Rattraper le retard vaccinal contre la rougeole, un défi à portée de main au Burkina Faso

Situé en zone périurbaine au nord de Ouagadougou, le centre de santé et de promotion sociale de Marcoussis mène un combat acharné pour vaincre la rougeole dans son aire sanitaire. Même si la pandémie de COVID-19 a ébranlé les campagnes de vaccination contre le virus, depuis quelques années, la structure sanitaire mise de plus en plus sur la sensibilisation et les stratégies avancées de vaccination pour rattraper le retard vaccinal des dizaines d’enfants zéro-dose.

  • 24 avril 2023
  • 6 min de lecture
  • par Abdel Aziz Nabaloum
Des mères viennent faire vacciner leur bébé contre la rougeole au Centre de santé et de promotion sociale de Marcoussis. Crédit : Abdel Aziz Nabaloum
Des mères viennent faire vacciner leur bébé contre la rougeole au Centre de santé et de promotion sociale de Marcoussis. Crédit : Abdel Aziz Nabaloum
 

 

Agé de 15 ans, Abdallah est le premier cas confirmé de rougeole de l’année du Centre de santé et de promotion sociale (CSPS) de Marcoussis. A la recherche d’or avec ses parents sur les différents sites d’orpaillage de la ville de Banfora (à 443 km de la capitale), il a échappé à la vaccination de routine contre la rougeole depuis belle lurette. Détecté le 15 février 2023, il est rapidement pris en charge. « C’est un cas importé que nous avons dépisté. Lorsque nous sommes allés pour des investigations à domicile, nous avons trouvé en plus de lui cinq autres enfants contaminés. Son calendrier vaccinal n’était pas à jour. Etant avec ses parents sur les sites aurifères, ces derniers n’ont pas mesuré l’importance de la vaccination pour lui », relate Jacques Tiendrébéogo, infirmier d’Etat, chef du Programme élargi de vaccination (PEV) du CSPS de Marcoussis. Pris en charge en ambulatoire, aujourd’hui Abdallah va mieux.

Au CSPS de Marcoussis, toutes les stratégies sont mises en place pour qu’aucun enfant n’échappe à la vaccination contre la rougeole. Tous les jeudis, dès 8 heures, le rendez-vous est donné aux mamans au sein de la formation sanitaire pour vacciner leurs enfants et permettre aux retardataires de rattraper leur calendrier vaccinal non à jour. Ce jeudi 6 avril, des dizaines de femmes ont déjà pris place devant la terrasse de la formation sanitaire. Dans la petite cabine de fortune en bois qui sert de salle de consultation, les enfants sont pesés avant de passer devant l’agent vaccinateur, Nadège Tapsoba, accoucheuse auxiliaire. Portés au dos ou à la poitrine de leur mère, leurs cris et leurs pleurs s’entremêlent.

Pour identifier [les enfants zéro-dose], de concert avec le PEV du CSPS, les structures privées de soins et des bénévoles appelées mères fidélisantes ont été mises à contribution pour galvaniser les femmes à faire vacciner leurs enfants.

Vérification de carnet, pesée… la petite Chroucria Ouédraogo, 9 mois, reçoit sa première dose du vaccin. « Le vaccin protège. Je ne veux pas courir après pour rattraper ses vaccins. Ceux qui pensent que le vaccin n’est pas bien sont complètement dans l’ignorance », lance Oumou Sana, la mère de cette dernière.

Nadège Tapsoba, accoucheuse auxiliaire expliquant aux femmes les bienfaits de la vaccination.
Nadège Tapsoba, accoucheuse auxiliaire, explique aux mamans les bienfaits de la vaccination.
Crédit : Abdel Aziz Nabaloum

La COVID-19 a tout chamboulé

Le virus rougeoleux se transmet habituellement par contact direct ou par l’air, infectant les voies respiratoires puis se propageant à tout l’organisme. Le premier signe d’infection est en général une forte fièvre. Au cours de ce stade initial, le tableau peut comporter une rhinorrhée (nez qui coule), de la toux, des yeux rouges et larmoyants, et de petits points blanchâtres sur la face interne des joues. Parmi les complications les plus graves, on observe des cécités, des encéphalites (qui peuvent s’accompagner d’œdèmes cérébraux), des diarrhées sévères (susceptibles d’entraîner une déshydratation), des infections auriculaires et des infections respiratoires graves comme la pneumonie.

