« Les visages sont comme du brouillard dans ma tête » : Que se passe-t-il lorsque la COVID-19 affecte le cerveau ?

Les scientifiques s'accordent de plus en plus à reconnaître que la COVID-19 peut entraîner des symptômes neurologiques durables et débilitants, et modifier la structure du cerveau.

  • 7 septembre 2023
  • 10 min de lecture
  • par Linda Geddes
La COVID-19 peut affecter le cerveau et entraîner une désorientation ou une incapacité à reconnaître les visages. Crédit photo : Paweł L sur Pexels
La COVID-19 peut affecter le cerveau et entraîner une désorientation ou une incapacité à reconnaître les visages. Crédit photo : Paweł L sur Pexels
 

 

Le premier signe que quelque chose n’allait pas dans la tête d'Annie est apparu lorsqu'elle est passée devant sa famille dans un restaurant et qu'elle ne les a pas reconnus. Ce n'est que lorsque son père l'a interpellée qu'elle s'est ravisée. « C'était comme si la voix de mon père sortait du visage d'un étranger », raconte-t-elle.

Ce n'était pas le seul symptôme bizarre ressenti par Annie. Elle se sentait désorientée, avait du mal à naviguer entre les rayons de son épicerie locale et devait mettre "une épingle" sur Google maps pour se souvenir de l'endroit où elle avait garé sa voiture.

Le cas d’Annie a retenu l'attention des spécialistes du cerveau du Dartmouth College à Hanover, aux États-Unis. Elle avait développé ces symptômes environ sept semaines après avoir contracté la COVID-19, alors que cette combinaison particulière de symptômes apparaît généralement chez les personnes qui ont subi des lésions cérébrales ou sont nées avec un trouble du développement.

La COVID-19 a d'abord été considérée comme une maladie respiratoire, mais il est apparu de plus en plus clairement, au fil de la pandémie, qu'elle pouvait également affecter le cerveau et le système nerveux.

La COVID-19 a d'abord été considérée comme une maladie respiratoire, mais il est apparu de plus en plus clairement, au fil de la pandémie, qu'elle pouvait également, dans un certain nombre de cas, affecter le cerveau et le système nerveux, et entraîner une fatigue permanente, des maux de tête et un ‘‘brouillard cérébral’’. Ces symptômes neurologiques sont désormais pris au sérieux, comme en témoigne la publication, en mai dernier, par l'Académie américaine de médecine physique et de réadaptation, de recommandations consensuelles sur la manière d'évaluer et de traiter les patients présentant ces symptômes.

Ces recommandations soulignent la nécessité d'identifier les patients présentant des symptômes neurologiques progressifs ou inquiétants (faiblesse soudaine ou progressive, changements sensoriels…) qui pourraient être révélateurs d'une affection grave, du type accident vasculaire cérébral ou problème au niveau de la moelle épinière, et nécessiter une prise en charge médicale immédiate. Il est également recommandé de renforcer la recherche pour comprendre le rôle du SARS-CoV-2, et pour mettre au point et tester de nouveaux traitements. Des études dans ce sens sont déjà en cours ; elles commencent à produire des résultats sur la manière dont la COVID-19 affecte le cerveau et laissent entrevoir des possibilités thérapeutiques.

C’est l’observation de la perte de l’odorat et/ou du goût chez de nombreuses personnes ayant contracté la COVID-19 au cours des premières vagues de la pandémie qui a commencé à alerter sur le fait que le SARS-CoV-2 pouvait avoir des conséquences neurologiques. En octobre 2020, des cas d'accidents vasculaires cérébraux, d'hallucinations, de changements de comportement et d’engourdissement ou de picotements dans les mains ont également été décrits dans la littérature médicale, tandis qu'un nombre croissant de personnes se plaignaient d'une fatigue permanente et souvent débilitante.

L’incapacité à reconnaître les visages

Auparavant en bonne santé, Annie, 28 ans, exerçait la profession de déléguée commerciale et travaillait comme portraitiste à temps partiel lorsqu'elle a contracté la COVID-19 en mars 2020. Au début, ses symptômes correspondaient en gros à la liste officielle des symptômes reconnus à l'époque : toux, fièvre, essoufflement, perte de l'odorat et du goût et diarrhée. Au bout de trois semaines, Annie s'est sentie suffisamment bien pour commencer à travailler à domicile, mais un mois plus tard, de nombreux symptômes sont réapparus.

