Le paludisme pourrait-il faire son retour aux États-Unis, en Europe et ailleurs en raison du changement climatique ?

Les moustiques à l’origine de la propagation du paludisme étendent leur distribution géographique à cause du réchauffement des températures et de la modification des régimes pluviométriques.

  • 13 mai 2024
  • 9 min de lecture
  • par Linda Geddes
En 2022, le Pakistan a connu des pluies torrentielles et des inondations qui ont multiplié par cinq le nombre de cas de paludisme par rapport à 2021. Crédit : photoGraph sur Pexels
En 2022, le Pakistan a connu des pluies torrentielles et des inondations qui ont multiplié par cinq le nombre de cas de paludisme par rapport à 2021. Crédit : photoGraph sur Pexels
 

 

En août 2023, une personne vivant dans le Maryland (États-Unis), près de Washington DC, a contacté son médecin car elle avait de la fièvre, des courbatures et ne se sentait pas bien depuis environ une semaine. Les examens effectués à l’hôpital ont révélé une anémie et la présence de parasites dans ses globules rouges.

« Le changement climatique accroît le nombre de personnes dans le monde qui sont dévastées par des crises liées à l’environnement, par exemple, les inondations, les sécheresses et l’insécurité alimentaire. Cette situation augmente considérablement leur vulnérabilité aux maladies débilitantes telles que le paludisme. Et ces menaces pèsent plus lourdement sur les populations qui sont déjà les plus vulnérables – dans les sociétés et dans le monde entier. »

– W. Scott Gordon, Directeur du Programme vaccinal contre le paludisme de Gavi

Le patient ayant été récemment piqué par une tique, les médecins ont tout d’abord soupçonné qu’il pouvait être atteint par une maladie parasitaire appelée la babésiose. Des examens complémentaires ont toutefois révélé la présence de Plasmodium falciparum – le parasite le plus mortel du paludisme – bien que le patient n’ait pas récemment voyagé à l’étranger.

Premier cas aux États-Unis depuis 20 ans

Autrefois, le paludisme était largement répandu aux États-Unis et dans de nombreux pays européens, mais l’assèchement des zones humides où se reproduisent les moustiques, le recours aux insecticides, aux moustiquaires, aux médicaments antipaludiques et l’amélioration des diagnostics ont permis de l’éliminer progressivement. La plupart des pays de ces régions ont été déclarés exempts de paludisme dans les années 1970.

Aux États-Unis, les moustiques anophèles, vecteurs du paludisme, sont toujours présents et environ 2 000 cas de paludisme sont découverts chaque année chez des voyageurs en provenance de pays où la maladie est endémique. Toutefois, ces cas étant relativement rares et tendant à être rapidement détectés et traités, la transmission par un moustique qui pique une personne infectée puis une autre personne, est encore plus rare.

Avant l’année dernière, aucun cas de ce type n’avait été signalé depuis 2003, et aucun cas n’avait été signalé dans le Maryland depuis plus de 40 ans. Toutefois, entre mai et octobre 2023, dix personnes ont été diagnostiquées avec un paludisme contracté localement en Floride, au Texas, en Arkansas et dans le Maryland – y compris le patient décrit ci-dessus.

Le changement climatique est-il en cause ?

Bien qu’il soit trop tôt pour savoir si ces cas marquent le début d’une tendance, les scientifiques sont de plus en plus nombreux à estimer que le paludisme est susceptible de resurgir dans des pays ou des régions déclaré(e)s depuis longtemps exempt(e)s de paludisme, notamment dans certaines parties des États-Unis, en raison du changement climatique.

« Il se passe des choses qui ne semblent pas nécessairement compatibles avec la tendance de l’éradication du paludisme, notamment dans des endroits où il a été historiquement éliminé, à l’instar du paludisme contracté localement, par exemple en Grèce. »

– Chris Murray, professeur en changement climatique et santé, au sein de l’unité « MRC en Gambie » de la London School of Tropical Medicine

« Le changement climatique accroît le nombre de personnes dans le monde qui sont dévastées par des crises liées à l’environnement, par exemple, les inondations, les sécheresses et l’insécurité alimentaire. Cette situation augmente considérablement leur vulnérabilité aux maladies débilitantes telles que le paludisme », a déclaré W. Scott Gordon, Directeur du Programme vaccinal contre le paludisme de Gavi « Et ces menaces pèsent plus lourdement sur les populations qui sont déjà les plus vulnérables – dans les sociétés et dans le monde entier. »

Le paludisme n’est pas la seule maladie à propos de laquelle les chercheurs et les professionnels de la santé sont inquiets. D’autres maladies à transmission vectorielle (transmises par des arthropodes suceurs de sang), telles que la dengue, le virus Zika, le virus du Nil occidental et le chikungunya, devraient également étendre leur distribution géographique à des régions plus tempérées, plus au nord ou au sud, à cause du réchauffement des températures et de la modification des régimes pluviométriques.

« Les maladies à transmission vectorielle et les zoonoses [celles qui se transmettent des animaux aux êtres humains] en particulier sont sensibles au climat, parce qu’il [le climat] a une incidence sur le cycle de vie, la dispersion et le succès des hôtes à partir desquels ces maladies se transmettent », a expliqué Chris Murray, professeur en changement climatique et santé au sein de l’unité « MRC en Gambie » de la London School of Tropical Medicine.

Dans son dernier Rapport mondial sur le paludisme, publié en novembre 2023, l’Organisation mondiale de la Santé a averti que le changement climatique était susceptible de compromettre les progrès réalisés dans la lutte mondiale contre la maladie, en particulier dans les régions vulnérables où l’interruption de l’accès aux médicaments antipaludiques, aux vaccins et à d’autres mesures préventives telles que les moustiquaires imprégnées d’insecticide, par exemple à la suite d’un conflit ou d’une catastrophe naturelle, accroît encore le risque d’épidémies de paludisme.

