Au Bénin, le tabou du cancer de l’utérus se dissipe petit à petit
Le cancer du col de l'utérus est le quatrième cancer le plus fréquent chez les femmes. Au Bénin, il reste le plus meurtrier des cancers gynécologiques. Conscient de cela, le pays s’est inscrit dans la dynamique mondiale d'élimination de cette maladie d'ici 2030. Il y a quelques années encore, le cancer du col de l’utérus était perçu par les femmes béninoises comme une maladie de la honte. Aujourd’hui à force de sensibilisations et de communication, les femmes prennent conscience de la nécessité de faire un dépistage précoce.
- 27 mars 2023
- 6 min de lecture
- par Edna Fleure
Un diagnostic redouté
Le diagnostic précoce du cancer du col de l’utérus est indispensable pour une prise en charge rapide. Aline D. l’a compris bien tardivement. Sous la contrainte de sa fille infirmière, elle a décidé de faire le dépistage et a eu le résultat que bien de femmes redoutent. Elle raconte le jour où sa vie a basculé. « J’ai accouché de tous mes enfants à la maison. Peut-être que je n’ai pas eu les soins nécessaires, je ne sais pas. Mais le jour où le médecin m’a annoncé que je suis positive et à un stade avancé, j’ai pensé à mes enfants, aux sacrifices que j’ai consenti toutes ces années pour me retrouver à 55 ans souffrant d’un mal qui peut m’emporter. Chez nous au village, quand on entend cancer, on sait que la mort est proche ».
Comme Aline, elles sont nombreuses, ces femmes béninoises, qui par peur d’apprendre qu’elles sont positives, préfèrent renoncer au dépistage. Inès Comlan a perdu sa mère. Elle est décédée du cancer du col de l’utérus à l’âge de 65 ans. Considérant le regard de la société, surtout le désintérêt de la famille quand sa maman avait été testée positive, elle a choisi de vivre dans l’ignorance, même si elle encourage les femmes à se faire dépister. « Je crois que je n’ai pas encore réussi à digérer le décès de ma mère. Ma réticence n’est nullement liée au fait que je ne crois pas en l’existence de la maladie. Je sais qu’elle existe. Mais je ne suis pas prête à faire cette traversée du désert ».
« Nous voulons une prise de conscience parmi les femmes et même les hommes. Qu’ils encouragent leurs femmes, filles, sœurs, mères à faire le pas qui sauve : le dépistage. »
Mais il n’y a pas que des sceptiques. Certaines femmes prennent au sérieux la chose et se font dépister tôt. C’est le cas de Mariam I. Même si son diagnostic a été positif, elle sait qu’elle a une chance de guérir. « Arrivée ici, ils m’ont fait le dépistage et ils ont vu que le virus est déjà là, mais que ce n’est pas grave. Ils m’ont fait le traitement et m’ont donné des conseils à suivre. C’est une maladie qu’on ne sent pas et qu’on ne voit pas, et c’est après le dépistage qu’on sait si on l'a ou pas. Tout est gratuit, je n’ai rien payé, et le traitement aussi est gratuit ».
Dépistages gratuits
Comme de nombreux pays, le Bénin s’est doté d'un Plan stratégique de lutte contre le cancer du col de l'utérus et les autres cancers gynécologiques et mammaires. Le but visé à travers l'élaboration de ce document est de coordonner la lutte contre ce fléau en vue d'alléger ce fardeau qui tue les femmes et qui ruine les familles. Ce plan a été adopté après l’adhésion en 2019 au projet Care4Afrique « Cancer Remède dans 4 pays d’Afrique » initié par la Fondation Lalla Salma de la Princesse du Maroc et le Centre international de recherche sur le cancer de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Ainsi le pays propose désormais un dépistage et une prise en charge gratuite des lésions précancéreuses du col de l'utérus pour les femmes âgées de 25 à 49 ans.
Au nombre des organisations qui œuvrent dans la lutte contre le cancer du col de l’utérus, il y a la fondation Claudine Talon qui a lancé depuis quelques années une campagne de dépistage et de traitement gratuits dans toutes les communes du Bénin. Le bilan de l'année dernière était de 17 628 femmes dépistées pour 1 242 positives et 896 femmes traitées. Bénédicta Nouhatin est sage-femme au Centre de santé communal de Parakou. Elle confie qu’avec la gratuité du dépistage et du traitement, les femmes sortent pour connaître leur statut. « Grâce à la campagne de dépistage et au traitement gratuit du cancer du col de l’utérus, des femmes viennent et sont heureuses de se faire dépister. C’est très important, parce que le cancer du col de l’utérus est une maladie silencieuse. Aujourd'hui, parmi les femmes qui sont venues, une a été déclarée positive, ce qui fait une personne de sauvée ».
La stigmatisation, un frein au dépistage précoce
Entre temps active dans le sabotage des séances de sensibilisations, Alimatou Dinan s’est résolument engagée dans la lutte contre le cancer du col de l’utérus après avoir vu sa fille unique guérir de la maladie. « Dans notre village, il y a plusieurs femmes qui ont été répudiées après avoir été dépistées positives. Donc pour moi, c’est une maladie de la honte. Les hommes disent que ce sont les femmes qui commettent l’adultère qui souffrent de cette maladie. Donc j’étais contre tout dépistage. Mais aujourd’hui je me rends compte que c’est la seule façon d’être sauvée à temps et j’encourage les femmes chaque jour que Dieu fait ».
Pour aller plus loin
Malheureusement cette prise de conscience tardive a causé la disparition de nombreuses femmes, affirme Dr Sidi Imorou, gynécologue à Parakou. « Les femmes doivent savoir que le cancer du col de l’utérus tue et que le traitement est très lourd. La plupart des cas de cancer du col que nous recevons viennent après un diagnostic tardif, au moment où les chances de guérison sont minimes. Plus de 80% des cas que nous diagnostiquons sont à un stade très évolué. Et la seule chose que nous faisons c’est de les accompagner alors qu’on aurait pu dépister à temps et traiter. Nous voulons une prise de conscience parmi les femmes et même les hommes. Qu’ils encouragent leurs femmes, filles, sœurs, mères à faire le pas qui sauve : le dépistage ».
Aujourd'hui, on peut prévenir le cancer du col de l'utérus grâce au vaccin sûr et efficace contre le virus du papillome humain (VPH), très contagieux, qui provoque l'immense majorité des cancers du col de l'utérus. Le VPH étant un virus sexuellement transmissible, il est recommandé de vacciner les adolescentes avant les premiers rapports sexuels, alors que la maladie se manifeste plus tard dans la vie.
Le Bénin continue sa marche vers la prise de conscience des femmes de la nécessité d’un diagnostic précoce du cancer du col de l’utérus, synonyme d’une chance d’être sauvées à temps. Pour cela, la journée internationale des droits des femmes est un moment privilégié pour sensibiliser la population. La fête des mères est également une occasion propice pendant laquelle des associations ou des cliniques privées à travers des centres de santé mobiles offrent le dépistage gratuit. « Aucune femme béninoise ne doit mourir du cancer du col de l’utérus » : c’est la bataille que le pays espère gagner d’ici 2030.