« C'est à ce moment-là qu'elle a remarqué que quelque chose n'allait pas dans sa façon d’interpréter les visages », explique Marie-Luise Kieseler, étudiante en doctorat au Dartmouth College, dont le travail de thèse portait sur la prosopagnosie acquise. Il s'agit d'une maladie relativement rare dans laquelle les sujets atteints développent une incapacité à reconnaître le visage de personnes familières ou de personnes célèbres. Cette ‘‘cécité faciale’’ survient généralement à la suite d'une lésion cérébrale, souvent au niveau du lobe temporal droit, situé juste au-dessus et derrière l'oreille droite.

Marie-Luise Kieseler a entendu parler des symptômes d'Annie pour la première fois en lisant des discussions sur la COVID-19 dans les médias sociaux. Annie ayant mentionné ses difficultés à reconnaître les visages, elle l'a contactée et lui a demandé si elle souhaitait participer à son étude.

« En général, les personnes atteintes de prosopagnosie acquise ont subi un traumatisme cérébral, un accident vasculaire cérébral ou souffert d’une encéphalite à herpès simplex (maladie inflammatoire rare qui survient lorsque le virus de l'herpès simplex pénètre dans le cerveau) », explique Marie-Luise Kieseler. La prosopagnosie peut également survenir après une opération du cerveau.

Annie s’est donc soumise à une série de tests effectués en laboratoire par M.L. Kieseler et ses collègues pour évaluer la gravité des symptômes. Ils ont notamment testé sa capacité à identifier des personnes célèbres et à apprendre à reconnaître des visages non familiers, deux domaines dans lesquels Annie éprouvait des difficultés. Elle était toutefois capable d’identifier la présence de visages dans une image et de retrouver ceux qui étaient identiques. Ses problèmes semblaient donc liés à la mémoire des visages, plutôt qu'aux visages en tant que tels. Elle pouvait également se souvenir d'images de paysages qu'on lui avait déjà montrées.

Ces problèmes graves et très sélectifs, qui semblent s'être développés à la suite de la COVID-19, ont incité M.L. Kieseler et ses collègues à chercher à savoir si ce phénomène n’était pas plus répandu.

Ils ont alors analysé les données recueillies auprès de 54 patients présentant des symptômes de COVID depuis plus de 12 semaines, et auprès de 32 autres personnes complètement rétablies de l'infection. Il s'est avéré que les personnes présentant des symptômes persistants avaient plus de mal à suivre les personnages lorsqu'elles regardaient la télévision, à s'orienter dans leur environnement ou à trouver des objets dans une pièce encombrée, à se souvenir des numéros de téléphone et à comprendre ce qu'on leur disait ou ce qu'elles lisaient.

« Beaucoup de ces symptômes pourraient être associés à un brouillard cérébral, mais nous pensons qu'il pourrait y avoir d'autres raisons que le simple brouillard cérébral », affirme M.L. Kieseler. « Par exemple, certaines personnes se sont également plaintes que leur vision des couleurs avait changé après la COVID ».

Depuis la publication de ces résultats dans la revue Cortex à la fin du mois de mars, elle a été contactée par de nombreuses autres personnes faisant état de cécité faciale ou de problèmes de conscience spatiale. « Certaines personnes décrivent des objets comme étant soudainement beaucoup plus grands ou beaucoup plus petits qu'ils ne le sont », expose-t-elle.

La cause physique de ces troubles n'a pas encore été étudiée, mais il semblerait que des lésions cérébrales soient également à l'origine d'autres symptômes neurologiques liés à la COVID.

Une fatigue écrasante

La fatigue est l'un des problèmes les plus courants et les plus invalidants signalés par les patients atteints de COVID longue. Une méta-analyse récente suggère que 32 % des personnes atteintes de COVID-19 en souffrent encore 12 semaines ou plus après le diagnostic.

