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Au Togo, les hépatites déciment en silence

En Afrique de l'Ouest, le Togo est l'un des pays où les hépatites sont fortement endémiques. Cette maladie infectieuse, méconnue de la population, continue de se propager. La Ligue togolaise de lutte contre les hépatites estime la prévalence à 15 % sur l'ensemble du territoire et à 35 % dans le nord. Face à cette réalité alarmante, des associations et des spécialistes appellent à la mise en place d'un programme de lutte contre l'hépatite.

  • 26 juillet 2024
  • 6 min de lecture
  • par Nephthali Messanh Ledy
Virus de l'hépatite E. Crédit : Public Health Image Library (PHIL) des Centers for Disease Control and Prevention, numéro d'identification #5605.
Virus de l'hépatite E. Crédit : Public Health Image Library (PHIL) des Centers for Disease Control and Prevention, numéro d'identification #5605.
 

 

Une maladie inconnue des habitants

« Les hépatites ? C’est quoi encore ? », s’interroge Akoua, une revendeuse de piment vert au marché de Kégué, dans la banlieue nord de Lomé. Même réaction de Martine, une revendeuse de riz, qui affirme : « Je ne pense pas avoir entendu parler de cette maladie ».

« Le terme hépatite renvoie à une inflammation du foie, quelle que soit la cause », explique le professeur Aklesso Bagny, gastro-entérologue et hépatologue basé à Lomé. « Si la cause est médicamenteuse, on parle d’hépatite médicamenteuse. Si elle est parasitaire, il s’agit d’une hépatite parasitaire. Si elle est alcoolique, on parle d’hépatite alcoolique. Très souvent, la cause est virale, et dans ce cas, il s’agit d’hépatite virale », ajoute-t-il.

« En ce qui concerne l'hépatite B, les données disponibles indiquent une prévalence située entre 13 et 16 %. L'hépatite C est également très répandue au Togo, avec une prévalence estimée entre 8 et 10 %, ce qui est également élevé. »

– Professeur Aklesso Bagny

À ce jour, poursuit notre interlocuteur, les chercheurs ont identifié cinq types de virus de l’hépatite : les types A, B, C, D et E. « Toutes ces formes d'hépatite virale n'ont pas la même gravité. Les virus de l'hépatite A et E, qui évoluent souvent de manière aiguë, ne sont pas très dangereux pour l'organisme comparativement aux virus de l'hépatite B, C et D, qui peuvent évoluer vers une forme chronique. En d'autres termes, les virus A et E ne causent que des hépatites aiguës, qui peuvent être graves si elles sont fulminantes, mais c'est extrêmement rare. En revanche, les virus B, C et D peuvent persister dans le foie pendant plus de six mois, souvent pendant plusieurs années, et provoquer une hépatite chronique, entraînant des lésions comme la fibrose hépatique, qui peut évoluer en cirrhose, une complication grave des hépatites virales », détaille le gastro-entérologue. Il ajoute que « la cirrhose peut également augmenter le risque de cancer du foie ».

Au Togo, une étude de 2011 a révélé une forte prévalence des virus des hépatites B et C dans la population générale. « En ce qui concerne l'hépatite B, les données disponibles indiquent une prévalence située entre 13 et 16 %. Cette prévalence est particulièrement élevée chez les jeunes, comparée à celle du VIH, qui est actuellement très faible, presque en dessous de 2 %. L'hépatite C est également très répandue au Togo, avec une prévalence estimée entre 8 et 10 %, ce qui est également élevé », selon le professeur Bagny.

Selon les spécialistes, plusieurs facteurs expliquent la forte prévalence de la maladie au Togo, notamment le manque de sensibilisation de la population et les moyens de prévention insuffisants.

La situation est encore pire en dehors des grands centres urbains. « Les populations de l'intérieur du pays ne sont pas vraiment sensibilisées, car la majorité des médias sont à Lomé et ne vont pas dans les villages, alors que des cas graves peuvent venir des régions les plus reculées », précise Kpônou Tobossi, directeur de Nouvelle Formule Sanitaire (NFS-Togo), une organisation engagée dans la lutte contre les hépatites au Togo.

