Dans les écoles de Zanzibar, le vaccin contre le VPH s’inscrit dans un programme de santé pour adolescents

Une nouvelle initiative associe la vaccination contre le VPH à d’autres services de santé dans les écoles de Zanzibar. Parmi les intervenants, des survivants du cancer aident à sensibiliser les adolescents à ces enjeux.

  • 8 octobre 2024
  • 7 min de lecture
  • par Syriacus Buguzi
Ruzuna Abdurahim Mohammed, responsable du plaidoyer en matière de santé maternelle et infantile à l'hôpital psychiatrique Kidongo Chekundu à Zanzibar, présente les outils qu'elle a utilisés pendant le projet. Crédit : Syriacu Buguzi
Ruzuna Abdurahim Mohammed, responsable du plaidoyer en matière de santé maternelle et infantile à l'hôpital psychiatrique Kidongo Chekundu à Zanzibar, présente les outils qu'elle a utilisés pendant le projet. Crédit : Syriacu Buguzi
 

 

Mohammad Juma, professeur à l’école Al-Haramyn de Zanzibar, sait bien à quel point il peut être délicat d’aborder des questions de santé en classe. Fort de plus de cinq ans d’expérience dans ce domaine, il est pleinement conscient que, chez des adolescents traversant des changements physiques et émotionnels rapides, les sensibilités sont souvent exacerbées.

Mais récemment, un projet particulier a convaincu Juma que l’intégration du système de santé dans les écoles pourrait apporter des bénéfices significatifs.

« En me voyant sur ces photos, les enfants ont été choqués. Ils ont compris que le cancer pouvait toucher n'importe qui, même une personne qu'ils côtoient et respectent. »

- Ruzuna Abdurahim Mohammed, responsable du plaidoyer au sein de l’unité de santé maternelle et infantile de l’hôpital psychiatrique Kidongo Chekundu à Zanzibar

« En ce qui concerne l'éducation des adolescents à l'école, j’ai désormais une vision plus large de ce que cela implique », déclare Juma. L’année dernière, il faisait partie d'une équipe de professeurs qui a introduit le vaccin contre le papillomavirus humain (VPH), associé à d'autres services de santé pour adolescents, dans les écoles de Zanzibar.

Un nouveau modèle

Baptisé « HPV Plus », le projet a vu le jour il y a cinq ans, sous forme de projet pilote financé par Gavi dans les régions de Dar es Salaam et de Njombe, en Tanzanie. À l’origine, le programme ne concernait qu’un nombre limité d’établissements scolaires. Cependant, il a rapidement pris de l'ampleur et s'est étendu à six districts de Njombe en 2020. Grâce au soutien de l'UNICEF, son champ d’action s’est encore élargi en 2021, incluant les régions de Mbeya et de Songwe.

En 2023, le projet s’est implanté dans l’archipel de Zanzibar, couvrant les îles d’Unguja et de Pemba, dans le cadre d’une collaboration entre le programme Momentum Country Global Leadership (MCGL), Jhpiego et l’USAID. Ce programme a touché 183 établissements dans 11 districts, dont 505 écoles primaires et plus de 300 écoles secondaires.

« Nous avions quatre interventions simultanées », explique le Dr Saleh, responsable du Programme élargi de vaccination (PEV) à Zanzibar. « Il s’agissait de la vaccination, de l’éducation à la santé reproductive des adolescents, de l’évaluation de la vue et de la nutrition. » Il a également souligné que la structure du projet nécessitait une alliance inédite entre les secteurs de la santé et de l’éducation, ainsi qu’un consortium de bailleurs de fonds. L’objectif était de vacciner 24 000 filles contre le VPH dans les îles.

« En tant qu'enseignants, nous avons suivi des séminaires sur la manière de proposer une éducation complète aux adolescents, y compris sur la vaccination, les évaluations visuelles et nutritionnelles », précise Juma. Ce programme a également permis de former des équipes de santé, principalement composées d’infirmières, qui ont administré les vaccinations. La supervision au niveau des districts a été assurée par des équipes comprenant un médecin, un nutritionniste, un responsable de la vaccination et un ophtalmologiste.

Trouver la "bonne clé"

Ruzuna Abdurahim Mohammed, responsable du plaidoyer au sein de l’unité de santé maternelle et infantile de l’hôpital psychiatrique Kidongo Chekundu à Zanzibar, faisait partie de l’équipe chargée de se rendre dans les écoles pour dispenser une éducation à la santé reproductive. Les élèves, filles et garçons âgés de 10 à 14 ans, ont reçu une formation sur la santé reproductive, et les filles éligibles ont reçu le vaccin contre le VPH à l’école. Elle décrit cette approche comme étant stratégique, comparable à « trouver la bonne clé pour ouvrir la porte ».

« Ces jeunes deviendront de futurs parents. En comprenant dès leur plus jeune âge l'importance d'une bonne nutrition et de la protection contre les infections sexuellement transmissibles, ils seront mieux armés pour leur avenir, tout en protégeant aussi leurs enfants », explique-t-elle, soulignant que l'approche en milieu scolaire permet de toucher plus efficacement la population cible, comparativement à la sensibilisation de porte à porte.

En seulement quatre jours de mise en œuvre, Zanzibar a réussi à vacciner 20 000 filles, faisant passer la couverture vaccinale de 14 % à un impressionnant 85 %.

Cependant, des difficultés ont émergé. Mohammed se souvient particulièrement d'une expérience difficile dans une école de Pemba, une île de l'archipel connue pour son taux de vaccination inférieur à la moyenne. Alors que l'approche scolaire du projet avait porté ses fruits dans d'autres régions, à Pemba, Mohammed a rencontré la résistance des enfants, réticents à se faire vacciner contre le VPH.

