Le « Grand rattrapage » gagne du terrain en Tanzanie

Dans le cadre de l’effort mondial visant à remettre la vaccination sur la bonne voie après la pandémie, la nation d’Afrique de l’Est s’est imposée comme précurseur.

  • 17 mai 2024
  • 6 min de lecture
  • par Syriacus Buguzi ,   Personnel de Gavi
Un membre du personnel de l’Organisation mondiale de la Santé s’entretient avec une mère qui a emmené son fils se faire vacciner à Babati, en Tanzanie. Crédit : bureau national de l’OMS en Tanzanie
Un membre du personnel de l’Organisation mondiale de la Santé s’entretient avec une mère qui a emmené son fils se faire vacciner à Babati, en Tanzanie. Crédit : bureau national de l’OMS en Tanzanie
 

 

Saumu Ramadhani, membre du personnel de santé communautaire à Kwa Mtoro, un village du centre de la Tanzanie, a été témoin du recul des efforts de vaccination lorsque la COVID-19 a balayé le monde, provoquant la panique.

Certaines familles n’ont pas effectué de visites de routine dans les cliniques, de peur de contracter le virus dans les hôpitaux, a déclaré Saumu Ramadhani. L’intérêt pour la course au développement d’un vaccin contre ce nouvel agent pathogène mortel s’est accru, tout comme la désinformation anti-vaccinale.

Selon le ministère de la Santé en Tanzanie, le pays avait atteint 54 % des enfants identifiés comme des enfants « zéro dose », à savoir des enfants n’ayant jamais reçu de dose de vaccin DTC1 en décembre 2023, et avait élaboré un plan ambitieux pour atteindre le pourcentage restant d’ici la fin de l’année 2024.

Autour du monde, des millions d’enfants supplémentaires n’ont pas reçu une ou plusieurs doses dans le cadre de la vaccination systématique en 2020, 2021 et 2022 par rapport à 2019, ont confirmé l’OMS et l’UNICEF. En 2019, 86 % des enfants tanzaniens avaient reçu la troisième dose du vaccin de base contre la diphtérie, la coqueluche et le tétanos (DTC3), qui sert de référence conventionnelle pour la couverture vaccinale en général. En 2021, ce chiffre était tombé à 81 %, pour remonter à 84 % en 2022.

« Même avant la pandémie, de nombreux parents n’emmenaient pas leurs enfants pour la vaccination systématique », a indiqué Saumu Ramadhani. Il existe de nombreuses raisons à cela – certaines familles du district de Chemba habitent à 15 kilomètres du centre-ville le plus proche, sans pouvoir y accéder facilement par la route. Dans certains cas, elles sont isolées par une rivière ou n’ont pas les moyens de payer le transport. D’autres habitants nourrissent de profondes inquiétudes à l’égard des vaccins.

« L’arrivée de la COVID n’a fait que jeter de l’huile sur le feu », a expliqué Saumu Ramadhani.

Bienvenue dans la « brigade anti-incendie ». Fin 2022, les responsables tanzaniens de la santé ont élaboré une vaste et ambitieuse stratégie de rattrapage de la vaccination systématique. En janvier 2023, la roue a commencé à tourner et les enfants « zéro dose » non vaccinés ont été localisés et ont bénéficié de vaccins vitaux.

Selon Jonna Jeurlink, qui dirige l’équipe de Gavi en Tanzanie, ce pays d’Afrique de l’Est joue en quelque sorte un rôle « d’éclaireur » : le lancement de l’effort de rattrapage y a précédé de trois mois le coup d’envoi, en avril, d’une initiative mondiale menée par Gavi, l’UNICEF et l’OMS appelée « Le Grand rattrapage ».

« Cela signifie que la Tanzanie a pu partager son expérience auprès des nombreux autres pays qui luttent contre un déclin similaire de la vaccination systématique », a souligné Jonna Jeurlink.

Comment ça marche : Rattraper le retard de la Tanzanie

Le problème brûlant en Tanzanie, comme dans pratiquement tous les autres pays après la pandémie, était la constitution d’une cohorte d’enfants qui n’étaient pas protégés par les vaccins de base. La stratégie de la Tanzanie s’est donc concentrée sur l’identification et la vaccination de tous les enfants « zéro dose » et sous-vaccinés – ceux qui, en termes conventionnels, n’ont même pas reçu la première dose du vaccin de base contre la diphtérie, le tétanos et la coqueluche (DTC1).

Comment ? Le principal mécanisme à l’œuvre est l’approche « PIRI » trimestrielle (Periodic Intensification of Routine Immunization ou intensification périodique de la vaccination systématique), qui consiste à intensifier périodiquement les efforts de sensibilisation à la vaccination systématique. Il s’agit de mini-campagnes menées dans des zones ciblées à faible couverture, et par conséquent à haut risque.

Toutes les approches PIRI ne sont pas identiques. En raison de leur petite échelle et de leur caractère ciblé, les approches PIRI sont très spécifiques au contexte : la tactique est très différente selon qu’il s’agit de fournir des services à une communauté périurbaine ou de rattraper la population d’une île, par exemple.

