Flambée estivale : le réchauffement climatique entraîne une augmentation des cas de diarrhée mortelle au Népal

Le changement climatique est-il à l'origine d'un pic d'infections à Shigella (ou shigelle) potentiellement mortelles dans les montagnes du Népal ?

  • 4 juin 2024
  • 5 min de lecture
  • par Chhatra Karki
Patients à l'hôpital de Jajarkot. Crédit : Rajendra Karki
Patients à l'hôpital de Jajarkot. Crédit : Rajendra Karki
 

 

La Dre Samikshya Malla, médecin à l'hôpital du district de Jajarkot, dans les montagnes situées dans l'ouest du Népal, se prépare à la recrudescence estivale des cas de diarrhée. Entre mai et juillet, elle s'attend à recevoir jusqu'à 10 patients par jour, dont plus de 50 % d’enfants de moins de cinq ans.

« Les 20 lits dont dispose l'hôpital sont souvent insuffisants par rapport au nombre de patients atteints de diarrhée qui viennent se faire soigner en été » confie la Dre Malla, qui explique que les mauvaises pratiques d'hygiène, comme le fait de ne pas se laver correctement les mains après être allé aux toilettes, favorisent la propagation des différents microbes responsables de maladies diarrhéiques.

L'augmentation du nombre de phénomènes météorologiques extrêmes (inondations, cyclones, ouragans) sur fond de crise climatique tend à favoriser la contamination de l'eau de boisson par les agents pathogènes à l’origine de diarrhées.

Mais pour elle, cette hausse estivale pourrait être due plutôt à l’augmentation anormale des températures enregistrée ces dernières années dans les villages reculés de l'Himalaya.

C’est d’ailleurs ce qu’a également observé le Dr Meghnath Dhimal, chef de la section Recherche du Conseil népalais de la recherche médicale.

That tallies with the observations of Meghnath Dhimal, Chief of the Research Section at Nepal's National Health Research Council (NHRC).

Dr. Meghnath Dhimal, Chief of Research Section at National Health Research Council, Kathmandu. Credit: Chhatra Karki
Le Dr Meghnath Dhimal, chef de la section Recherche du Conseil népalais de la recherche médicale, Katmandou.
Crédit : Chhatra Karki

Alors que les shigelles sont la principale cause de diarrhée infantile dans les pays à revenu faible ou intermédiaire, les données qu’il a publiées récemment avec Dinesh Bhandari dans le Lancet Global Health montrent que la shigellose (ou dysentrie bacillaire) est plus fréquente quand il fait très chaud.

Les mêmes tendances ont été observées dans les études épidémiologiques menées en Corée du Sud et en Chine, notent-ils dans leur article, ajoutant que « les résultats de laboratoire suggèrent que les gènes de virulence codant pour les toxines de shigelles et les gènes responsables de l’invasion des cellules hôtes sont fortement exprimés à 37°C, ce qui accroît leur pathogénicité ».

L'augmentation du nombre de phénomènes météorologiques extrêmes (inondations, cyclones ouragans) sur fond de crise climatique mondiale tend à favoriser la contamination de l'eau de boisson par les agents pathogènes à l’origine de diarrhées.

Globalement, l'incidence des maladies diarrhéiques a augmenté au Népal de 4,4 %, avec une hausse de 1°C de la température moyenne et une augmentation de 1 cm des précipitations, ont constaté le Dr Dhimal et ses coauteurs dans une étude publiée en 2022 dans l'International Journal of Environmental Research and Public Health.

Comme l'a confirmé le Dr Dhimal à VaccinesWork, « le changement climatique, qui entraîne une hausse générale des températures et une alternance de conditions météorologiques extrêmes, contribue à l’augmentation de l’incidence des maladies diarrhéiques dans les montagnes du Népal ».

L'hôpital du district de Jajarkot dispose d'un laboratoire, explique la Dre Malla, mais il ne conserve pas systématiquement les données sur la bactérie, le virus ou le protozoaire à l'origine de chaque cas de diarrhée. Ce que l'on sait, c'est que l'hôpital accueille actuellement environ 1 000 patients atteints de diarrhée par an, et que ce chiffre a tendance à augmenter.

