes cicatrices, des invalidités et des stigmates à vie ; et la leishmaniose cutanéo-muqueuse, qui détruit les muqueuses du nez, de la bouche et de la gorge.

« Nous sommes capables de produire notre vaccin, avec une mise à l’échelle industrielle permettant de réaliser les essais cliniques, mais quel fabricant de vaccin acceptera de le produire, et selon quel modèle économique ? En d’autres termes, qui va avancer les fonds pour les contrats d’achat anticipés, et le vaccin sera-t-il considéré comme prioritaire ? Ce n'est pas seulement vrai pour notre vaccin contre l'ankylostome, mais aussi, je pense, pour tous les vaccins contre les maladies négligées qui vont suivre. »

– Professeur Peter Hotez, chercheur spécialiste des vaccins, Baylor College of Medicine et Texas Children's Hospital, États-Unis.

« La leishmaniose est en fait un vaste ensemble de différents types de maladies cliniques, toutes attribuées à différentes espèces de Leishmania, ce qui pourrait compliquer la mise au point de vaccins efficaces », souligne Paul Kaye.

Pourtant, avec environ un million de nouveaux cas de leishmaniose chaque année dans 98 pays, près de 20 000 décès signalés et la menace de nouvelles infections en raison du changement climatique, de l'urbanisation et de la résistance croissante aux médicaments, les arguments en faveur de la mise au point de ces vaccins restent solides.

Des progrès ont été réalisés dans ce sens. Paul Kaye et ses collègues ont conçu un vaccin à vecteur viral qui utilise un virus modifié et inoffensif (semblable à celui utilisé dans le vaccin Oxford/Astra Zeneca contre la COVID-19) dans lequel des gènes de Leishmania ont été introduits pour faire fabriquer aux cellules humaines certaines protéines du parasite, ce qui déclenche une forte réponse immunitaire de la part des cellules T ainsi que la production d'anticorps par les cellules B.

« À ce jour, le vaccin a fait l'objet d'études de phase 1 au Royaume-Uni et d'une étude d'innocuité de phase 2 au Soudan, qui ont permis de confirmer que la vaccination n’entraîne pas d'effets indésirables », poursuit Paul Kaye. Son équipe vient également de terminer un essai d'efficacité de phase 2 chez des patients atteints d'une forme cutanée inhabituelle de leishmaniose, appelée leishmaniose cutanée post-kala-azar, destiné à vérifier si le vaccin pourrait être utilisé à des fins thérapeutiques, en lieu et place des médicaments. Les résultats devraient être publiés prochainement.

Un vaccin vivant atténué contre la leishmaniose devrait également faire l'objet d'essais cliniques dans le courant de l'année.

De nombreux obstacles à surmonter

Aussi passionnants que soient ces développements, d'autres obstacles pourraient encore se dresser. Un des problèmes, c’est que les chercheurs – relativement nombreux – qui tentent de mettre au point des vaccins antiparasitaires sont souvent isolés. « Ce qui manque, c'est une feuille de route en bonne et due forme qui décrive nos objectifs avec les financements nécessaires pour pouvoir explorer les différentes voies pour les atteindre, comme c'est le cas pour les autres maladies comme le paludisme ou le VIH », déplore Paul Kaye. « Il n'y a jamais rien eu de la sorte pour guider le développement de vaccins contre la plupart des autres maladies négligées, y compris la leishmaniose. »

« Le développement de la plupart des vaccins contre ces maladies se fait de façon artisanale. Il faut que cela change au cours des prochaines années si nous voulons faire des progrès ».

Ces parasites ont passé des millénaires à élaborer des stratégies pour se cacher à l’intérieur de notre corps pour pouvoir voler les substances dont nous avons besoin pour nous épanouir. Il est grand temps de développer une contre-stratégie pour les vaincre.

Une autre question est de savoir si les fabricants des pays à revenus faibles ou intermédiaires sont prêts à investir dans la production de ces vaccins – et si les pays sont prêts à les acheter. « Nous sommes capables de produire notre vaccin, avec une mise à l’échelle industrielle permettant de réaliser les essais cliniques », reconnaît Peter Hotez, « mais quel fabricant de vaccin acceptera de le produire, et selon quel modèle ? En d’autres termes, qui va avancer les fonds pour les contrats d’achat anticipés, et le vaccin sera-t-il considéré comme prioritaire ? Ce n'est pas seulement vrai pour notre vaccin contre l'ankylostome, mais aussi, je pense, pour tous les vaccins contre les maladies négligées qui vont suivre. »

On ne sait pas non plus quel niveau de protection les vaccins contre les parasites pourraient conférer, ni à qui. Bien qu'ils soient très efficaces pour protéger les nourrissons et les jeunes enfants, les vaccins actuels contre le paludisme devront être associés aux autres moyens de prévention, notamment à l’utilisation de moustiquaires imprégnées d'insecticide.

C'est peut-être encore plus vrai pour les autres maladies parasitaires. Alors que la plupart des parasites du paludisme n’infectent que les humains, beaucoup de maladies parasitaires sont en fait des zoonoses, c'est-à-dire qu'elles touchent aussi bien les animaux que les humains. « Dans le cas du paludisme, on peut espérer interrompre la transmission [du parasite] en vaccinant une proportion importante de la population, même si l’on n’atteint pas les 100 %. Dans le cas des infections zoonotiques, on peut vacciner un grand nombre de personnes, la maladie ne disparaîtra pas, parce qu'elle continuera à se propager des animaux aux humains », reconnaît Paul Kelly. « Ainsi, il est peu probable que l'on obtienne une immunité collective ».

Globule rouge infecté par des parasites du paludisme.
Crédit : National Institute of Allergy and Infectious Diseases sur Unsplash

Selon Peter Hotez, les autres vaccins antiparasitaires, à l’instar du vaccin antipaludique pourraient être plus efficaces en combinaison avec d’autres stratégies. Ils ne devraient donc pas les remplacer, mais les renforcer. Mais « ce sera peut-être difficile à faire comprendre aux responsables de la santé publique, car nous n'avons pas vraiment de feuille de route à ce sujet », déplore-t-il. Il faudra également définir l’âge optimal pour l’administration des vaccins antiparasitaires et déterminer s'il est possible de les administrer en même temps que les vaccins de routine.

Si l’on arrive à surmonter tous ces obstacles, ces vaccins pourraient avoir des effets bénéfiques majeurs. Tafadzwa a eu de la chance : son infection a été détectée à un stade précoce – et il faut espérer qu'il ne commettra plus l'erreur de se baigner dans une eau infectée – mais des millions d'autres personnes au Zimbabwe et dans d'autres pays à revenu faible ou intermédiaire vivent avec des infections non diagnostiquées ou des complications à vie dues à des parasites comme les schistosomes, les ankylostomes et les Leishmania.

Ces parasites ont passé des millénaires à élaborer des stratégies pour se cacher à l’intérieur de notre corps, pour pouvoir voler les substances dont nous avons besoin pour nous épanouir. Il est grand temps de développer une contre-stratégie pour les vaincre.