Et si la couverture par le vaccin DTC est l’indicateur conventionnel des lacunes en matière de vaccination, le rattrapage de la Tanzanie s’étend plus largement et notamment aux efforts visant à combler les lacunes en matière de couverture par les vaccins contre la rougeole et la rubéole (RR), le virus du papillome humain (VPH) et le rotavirus.

De réelles avancées

Un an et trois mois plus tard, la stratégie de rattrapage de la Tanzanie a fait de réels progrès, devançant de nombreux pays voisins. Selon le ministère de la Santé en Tanzanie, le pays avait atteint 54 % des enfants identifiés comme des enfants « zéro dose », à savoir des enfants n’ayant jamais reçu de dose de vaccin DTC1 en décembre 2023, et avait élaboré un plan ambitieux pour atteindre le pourcentage restant d’ici la fin de l’année 2024.

Dismas Damian, épidémiologiste sur le terrain de l’Initiative mondiale pour l’éradication de la poliomyélite (IMEP), a apporté un soutien technique aux programmes de vaccination en Tanzanie. Il explique à VaccinesWork que le succès de la stratégie de rattrapage repose jusqu’à présent sur une approche intégrée. Ainsi, au lieu de se concentrer sur un seul antigène à la fois, la campagne a mis à disposition plusieurs vaccins de routine aux points de contact.

Cette démarche s’est appuyée sur une solide collecte de renseignements – connue sous le terme de microplanification – effectuée par le personnel de santé au niveau local. Dismas Damian explique que les équipes mobiles en charge de la sensibilisation, ainsi que le personnel de santé et les dirigeants communautaires, ont joué un rôle essentiel dans la recherche des enfants qui n’avaient pas reçu tous leurs vaccins jusqu’à présent. Les équipes ont identifié les zones présentant de faible taux de vaccination, ainsi que les enfants non vaccinés, en allant – littéralement – plus loin : en évaluant la situation sur place, en interrogeant les parents et en analysant les données.

« Cela a permis aux équipes de planifier des efforts de sensibilisation ciblés pour un impact maximal », déclare Dismas Damian.

Les systèmes prépandémiques permettent de réagir de façon agile

Le docteur Florian Tinuga, responsable national du Programme de vaccination et de mise au point des vaccins (IVD, pour Immunization and Vaccine Development) au sein du ministère de la Santé, lui fait écho en déclarant que les avancées réalisées par la Tanzanie dans la protection des enfants zéro dose découlent de l’identification proactive de ces enfants.

Et si le rattrapage a été rendu nécessaire par des circonstances anormales, les mécanismes sur lesquels il s’est appuyé étaient bien établis au sein du système de santé avant la pandémie. « Nous avions déjà mis en place des systèmes permettant de trouver les enfants qui n’avaient pas reçu les vaccinations systématiques, grâce à la recherche des enfants faisant défaut et à la microplanification, et de les atteindre par le biais des [PIRI] », explique-t-il.

Grâce à notre programme de vaccination, nous avions défini le groupe à risque avant la COVID-19. Nous avons pu cibler efficacement ce groupe après la pandémie et répondre rapidement au nombre croissant d’enfants non vaccinés. »

Poussées épidémiques – puis déclin

Il convient toutefois de ne pas minimiser la perturbation que la pandémie a entraînée. Cette perturbation, indique le docteur Tinuga, « a entraîné une augmentation du nombre d’enfants non vaccinés et une diminution de l’immunité collective. » Il cite notamment les épidémies de rougeole à grande échelle survenues en Tanzanie ces dernières années comme preuve de l’affaiblissement de la protection collective.

« Sans l’intensification des efforts de rattrapage, nous n’aurions pas pu faire face aux épidémies », précise le docteur Tinuga, soulignant que les enseignements tirés de cette campagne seront précieux pour les futures campagnes de vaccination du pays. Ils constitueront également un modèle pour d’autres pays confrontés à des défis similaires.

Phase suivante

Plus de la moitié des enfants négligés ayant déjà été atteints en 2023, les phases III et IV de la stratégie de « rattrapage » seront lancées en 2024, l’objectif étant d’atteindre tous les enfants jusqu’au dernier. Le docteur Tinuga indique que les activités de génération de la demande en Tanzanie sont en cours et que des stratégies PIRI intégrées qui fourniront des vaccins contre le DTC1, le rotavirus et le VPH sont en cours d’élaboration. Des efforts visant à étendre la protection contre la rougeole et la rubéole sont également déployés.

Le docteur Ntuli Kapologwe, directeur des services de prévention au sein du ministère de la Santé tanzanien, attribue le succès de la Tanzanie en partie au soutien financier de Gavi, qui a été essentiel pour mobiliser le personnel, les fournitures et les initiatives de sensibilisation.

Gavi a contribué à hauteur de 5,8 millions de dollars US au financement du plan de rattrapage de la Tanzanie en 2023. L’organisation a par ailleurs réorienté 10 milliards de shillings tanzaniens supplémentaires (soit environ 3,7 millions de dollars US) qui avaient été initialement affectés à la riposte contre la COVID-19, afin de soutenir les efforts de rattrapage en matière de vaccination pour 2024.

« Grâce à ces efforts de collaboration, nous avons pu réduire la transmission des maladies évitables par la vaccination et mettre ainsi un terme aux épidémies causées par la perturbation de l’immunité », déclare le docteur Kapologwe.