Au Ghana, le défi du financement du vaccin pneumococcique après Gavi

Le vaccin contre les pneumocoques, introduit il y a une décennie dans le pays du golfe de Guinée, a fait ses preuves et les maladies ont diminué. Mais son prix augmente, et avec la possibilité de la sortie du programme de soutien de Gavi, comment assurer son accessibilité à long terme ?

  • 10 mars 2025
  • 8 min de lecture
  • par Claudia Lacave
Dre Mame Yaa Nyarko, directrice de l’hôpital Princesse Marie Louise à Accra, ausculte un patient hospitalisé depuis un mois pour pneumonie. Crédit: Claudia Lacave / Hans Lucas
Dre Mame Yaa Nyarko, directrice de l’hôpital Princesse Marie Louise à Accra, ausculte un patient hospitalisé depuis un mois pour pneumonie. Crédit: Claudia Lacave / Hans Lucas
 

 

La pneumonie tue 2 000 enfants par jour dans le monde et, en Afrique subsaharienne, elle est responsable de 16 % des morts de moins de 5 ans, plus encore que le paludisme. À l’hôpital des enfants d’Accra, c’était la première cause de mort en 2023 et c’est, au fil des années, toujours une des trois premières causes d’admission.

Mame Yaa Nyarko est à la tête de l’hôpital Princesse Marie Louise, le seul établissement public spécialisé de la capitale du Ghana. Dans sa blouse bleu roi, elle anime la salle chaotique des urgences infantiles : elle répond à un appel, vérifie un fichier Excel, indique un médicament à un infirmier penché au-dessus d’un petit patient, un bandage enroulé autour de la tête. Au service pédiatrique depuis 2007, la docteure a observé l’évolution de la maladie et surtout, l’impact du vaccin pneumococcique conjugué (VPC) 13-valent : « À la suite de la vaccination, il y a eu une certaine baisse des cas de pneumonie, mais une baisse vraiment significative des cas de méningite. »

La Dre Mame Yaa Nyarko supervise les urgences de l'hôpital pour enfants.
Crédit: Claudia Lacave / Hans Lucas

Le VPC-13 est un vaccin contre le pneumocoque, une bactérie qui compte 90 sous-groupes et qui cause diverses maladies, notamment la pneumonie et la méningite, aussi bien chez les adultes que chez les enfants. Ce vaccin protège spécifiquement contre 13 de ces sous-groupes, bien que ces maladies puissent aussi être causées par d'autres bactéries. Son introduction en Afrique a permis de réduire de 63 % le nombre de décès dus aux infections pneumococciques entre 2000 et 2015.

Le Ghana a commencé à vacciner ses enfants avec le VPC-13 en 2012, grâce à un programme cofinancé par Gavi. Cependant, Comme d’autres pays ayant dépassé le seuil d’éligibilité au programme de Gavi, le Ghana pourrait voir son soutien prendre fin d’ici 2030. Cependant, lors du Conseil d’Administration des 4 et 5 décembre 2024, une révision des critères d’éligibilité a été actée, ouvrant la voie à une éventuelle prolongation du soutien.

Malgré son efficacité, la poursuite du programme du VPC-13, dont le prix pourrait varier selon les modalités d’achat, s’annonce difficile dans le contexte économique sous tension du Ghana. Actuellement estimé à 2,75 dollars par dose, le prix pourrait atteindre 14,50 dollars après 2025 si le Ghana maintient la présentation actuelle et achète en bilatéral. Toutefois, en passant par l'UNICEF Supply Division (UNICEF SD, la division de l'UNICEF chargée de l'achat et de la distribution de vaccins pour les pays à revenu faible et intermédiaire), le Ghana pourrait obtenir un tarif plus avantageux. Cette question fait actuellement l'objet de discussions avec l'équipe de façonnage des marchés, qui travaille à garantir un accès durable aux vaccins à des prix abordables.

