Les vaccins sans aiguille pourraient être disponibles d'ici cinq ans, mais il faut pour cela des investissements

Les chercheurs réclament la construction d'installations de fabrication pilotes "à risque", pour pouvoir déployer cette technologie révolutionnaire avant l’arrivée d’une nouvelle pandémie.

  • 9 octobre 2023
  • 5 min de lecture
  • par Linda Geddes
Les vaccins sous forme de patchs à microréseaux sont fabriqués différemment des vaccins traditionnels administrés par piqûre, avec une seringue et une aiguille. Crédit : Vaxxa
Les vaccins sous forme de patchs à microréseaux sont fabriqués différemment des vaccins traditionnels administrés par piqûre, avec une seringue et une aiguille. Crédit : Vaxxa
 

 

Les vaccins sans aiguille pourraient révolutionner le domaine de la vaccination, mais des investissements sont nécessaires pour accélérer leur mise au point et leur permettre de jouer un rôle dans la protection contre de nouvelles épidémies. Sans cela leur développement risque de trainer, et les premiers patchs homologués pourraient ne pas être disponibles avant une dizaine d'années, estiment les chercheurs.

Les patchs à microréseaux (microarray patch, MAP), également connus sous le nom de patchs à micro-aiguilles, sont constitués d’un ‘‘timbre’’ d’un centimètre de large à coller sur la peau, comme un petit pansement. La face en contact avec la peau est parsemée de pointes microscopiques recouvertes de vaccin séché, qui transpercent sans douleur la couche la plus superficielle de la peau pour larguer le vaccin dans les couches supérieures (épiderme et derme).

Les patchs à microréseaux sont en développement depuis plusieurs dizaines d’années, mais aucun n'a encore été approuvé par les autorités de réglementation – même si la pandémie de COVID-19 a ravivé l'intérêt et les investissements pour cette technologie.

Comme ils peuvent se conserver à température ambiante et s’administrer sans formation médicale, les patchs vaccinaux devraient permettre de surmonter bon nombre des obstacles logistiques qui entravent le déploiement des vaccins, et d’atteindre tout le monde, partout, aussi rapidement que possible. Faciles à distribuer et administrer, ces vaccins devraient pouvoir être déployés très rapidement en cas d'épidémie ou de pandémie.

Une technologie révolutionnaire

Comme on l'a vu lors de la pandémie de COVID-19, la chaîne de distribution des vaccins peut connaître des goulets d'étranglement à différents stades : pénuries de composants des vaccins ou de fournitures pour leur conditionnement, manque de centres de remplissage et de finition ou manque de personnel pour les administrer.

La disponibilité de vaccins sans aiguilles pourrait atténuer la pression exercée sur bon nombre de ces points d'achoppement. Leur mode de fabrication étant différent de celui des vaccins traditionnels, il y aurait moins de concurrence pour certaines matières premières. Les vaccins sous forme de patch sont également plus légers que les vaccins traditionnels, plus stables à température ambiante et plus faciles à administrer. Leur transport et leur distribution en sont simplifiés - ils pourraient même être livrés directement dans les dispensaires ou au domicile des patients. Ceux qui n'aiment pas les aiguilles pourraient également accepter plus volontiers de se faire vacciner à l'aide d'un patch.

L’étude de modélisation réalisée récemment par la société américaine de conseil en soins de santé Avalere Health, avec un scénario de pandémie similaire à celui de la COVID-19, a montré que la morbidité pourrait être réduite de 35 % et le nombre de décès de 30 % aux États-Unis, grâce à la vaccination au moyen de patchs à microréseaux, même si cela ne concerne que 10 % des vaccins administrés. Au niveau mondial, cette approche pourrait faire économiser 500 milliards de dollars américains sur deux ans.

Les obstacles au succès

Les patchs à microréseaux sont en développement depuis plusieurs dizaines d’années, mais aucun n'a encore été approuvé par les autorités de réglementation – même si la pandémie de COVID-19 a relancé l'intérêt et les investissements dans cette technologie.