Caractérisée par une sensation écrasante de faiblesse, d'épuisement et une énorme diminution de la capacité de travail physique ou mental par rapport aux activités menées auparavant, la fatigue survient également suite à d'autres affections virales, ou à des maladies auto-immunes affectant le système nerveux.

Le professeur Carsten Finke, neurologue spécialiste des neurosciences cognitives à l’hôpital universitaire de la Charité de Berlin (Allemagne), a déjà étudié la fatigue dans le contexte de la sclérose en plaques (SEP), maladie chronique invalidante due au fait que le système immunitaire s'attaque par erreur au cerveau et aux nerfs. Des études antérieures ont mis en évidence un lien étroit entre l’importance de la fatigue ressentie par les patients et les altérations structurelles du cerveau au niveau des ganglions de la base où sont gérés des processus complexes affectant l'ensemble du corps, et au niveau des réseaux de neurones impliqués dans les processus cognitifs et attentionnels.

Se demandant s'il ne se passait pas quelque chose de similaire avec la COVID longue, le Prof. Finke et ses collègues ont utilisé l'imagerie par résonance magnétique pour scanner le cerveau de 47 patients souffrant de fatigue post-COVID modérée à sévère, ainsi que de 47 personnes en bonne santé n'ayant aucun antécédent de COVID ou de maladie neurologique ou psychiatrique. Ils ont également scanné le cerveau de 47 patients souffrant de fatigue liée à la sclérose en plaques et ont demandé à tous les participants de se soumettre à divers tests cognitifs et neuropsychiatriques.

Des changements dans la structure du cerveau

Ce faisant, ils ont identifié des modifications de structure affectant certaines zones du cerveau : les ganglions de la base et le thalamus ; et ces modifications étaient corrélées à la gravité de la fatigue ressentie par les patients atteints de COVID longue, à l'altération de leurs activités quotidiennes, à la somnolence diurne et aux troubles de la mémoire à court terme. L'étude a été publiée dans eClinicalMedicine.

« On pense généralement que les ganglions de la base jouent un rôle dans le contrôle des mouvements, mais ils ont également d'autres fonctions, notamment dans la mémoire, la motivation, et les comportements guidés par le système de récompense. Selon une hypothèse récente, un déséquilibre effort-récompense serait un des éléments déterminants dans la pathogenèse de la fatigue », explique le Prof. Finke.

Le thalamus, quant à lui, sert de relais central pour les informations sensorielles, sensitives et motrices qui parviennent au cerveau. « Étant donné son rôle de plaque tournante, il est possible que des modifications de la structure ou du fonctionnement du thalamus induites par la maladie contribuent aux symptômes cognitifs et à la fatigue », reconnaît le Prof. Finke.

« L'un des aspects les plus importants de notre étude, c’est qu'elle peut aider à persuader ceux qui n’en sont toujours pas convaincus, que la fatigue, qui peut être dévastatrice, fait partie des symptômes associés à la COVID-19 ».

– Professeur Carsten Finke, neurologue spécialiste des neurosciences cognitives à l’hôpital universitaire de la Charité de Berlin

Cette étude n'est pas la seule à avoir mis en évidence des changements structurels ou fonctionnels dans le cerveau de personnes présentant des symptômes persistants de COVID-19. Ainsi, l’analyse des données de scanners du cerveau conservées par la biobanque britannique dont les résultats ont été publiés l'année dernière, a mis en évidence une atrophie cérébrale, une perte de matière grise et un déclin cognitif chez environ 400 personnes dont le cerveau avait été scanné avant et après la COVID-19. Aucun changement de ce type n'a été observé chez les personnes qui n'avaient pas été infectées. Des neurologues de l'hôpital Clinique San Carlos de Madrid, en Espagne, ont également identifié récemment une réduction de la matière grise dans les zones corticales, limbiques et cérébelleuses du cerveau chez leurs patients atteints de COVID longue, ainsi qu'une altération de la connectivité entre les différentes régions du cerveau.

Le mécanisme des lésions

Le Prof. Finke reconnaît toutefois qu’il est nécessaire de poursuivre les recherches pour prouver que ces modifications observées au niveau du cerveau sont à l'origine de la fatigue liée à la COVID et aux autres problèmes cognitifs, notamment à la cécité faciale. D'autres recherches sont également nécessaires pour identifier les causes de ces changements.