Le pays était en défaut de paiement de sa dette extérieure jusqu’à sa renégociation en octobre 2024, et le montant total de ses obligations dépasse les 80 % de son PIB, sans compter l’inflation de 22 % et la dépréciation de la monnaie qui aggrave la pauvreté de la population. Pour la Dre Nyarko, l’échéance de Gavi est anxiogène : « Je sais qu’en tant que pays, nous devrions déjà être autosuffisants, mais j’ai bien peur que ce ne soit pas le cas. J’espère seulement que tous les gains positifs, acquis au fil des années, ne s’annuleront pas si nous ne sommes pas capables de soutenir l’immunisation. »

La santé des moins de 5 ans améliorée

Au premier étage de l’hôpital, le soleil traverse les rideaux bleus, décorés de personnages de dessins animés, dans la chambre d’hospitalisation aux murs marron et parsemés de dessins d’enfants. Mame Yaa Nyarko sourit en auscultant un patient : il revient de loin. Admis il y a un mois pour une pneumonie, son état s’était détérioré après avoir attrapé la rougeole, mais il va enfin mieux et il sortira bientôt. Comme lui, 641 enfants ont été admis pour pneumonie en 2023 dans l’hôpital du centre-ville d’Accra, avec de la fièvre, une toux sèche et le souffle court. Vingt-deux d’entre eux n’ont pas survécu, représentant 15 % des décès de l’établissement. Mais pour la Dr Nyarko, il s’agit surtout des enfants n’ayant pas reçu toutes les doses de vaccin, et le nombre de cas sévères a globalement réduit. La couverture vaccinale avoisinait les 95 % en 2023 d’après l’OMS, et l’efficacité après la deuxième et troisième doses s’élève à 58 % au Ghana, selon une revue systématique de haute qualité.

Le Dr Kwame Amponsa-Achiano signe des carnets de vaccination de la fièvre jaune dans son bureau.
Crédit: Claudia Lacave / Hans Lucas

Le Dr Kwame Amponsa-Achiano, à la tête du Programme Élargi de Vaccination au sein du Ministère de la Santé, a aussi remarqué l’impact : « Ça s’est prouvé en 2016, seulement trois ans après le début du programme, quand nous avons connu une épidémie massive de méningite à pneumocoque. Ce sont les adultes qui ont été principalement affectés alors que les moins de 5 ans, ceux qui avaient reçu le vaccin, étaient moins touchés. » À l’hôpital des enfants, l’amélioration s’est ressentie dans la pratique, se souvient la directrice : « Ça met du temps maintenant avant que mes internes ne voient une méningite. Quand ça arrive et que nous devons prélever le fluide du cerveau, la procédure s’appelle une ponction lombaire, ils se rassemblent tous pour voir. Quand j’étais une jeune médecin, c’était notre pain quotidien. » La maladie se manifeste par une sensibilité à la lumière, des maux de tête, de la fièvre et une raideur de la nuque.

Le nord du Ghana s’inscrit dans la « Ceinture africaine de la méningite », une zone géographique qui s’étend de l’ouest à l’est du continent, en dessous du Sahara, où les taux sont endémiques. Mais l’introduction du VPC-13 dans l’immunisation de routine a vu une diminution de 51 % des cas chez les enfants de moins de 5 ans entre 2013 et 2016, bien que les épidémies restent récurrentes. Cette amélioration sanitaire présente également des bénéfices économiques, et une équipe de chercheurs de l’université du Ghana a calculé que la vaccination permettrait au pays d’économiser 48 % des coûts liés aux traitements et à l’incapacité de travail des aidants, entre 2012 et 2031. Dans le contexte de sortie du programme de Gavi, l’équipe a voulu mettre des chiffres sur le rapport coût-efficacité du VPC-13.