Si depuis des années, tous les jeudis, le CSPS ne désemplit pas, en mars 2020, l’apparition de la COVID-19 a freiné les efforts des agents de santé pour débarrasser l’aire sanitaire de la rougeole. « Au début de la pandémie, les mauvaises langues ont faire croire aux parents que ce sont les vaccins contre la COVID-19 qui seront injectés aux enfants. Donc il y avait une réticence », regrette Jacques Tiendrébéogo.

Le chef du programme élargi de vaccination, Jacques Tiendrébéogo en préparation de vaccin.
Le chef du programme élargi de vaccination, Jacques Tiendrébéogo, prépare une dose de vaccin.
Crédit : Abdel Aziz Nabaloum

Cette désinformation a eu un impact négatif sur la vaccination de routine, notamment sur la lutte contre la rougeole. De plus, aux dires de Nadège Tapsoba, car, pour éviter les contaminations au coronavirus, il ne fallait pas prendre en charge un trop grand nombre de femmes avec leurs bébés. « Aussi, notre local est très vétuste et inadapté. Ce qui faisait qu’on mettait les femmes sous le hangar. Avec le vent, ce n’était pas prudent pour les enfants. Cela a contribué à diminuer la fréquentation du centre », raconte-t-elle.

Pendant la pandémie, ajoute, le major du CSPS, Paulin Kombasseré, le nombre d’enfants zéro-dose a fortement augmenté. « Contrairement aux hôpitaux qui sont bien équipés, ici, c’est un seul bâtiment qui fait office de centre de santé avec tous les services. Quand les mamans viennent avec une longue file d’attente, elles repartent et souvent ne reviennent plus. Or, si elles ne reviennent plus, il nous faut aller les rechercher », affirme-t-il.

Rattrapage pour près de 3000 enfants

Pour les identifier, de concert avec le PEV du CSPS, les structures privées de soins et des bénévoles appelées mères fidélisantes ont été mises à contribution pour galvaniser les femmes à faire vacciner leurs enfants. Cette stratégie s’est avérée efficace. Elle a permis, selon le major Kombasseré, d’améliorer les indicateurs. Ainsi, de janvier à décembre 2022, près de 2600 enfants ont été vaccinés dont 776 au CSPS et 1800 de concert avec les structures privées de santé. « Le centre était fréquenté, mais côté PEV, cela avait baissé de 10 à 15% entre 2020 et mi-2021. Il y a eu une désinformation sur la maladie et certaines mères croyaient que leurs enfants recevraient le vaccin contre la COVID-19. Nous avons travaillé pour changer les mentalités en leur disant que nous ne pouvons pas administrer un vaccin à l’enfant qui n’en a pas besoin », fait-il savoir.

Le major du CSPS, Paulin Kombasseré
Le major du CSPS, Paulin Kombasseré.
Crédit : Abdel Aziz Nabaloum

Aussi, selon M. Tiendrébéogo, une campagne de rattrapage s’est déroulée de novembre à décembre 2022. Elle a consisté à rechercher les enfants zéro-dose et insuffisamment vaccinés (qui n’ont plus reçu de vaccins après leurs 4 mois). « Nous avons pu vacciner près de 300 enfants autour de la zone tampon, un quartier sauté ou négligé lors des campagnes de vaccination et situé entre les CSPS de Marcoussis, Yagma et du secteur 21 », rappelle-t-il.

Pour sa part, Nadège Tapsoba, accoucheuse auxiliaire, continue de miser sur la communication pour convaincre les mères à ne pas abandonner la vaccination. Pour rattraper le retard vaccinal, au CSPS de Marcoussis, la stratégie avancée se poursuit en allant en zone périphérique pour rechercher les enfants qui en ont besoin. « De janvier à mars 2023, 567 enfants dont 184 au CSPS et 383 par la stratégie avancée ont été vaccinés contre la rougeole », confie le major Kombasseré.


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