Il existe plusieurs théories. Selon l’une d'elles, le virus endommagerait directement le cerveau. Même si elle n’a pas permis d'identifier la présence du SARS-CoV-2 dans le cerveau, l’autopsie des personnes décédées de la COVID-19 a montré, dans certains cas, une accumulation notable de la protéine du spicule viral (ou protéine spike) dans le crâne, les tissus cérébraux et les membranes qui entourent le cerveau. D’autres expériences ont également révélé que l'injection de protéine spike dans le cerveau de souris endommageait ou tuait les cellules cérébrales et déclenchait une inflammation persistante.

Par ailleurs, l’autopsie de cerveaux de personnes décédées après avoir contracté la COVID-19 a révélé des lésions au niveau des cellules formant la barrière hémato-encéphalique (structure qui empêche les substances nocives d'entrer dans le cerveau mais qui laisse passer les substances nécessaires) et des signes indiquant que des anticorps pourraient être impliqués dans l'attaque. Il est possible que, chez certains patients, les anticorps produits en réponse à la COVID-19 ciblent par erreur ces cellules barrières, et permettent à des protéines de s'infiltrer dans le cerveau. Ces protéines pourraient éventuellement déclencher des saignements ou la formation de caillots, ce qui priverait d'oxygène les zones voisines dans le cerveau.

« Une fois qu’une fuite se produit, les cellules immunitaires telles que les macrophages peuvent également venir essayer de réparer les dommages, ce qui provoque une inflammation », explique le professeur Avindra Nath, chef de clinique à l’Institut national des troubles neurologiques et des accidents vasculaires cérébraux du National Institute of Neurological Disorders and Stroke à Bethesda, aux États-Unis, qui a dirigé cette recherche. « Cela entraîne à son tour des lésions dans les neurones ».

Par ailleurs, une inflammation persistante, de faible intensité, dans d'autres parties du corps - déclenchée par la réponse initiale du système immunitaire au virus ou par des réponses continues à des poches d'infection persistantes - pourrait mettre les cellules immunitaires du cerveau en état d'alerte, et entraîner également une inflammation dans cette région. Avec le temps, cela pourrait endommager les cellules nerveuses ou altérer la chimie du cerveau, affectant des éléments tels que l'humeur, l'énergie ou le sommeil

Un problème grave

La reconnaissance croissante du fait que la COVID-19 peut affecter le cerveau n’est pas d’une aide immédiate pour les patients comme Annie, qui se surprend encore à conduire dans la direction opposée à celle initialement prévue et qui doit continuer à se fier à la voix de ses interlocuteurs pour les identifier. « C’est comme si les visages flottaient dans ma tête » explique-t-elle.

Mais maintenant que l’on prend ces symptômes au sérieux, on va pouvoir les étudier, ce qui pourrait ouvrir la voie à de nouveaux traitements. Par exemple, si les anticorps induits par le SARS-CoV-2 se mettent à attaquer par erreur la barrière hémato-encéphalique ou d'autres tissus, on pourrait envisager des traitements immuno-modulateurs. Les chercheurs tentent également de déterminer si l'administration d'antiviraux pourrait améliorer les symptômes en aidant à éliminer le virus résiduel et à réduire l'inflammation.

Pour tous ceux qui sont atteints de COVID longue, il est urgent de trouver des traitements. En attendant, la découverte de modifications au niveau du cerveau peut aider les personnes concernées à faire prendre leurs symptômes au sérieux et à accéder au soutien médical et social dont ils ont besoin et qu’ils revendiquent.

« L'un des aspects les plus importants de notre étude, c’est peut-être qu'elle peut aider à persuader ceux qui n’en sont toujours pas convaincus, que la fatigue, qui peut être dévastatrice, fait partie des symptômes de la COVID-19 », reconnaît le Prof. Finke. « Nous avons montré la présence de modifications dans le cerveau de ces patients. Même si, à ce stade, nous ne savons pas exactement ce que cela signifie, c’est quelque chose que l'on ne absolument pas négliger ».