Les essais cliniques de phase 1/2 d’un patch vaccinal contre la rougeole et la rubéole viennent de s’achever et leurs résultats devraient être publiés prochainement, tandis que deux autres essais cliniques de phase 1/2 sont en préparation. Plusieurs patchs vaccinaux candidats contre la COVID-19 et la grippe entrent en essais de phase 1/2. De nombreux autres patchs font l'objet d'une évaluation préclinique pour la prévention de diverses maladies - notamment la rage et le virus du papillome humain (HPV). .

Malgré tout, il reste encore un certain nombre d'obstacles à franchir avant de pouvoir exploiter les avantages potentiels de cette technologie.

Étant donné que le vaccin contenu dans les patchs à microréseau se présente sous forme sèche, les développeurs et les fabricants doivent s'assurer que la quantité d’antigène (composant du vaccin qui induit la réponse immunitaire) peut être suffisamment concentrée pour libérer une dose complète.

Il reste également à élaborer les normes de stérilité pour la fabrication du vaccin et à standardiser les tests de contrôle de qualité, et enfin à s’assurer de l’acceptation des patchs à microréseaux par le personnel de santé et le grand public.

Des installations dédiées

Mais le principal goulet d'étranglement est sans aucun doute l’absence de sites de production commerciale de ces vaccins, d'où l'appel à investissement pour financer des installations de fabrication à l'échelle pilote, sans garantie absolue de succès, comme c'est toujours le cas quand il s’agit d’innovations révolutionnaires.

Selon la Dre Tiziana Scarnà, responsable du façonnage des marchés chez Gavi, il est possible de réduire considérablement le risques tout en accélérant la disponibilité de cette technologie, en partageant le coût des investissements entre les inventeurs, les organisations mondiales de santé publique et différents autres donateurs.

Dans un article publié dans la revue Expert Opinion on Drug Delivery, Scarnà et ses collègues de l'OMS, de l'UNICEF, de la Fondation Bill & Melinda Gates, PATH, et CEPI, du ministère américain de la défense et de la Biomedical Advanced Research and Development Authority (BARDA) reconnaissent que : « La mise au point de vaccins contre la pandémie de COVID-19 a montré qu’il était possible de réduire considérablement les délais de développement des vaccins grâce à la volonté politique, le financement à risque et la collaboration étroite entre tous les acteurs.

« On pourrait, de la même façon, augmenter les investissements à risque pour les installations pilotes de production de patchs vaccinaux et favoriser les partenariats entre les inventeurs, les producteurs de vaccins et les entreprises de développement et de fabrication sous contrat.

« Grâce aux investissements consentis aujourd'hui, il devrait être possible de mettre en place, d’ici deux à trois ans, une ou deux usines pilotes, et de lancer les premières études en vue de leur homologation dans les trois ans qui viennent. Cela pourrait entraîner de nouveaux investissements dans la recherche et développement et permettre, au niveau mondial, de constituer un portefeuille de patchs vaccinaux au stade de R&D, dont plusieurs pour lutter contre des maladies endémiques ou contre les épidémies.

Des installations polyvalentes

Pour réduire encore les risques financiers, il faudrait que la technologie et les unités de production de patchs vaccinaux soient suffisamment polyvalentes pour pouvoir s’appliquer à différentes cibles vaccinales et différentes plateformes, en fonction des besoins. « Il est également important de pouvoir utiliser ces installations entre deux épidémies, par exemple pour les vaccins administrés en routine, à la fois pour justifier les investissements et pour être prêt à riposter rapidement », ont déclaré Tiziana et ses collègues. 

L’adoption de ces mesures permettrait, à tout le moins, de réaliser le minimum d'essais cliniques avant la prochaine épidémie ou une nouvelle pandémie. En d’autres termes, il faudrait que la liste des utilisations d'urgence du premier patch vaccinal soit disponible dans moins de cinq ans.