Ce manque de communication et de sensibilisation autour de ces infections s'explique, selon le professeur Bagny, « d'abord par le manque de spécialistes dans ce domaine. Cependant, ce problème est en train d'être résolu, car nous formons des spécialistes et les premières promotions commencent à sortir ». Il ajoute que « la sensibilisation est faible surtout en raison d'une organisation insuffisante. Bien qu'il y ait quelques actions éparses des associations, elles ne sont pas très coordonnées. Ce problème pourrait être abordé de manière plus sérieuse avec une véritable stratégie de lutte contre les hépatites virales ».

Le rôle crucial de la vaccination

La vaccination est essentielle pour prévenir les hépatites, en particulier l'hépatite B, qui peut devenir chronique et provoquer des complications graves. En Afrique, plus de 90 millions de personnes sont atteintes d'une hépatite, soit 26 % des cas mondiaux. La maladie passe souvent inaperçue jusqu'à un stade avancé, ce qui entraîne des décès évitables.

Le vaccin contre l'hépatite B, administré en trois doses, est très efficace. Il est recommandé de vacciner les enfants dès la naissance pour prévenir la transmission de la mère à l'enfant. Cependant, les adultes, en particulier ceux à haut risque, peuvent également être vaccinés.

Au Togo, bien que le vaccin soit inclus dans le programme de vaccination infantile, de nombreux défis subsistent : accès limité aux soins de santé et manque de sensibilisation. En Afrique, la prévalence de l'hépatite B chez les enfants de moins de cinq ans est encore de 2,5 %, bien que seuls 14 pays aient réussi à réduire ce taux à 1 %.

Le Rapport mondial sur l'hépatite 2021 de l'OMS indique que seulement 2 % des Africains atteints de l'hépatite B et 5 % de ceux atteints de l'hépatite C connaissent leur statut, et très peu reçoivent un traitement.

Des associations se mobilisent en attendant un programme dédié

Aux côtés de la Société togolaise d'hépato-gastroentérologie, qui se concentre principalement sur la sensibilisation concernant les hépatites virales (B et C), plusieurs associations et organismes se battent contre les hépatites. C’est le cas de la Nouvelle Formule Sanitaire (NFS-Togo) mentionnée précédemment. Elle organise régulièrement des activités visant à sensibiliser les populations, notamment par le biais de « campagnes de dépistage et de vaccination fiables à coût réduit », selon son premier responsable.

« Nous utilisons les médias sociaux ainsi que les médias traditionnels, et nous organisons des campagnes sur le terrain (dans les églises, les écoles, les universités), partout où il y a un rassemblement. Nous orientons et conseillons pour la prise en charge des cas positifs. Nous attirons également l'attention des décideurs sur la nécessité d'entreprendre des actions immédiates contre ce fléau », ajoute Kpônou Tobossi.

Mais le grand chantier, selon NSF, reste l’institutionnalisation d’un programme spécifiquement dédié à la lutte contre les hépatites. En effet, malgré la forte endémicité, le Togo ne dispose toujours pas d’un programme national de lutte contre les hépatites. Même dans le Programme national de lutte contre le VIH/SIDA, une division contre les hépatites a été intégrée, mais l’impact reste très relatif.

Selon Kpônou Tobossi, un programme entièrement consacré aux hépatites peut renforcer la lutte contre la maladie. « Ce programme réduira les nouvelles infections qui favorisent l'émergence de futures prévalences et de cas graves. Il permettra aux personnes infectées de bénéficier d'un suivi et d'un traitement, ce qui réduira les risques de complications graves », précise-t-il.

« L'avantage d'avoir un programme de lutte contre l'hépatite virale est de mieux organiser la réponse contre ce virus en mettant à disposition des données fiables, nationales, sur la prévalence de l'hépatite virale dans notre pays. Ce programme devrait également permettre de mettre en place une véritable stratégie de lutte contre les hépatites virales, comme cela se fait dans d'autres pays dans le monde », martèle le professeur Aklesso Bagny.