L'économiste de la santé Richmond Owusu a supervisé la recherche sur la rentabilité du VPC-13.
Crédit: Claudia Lacave / Hans Lucas

Leur principal résultat ? Oui, maintenir la vaccination du VPC-13 est rentable, par rapport à pas de vaccination du tout. Réalisée dans le cadre d’un master en économie de la santé, financé par l’OMS au Ghana, l’étude estime que l’immunisation coûterait 130 millions de dollars à l’État entre 2012 et 2025, et 275 millions de dollars de 2026 à 2031, dans un scénario de retrait du soutien de Gavi en 2026. Un cas de maladie pneumococcique est lui évalué à 777 dollars. Le programme de vaccination se révèle au total plus cher que le coût des maladies qu’il a évité, mais reste dans la fourchette de rentabilité en santé, établie par rapport au PIB par habitant. « C’est important car ça montre la volonté et la capacité du pays à payer pour le programme », résume Richmond Owusu, l’économiste des vaccins qui a supervisé le travail du chercheur Abdul-Mumin Ibrahim.

Horizon 2030 : un équilibre à trouver

Le Ghana est actuellement en phase de transition pour sortir du soutien de Gavi. Initialement prévue pour 2020, cette échéance a déjà été reportée à plusieurs reprises ; la nouvelle date visée est désormais 2030. Mais Gavi a récemment relevé le seuil d’éligibilité à un Revenu National Brut (RNB) par habitant de 2 300 dollars (moyenne sur trois ans). Le Ghana se trouve précisément à la limite : les estimations actuelles tournent autour de 2 280 dollars. Les données définitives, attendues en juillet 2025, pourraient donc le faire basculer d’un côté ou de l’autre de ce seuil.

Le Ghana finance actuellement 66 % du VPC-13 grâce au cofinancement via son assurance maladie. Toutefois, pour assurer la pérennité du programme, d’autres options sont envisagées, comme des taxes dédiées ou l’implication d’organismes financeurs.

Le pays participe notamment à des initiatives régionales : en juillet 2024, la Côte d’Ivoire a organisé une première réunion à laquelle ont pris part plusieurs pays en transition, dont le Ghana, afin de travailler sur la durabilité du financement de la santé et de la vaccination. Fin 2024, une seconde réunion s’est tenue, au cours de laquelle les pays ont élaboré des feuilles de route pour mettre en œuvre les engagements pris via la Déclaration d’Abidjan.

Des stratégies prometteuses, mais une mise en œuvre délicate

Après l’élection de John Mahama en janvier 2025 et la mise en place d’un tout nouveau gouvernement, le Ghana entre dans une nouvelle phase politique. Les réformes économiques et le renforcement de la couverture sanitaire universelle pourraient aider à sécuriser le financement des programmes de vaccination, dont le VPC-13.

L’enjeu est majeur : la pérennité du programme d’immunisation ghanéen dépendra de la capacité du gouvernement à dégager des ressources nationales, mais aussi de sa capacité à maintenir une couverture vaccinale suffisante pour éviter le retour de maladies pneumococciques et d’autres pathogènes meurtriers.

Le débat autour du financement du VPC-13 doit être envisagé en lien avec les autres vaccins introduits récemment ou en cours d’introduction. Le Ghana a fait des choix stratégiques en intégrant des vaccins essentiels comme celui contre le paludisme ou, bientôt, contre le VPH. Ces nouvelles vaccinations constituent des avancées majeures pour la protection des populations, mais elles s’accompagnent d’un coût supplémentaire, rendant encore plus complexe la planification financière et la priorisation des ressources. Trouver un équilibre entre l’expansion du programme vaccinal et la soutenabilité budgétaire est un enjeu central pour les années à venir.

Si le Ghana a réalisé des progrès considérables en matière de couverture vaccinale, un risque de recul demeure. La capacité du Ghana à anticiper ces risques et à mobiliser des ressources pour y répondre sera déterminante pour préserver ses acquis en santé publique.


Suivez l'autrice sur X/Twitter : @C_Lacave