Dr. Samikshya Malla, a medical officer at Jajarkot district hospital, Khalanga. Credit: Chhatra Karki
La Dre Samikshya Malla, médecin à l'hôpital du district de Jajarkot à Khalanga.
Crédit : Chhatra Karki

Au cours des quarante dernières années, le département d'hydrologie et de météorologie (DoHM) a signalé une hausse de 2,5°C de la température maximale enregistrée au Népal. La température maximale annuelle moyenne du pays a augmenté de 0,056°C, les zones les plus élevées connaissant le taux de réchauffement le plus important.

Selon le Dr Sudeep Thakuri, climatologue et doyen de la faculté d'environnement et d'ingénierie de la Mid-West University du Népal, certains microbes se mettent à prospérer quand la température s’élève, leur taux de multiplication étant plus important sous les climats chauds. C'est en partie pour cette raison que le risque de shigellose augmente avec la hausse des températures dans les villages isolés du Jajarkot dont les installations sanitaires sont inadéquates.

« Le terme "changement climatique" fait référence à une augmentation générale de la température et à la modification des conditions météorologiques » précise le Dr Thakuri. « Nos résultats suggèrent que l’augmentation de température frappe surtout les altitudes élevées, et crée ainsi un environnement favorable à la prolifération des organismes microbiens et à la propagation de maladies, notamment des maladies diarrhéiques transmises par les aliments ou l'eau contaminées par des matières fécales ».

Le professeur Jeevan Bahadur Sherchand, consultant senior auprès de l'OMS et ancien directeur de recherche à l'Institut de médecine de l'université de Tribhuvan, explique que les shigelles se multiplient vite, ce qui permet aux épidémies de se propager rapidement. « La hausse des températures liée au changement climatique devrait accroître l'activité des shigelles, en particulier dans les aliments » confirme-t-il, notant que 25 % des cas de diarrhée au Népal seraient actuellement, selon les estimations, causés par des shigelles.

Prof. Dr. Jeevan Bahadur Sherchand, Former Research Director, Institute of Medicine, Tribhuvan University, Teaching Hospital, Kathmandu. Credit: Chhatra Karki
Le Professeur Jeevan Bahadur Sherchand, ancien directeur de recherche, Institut de médecine, Université Tribhuvan, hôpital universitaire de Katmandou.
Crédit : Chhatra Karki

Mais le changement des comportements et la modification des infrastructures peuvent aider à protéger les communautés vulnérables contre cette menace. « Les mauvaises conditions d'hygiène – conditions de vie insalubres, mauvaise hygiène des mains, consommation de fruits non lavés – contribuent largement à la propagation de la maladie. Les zones rurales pauvres comme celle du bassin de la Karnali et du Sudurpashchim, ainsi que les bidonvilles de Katmandou sont particulièrement menacés » prévient le professeur Sherchand.

Et le risque est sérieux. Sita KC, habitante de Khalanga (chef-lieu du district de Jajarkot), a récemment emmené son fils de quatre ans à l'hôpital, où l'on a diagnostiqué une shigellose. Elle raconte qu'il souffrait d'une diarrhée aqueuse sanglante et de violentes douleurs à l'estomac. L'enfant s'est rétabli, mais ce n'est pas le cas pour de nombreux enfants.

Selon Dambar Bikram Karki, auxiliaire de santé au centre de soins primaires de Barekot (district de Jajarkot), une épidémie de diarrhée infectieuse a coûté la vie à 375 personnes dans cette région en 2009.

D’après l'OMS, la diarrhée est à l'origine de plus de 2,2 millions de décès par an chez les enfants de moins de cinq ans au niveau mondial, et de 6 071 décès par an au Népal.

« La coordination entre tous les ministères concernés est indispensable pour assurer efficacement la gestion et la prévention des épidémies de diarrhée » reconnaît le Dr Chuman Lal Das, chef de la division de l'épidémiologie et de la lutte contre les maladies (EDCD) du ministère de la Santé et de la population. « Le changement climatique a été identifié comme un facteur de risque pour la diarrhée, et il faut tout mettre en œuvre pour en atténuer les effets ».

Le ministère de la Santé travaille actuellement à l’élaboration d’un plan national d'adaptation aux maladies à transmission vectorielle, à la pénurie d'eau et à la shigellose. « Il est possible d’éviter les épidémies grâce à une alerte précoce et un traitement rapide. Il est nécessaire de promouvoir la santé pour empêcher la propagation des maladies, qu’elles soient transmissibles ou non », rappelle le Dr Das.