Santé sexuelle et reproductive au Bénin : quand le digital et la loi brisent les tabous
Au Bénin, l’accès à la santé sexuelle et reproductive reste un défi pour de nombreuses jeunes filles, pris au piège des tabous socioculturels et du manque d’information. Malgré l’adoption d’une loi progressiste en 2021, les résistances freinent sa mise en œuvre. Mais des outils digitaux innovants redonnent espoir en brisant les barrières du silence et en offrant aux jeunes un accès sécurisé à des informations vitales.
- 21 novembre 2024
- 4 min de lecture
- par Edna Fleure
Un soir de garde, les cris déchirants d’une mère résonnent dans un hôpital de Cotonou. Sa fille de 16 ans, victime d’un avortement clandestin, est en train de perdre beaucoup de sang. Malgré l’intervention rapide des médecins, l’adolescente est sauvée au prix de son utérus. « Elle ne pourra jamais connaître la joie de la maternité. Cette expérience tragique m’a marqué à vie », confie Dr Viviane OKE, médecin et membre de la communauté Women In Tech (WIT). « La mère n’avait pas su comment annoncer la grossesse au père. Cet événement a renforcé ma détermination à briser les tabous autour de la santé sexuelle et reproductive. »
Cette tragédie est loin d’être isolée. Le manque d’information et les tabous socioculturels mettent chaque jour en danger la vie de nombreuses jeunes filles au Bénin. Pour y remédier, le gouvernement a adopté en 2021 la loi Nᵒ 2021-12, qui modifie et complète la loi Nᵒ 2003-04 sur la santé sexuelle et reproductive. Cette législation novatrice vise à réduire les décès maternels, à promouvoir les méthodes de planification familiale et à rendre accessible l’information sur la santé sexuelle aux jeunes.
Malgré les résistances, l’enthousiasme suscité par des projets comme Elles et Billi montre que la technologie peut jouer un rôle central dans la révolution des droits sexuels et reproductifs au Bénin.
Cependant, trois ans après son adoption, la mise en œuvre de cette loi se heurte encore à des résistances socioculturelles. Ces barrières, souvent ancrées dans des convictions religieuses ou des craintes d’une « dépravation » des jeunes, freinent la diffusion des droits à la santé sexuelle et reproductive. Pourtant, des initiatives digitales apportent un souffle nouveau et des solutions adaptées à ce contexte complexe.
L'application Elles : une innovation pour briser les tabous
Pour pallier l’absence de dialogue dans de nombreuses familles, l’application Elles offre aux jeunes filles des informations fiables sur leur corps, leur cycle menstruel, les infections sexuellement transmissibles (IST), les méthodes contraceptives et bien d’autres sujets. « Depuis que j’ai téléchargé cette application, je comprends beaucoup mieux mon corps », témoigne Sandra, une utilisatrice. Chaque mois, elle reçoit même des rappels pour effectuer une autopalpation mammaire, une mesure de prévention contre le cancer du sein.
Lancée par la Dre Viviane Oke et son équipe, Elles s’adresse aussi bien aux filles qu’aux garçons. « L’objectif est de permettre aux jeunes d’accéder à des informations de qualité sans craindre le jugement ou la stigmatisation », explique la médecin. Les utilisateurs peuvent également être orientés vers des professionnels de santé en cas de besoin.
Le chatbot Billi : un allié jeune et interactif
En parallèle, le chatbot Billi, développé par l’Association des Blogueurs du Bénin, propose une approche ludique et accessible. Lancé en 2023, il permet aux jeunes de discuter avec des professionnels de santé, de poser des questions sur l’IVG ou de se renseigner sur les IST. « Nous avons conçu Billi pour combler un vide d’informations. Le style est jeune, accessible et répond aux besoins des utilisateurs », souligne Emmanuel Ganse, président de l’association.
Pour aller plus loin
Ces outils numériques répondent à une problématique de fond : la réticence des parents et des éducateurs à parler de sexualité. « Mes parents refusent de répondre à mes questions sur la sexualité, ils disent que cela ne me concerne pas », confie Margaret, une adolescente de 13 ans. Ces initiatives digitales offrent un espace sécurisé pour que des jeunes comme Margaret puissent s’informer librement.
Des barrières socioculturelles encore tenaces
Malgré ces progrès, certaines familles et leaders communautaires continuent de s’opposer à l’éducation sexuelle. Mais d’autres, comme Madame Afi, une vendeuse de tomates, sont tout à fait pour. Après une grossesse précoce dans sa famille, elle a changé d’avis et milite désormais pour l’éducation sexuelle. Elle organise chaque semaine des séances de sensibilisation dans son marché et a même créé un club de pairs éducateurs. « Si on informe nos enfants, on peut les protéger des grossesses précoces et des infections comme le VIH », affirme-t-elle avec conviction.
Un avenir prometteur pour les droits sexuels et reproductifs
Malgré les résistances, l’enthousiasme suscité par des projets comme Elles et Billi montre que la technologie peut jouer un rôle central dans la révolution des droits sexuels et reproductifs au Bénin.
Pour pérenniser ces initiatives, des financements durables et un accompagnement des entrepreneurs numériques restent nécessaires. « Ces plateformes sont vitales, mais elles disparaissent souvent faute de moyens », regrette Dr Herman Azanmasso, spécialiste en neuro-sexologie.
L’adoption de la loi Nᵒ 2021-12 et les solutions innovantes qui en découlent sont une avancée majeure pour le Bénin. Mais le chemin vers une pleine reconnaissance des droits à la santé sexuelle et reproductive passe aussi par un dialogue intergénérationnel renforcé. En brisant les tabous et en investissant dans les outils numériques, le Bénin peut offrir aux jeunes générations les clés d’un avenir plus épanoui et plus sûr.
Davantage de Edna Fleure
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