« C'était un véritable échec », confie Mohammed. Déterminée à surmonter cet obstacle, elle a décidé de partager son histoire personnelle en tant que survivante du cancer du sein. Elle espérait que son expérience résonnerait chez les enfants et les aiderait à saisir la gravité des risques auxquels ils étaient exposés. En effet, l'infection par le VPH est responsable de presque tous les cas de cancer du col de l'utérus.

« Je savais qu'il fallait établir un lien plus profond avec eux », explique Mohammed. « Partager ma propre lutte contre le cancer était un moyen de rendre plus concret ce qui peut sembler abstrait, comme le VPH et le cancer du col de l'utérus. »

Mohammed a rassemblé des photos d'elle durant ses jours de traitement, lorsqu'elle était affaiblie et malade. Elle a utilisé ces images pour illustrer les ravages du cancer, en insistant sur l'importance cruciale de la prévention.

« En me voyant sur ces photos, les enfants ont été choqués », se souvient Mohammed. « Ils ont compris que le cancer pouvait toucher n'importe qui, même une personne qu'ils côtoient et respectent. »

Elle raconte que l’impact de son témoignage a été immédiat. « Huit enfants qui hésitaient auparavant à se faire vacciner ont changé d’avis après avoir entendu mon histoire. »

« Ce fut un moment fort », ajoute-t-elle. « Les enfants ont réalisé qu’en se faisant vacciner, ils prenaient une mesure proactive pour protéger leur santé et prévenir de futures souffrances. »

Franchir des étapes importantes

Le vaccin contre le VPH a été introduit à Zanzibar en 2018, selon le Programme élargi de vaccination (PEV) de l’archipel. Cependant, avant le lancement du projet HPV Plus, la couverture vaccinale n’était que de 14 %. Le projet HPV Plus a cherché à résoudre ce problème et à rapprocher Zanzibar de l'objectif du Programme mondial pour l’élimination du cancer du col de l’utérus : vacciner 90 % des filles contre le VPH avant l’âge de 15 ans.

En intégrant divers services de santé pour adolescents – vaccination contre le VPH, éducation à la santé sexuelle et reproductive, nutrition et soins oculaires – le projet a exploité un moment opportun pour connecter le système de santé à une tranche d’âge souvent difficile à atteindre.

Le volet soins oculaires du programme HPV Plus en est un exemple concret. Lors des dépistages, l’équipe a identifié de nombreux adolescents souffrant de problèmes de vision non diagnostiqués, souvent sans savoir que leurs difficultés scolaires étaient dues à un besoin de lunettes.

« En utilisant un tableau de test visuel, nous avons pu identifier les jeunes ayant des problèmes d’acuité visuelle », explique le Dr Mary Rose Giattas, directrice de projet pour le programme MOMENTUM Country and Global Leadership (MCGL), présente sur place. « Beaucoup d’entre eux ne pouvaient pas lire les petites lettres, ce qui montrait qu’ils nécessitaient une évaluation et un traitement supplémentaires. »

Les adolescents ayant une faible acuité visuelle ont été dirigés vers des spécialistes dans des hôpitaux de référence pour une évaluation approfondie. Ceux qui en avaient besoin ont reçu des lunettes, tandis que d’autres ont été orientés vers des soins plus spécialisés.

« Si je devais recommander une approche efficace pour la vaccination contre le VPH, je choisirais le modèle HPV Plus, car il est unique en son genre et attire le groupe cible vers les services », explique le Dr Saleh. « En plus de la vaccination, ce programme propose un ensemble d’interventions. »

Les filles non scolarisées éligibles ont été vaccinées par d'autres moyens. « Nous avons veillé à ce que toutes les filles non scolarisées soient atteintes via les leaders communautaires, appelés Shehas à Zanzibar », explique le Dr Saleh à VaccinesWork.

Des résultats rapides

En seulement quatre jours de mise en œuvre, Zanzibar a réussi à vacciner 20 000 filles, faisant passer la couverture vaccinale de 14 % à un impressionnant 85 %, selon le Dr Saleh.

En mars 2024, les rapports des responsables montrent que le projet HPV Plus à Zanzibar a touché 57 161 adolescents à travers son programme d'éducation. Vingt-sept formateurs et 183 professionnels de santé ont été formés pour mettre en œuvre le programme.

Le projet a également dépisté plus de 34 000 élèves pour des problèmes visuels et plus de 35 000 pour la malnutrition, menant à plus de 900 orientations pour des soins supplémentaires.

Le Dr Giattas explique que le projet a également tiré parti des liens forts entre les parents et les écoles en distribuant des supports pédagogiques lors des réunions parents-enseignants et en utilisant des groupes WhatsApp. « Les réseaux sociaux, notamment WhatsApp et Facebook, ont été d'une grande aide pour atteindre les adolescents, tant à l’école qu’en dehors », précise-t-elle.

Le Dr Giattas reconnaît les défis, comme le chevauchement des campagnes de vaccination avec les examens scolaires. « Il a également été crucial de surmonter l’hésitation vaccinale, que ce soit chez les filles, les parents ou dans la communauté », ajoute-t-elle. « Les campagnes d’information ont joué un rôle déterminant pour encourager l’acceptation du vaccin. »

Bien que la vaccination contre le VPH soit actuellement réservée aux filles, le programme s'intéresse également à la santé des garçons. « Nous croyons en une approche globale », déclare le Dr Giattas. Enseigner aux garçons les questions de santé sexuelle et reproductive des adolescents (SSRA) a été une occasion de promouvoir l'égalité des sexes, ajoute-t-elle.