Des étés plus longs et des hivers plus doux pourraient prolonger la saison de reproduction des moustiques et permettre à un plus grand nombre d’entre eux de survivre et de prospérer, tandis que les mares d’eau stagnante laissées par les inondations ou les conteneurs en plastique utilisés pour stocker l’eau dans les établissements humains temporaires constituent des lieux de reproduction idéaux. Les températures plus chaudes accélèrent également le cycle de croissance des parasites du paludisme, augmentant ainsi leur nombre.

La transmission du paludisme évolue

Il existe d’ores et déjà des indications que les choses évoluent : « Il se passe des choses qui ne semblent pas nécessairement compatibles avec la tendance de l’éradication du paludisme, notamment dans des endroits où il a été historiquement éliminé, à l’instar du paludisme contracté localement, par exemple en Grèce, » a déclaré Chris Murray. « Il est toutefois difficile d’attribuer des événements individuels au changement climatique, car d’autres facteurs peuvent y contribuer, tels que l’évolution des taux d’importation [du paludisme] liée à l’évolution des flux de personnes.

Par ailleurs, la saison de transmission possible dans de nombreux endroits se prolonge. Dans les régions tempérées en particulier, la transmission locale est uniquement possible au cours d’une saison donnée, généralement l’été en Europe ou aux États-Unis. Et ce qui semble se produire, du moins d’un point de vue théorique, c’est que la saison se prolonge. »

Selon le rapport de l’OMS, certaines des données probantes les plus solides d’un lien entre le changement climatique et la transmission du paludisme proviennent d’observations à long terme de cas dans les régions montagneuses d’Afrique, en marge de la transmission endémique. Celles-ci suggèrent que la hausse des températures a conduit à l’expansion de la maladie au cours des récentes décennies.

En 2022, le Pakistan a connu des pluies torrentielles et des inondations qui ont multiplié par cinq le nombre de cas de paludisme par rapport à 2021, indique le rapport, et ces phénomènes météorologiques extrêmes devraient devenir plus fréquents en raison du changement climatique.

Certaines régions pourraient constater une baisse du nombre de cas

Cependant, il n’y a pas que des mauvaises nouvelles. Certaines régions où le paludisme est actuellement endémique pourraient connaître une diminution des cas de paludisme en raison de l’évolution des températures.

Le Prof. Jane Carlton, Directrice de l’Institut de recherche sur le paludisme à l’École de santé publique Johns Hopkins Bloomberg, a expliqué : « Un fait intéressant concernant le paludisme est que le parasite lui-même ne peut se développer dans un moustique que dans une plage de températures relativement étroite : s’il fait trop froid, le parasite ne se développera pas, et s’il fait trop chaud, il ne se développera pas non plus. Ainsi, s’il fait trop chaud dans une certaine région, le parasite mourra et il pourrait y avoir moins de cas de paludisme. »

« Un fait intéressant concernant le paludisme est que le parasite lui-même ne peut se développer dans un moustique que dans une plage de températures relativement étroite : s’il fait trop froid, le parasite ne se développera pas, et s’il fait trop chaud, il ne se développera pas non plus. Ainsi, s’il fait trop chaud dans une certaine région, le parasite mourra et il pourrait y avoir moins de cas de paludisme. »

– Prof Jane Carlton, Directrice de l’Institut de recherche sur le paludisme à l’École de santé publique Johns Hopkins Bloomberg

« Toutefois, cela signifie également que dans les régions plus tempérées, notamment les régions montagneuses des pays où le paludisme est déjà endémique, il pourrait y avoir une augmentation du nombre de cas parce que la plage au sein de laquelle les moustiques peuvent vivre et le parasite se développer évoluera. Nous pourrions par conséquent assister à un changement géographique dans la distribution du paludisme, ce qui est préoccupant. »

Il est impossible d’affirmer avec certitude si ces facteurs ont contribué à la recrudescence des cas de paludisme contractés localement aux États-Unis l’année dernière. Sept de ces cas sont apparus dans le comté de Sarasota, en Floride, au sud de Tampa ; un cas est apparu au Texas, juste au nord de la frontière avec le Mexique ; et un autre est apparu près de Little Rock, dans l’Arkansas. Contrairement au cas du Maryland, ces cas concernaient le Plasmodium vivax, le parasite dominant du paludisme en dehors de l’Afrique subsaharienne. Tous les patients se sont rétablis et rien ne permet de penser qu’il existait un lien entre ces cas, a indiqué l’un des Centres pour le contrôle et la prévention des maladies aux États-Unis.

« S’il existe un plus grand nombre de cas [contractés localement] cette année, il faudra certainement y être plus attentif », a annoncé Jane Carlton. « Mais je pense que ces cas ont réellement déclenché une prise de conscience quant à la nécessité de mener davantage d’études afin de mieux comprendre les populations locales de moustiques. »

Études en Italie

De telles études sont d’ores et déjà menées ailleurs. Par exemple, en Italie, où le paludisme était endémique jusque dans les années 1970, un cluster de sept cas de paludisme non importés et apparemment sans lien entre eux est apparu en 2017, dont un cas de paludisme à P. falciparum qui a entraîné le décès d’une fillette de quatre ans. Une enquête ultérieure a suggéré qu’elle avait pu le contracter lors d’un séjour à l’hôpital, car la souche de paludisme était la même que celle qui avait infecté une autre famille qui l’avait contracté lors d’un récent voyage au Burkina Faso et qui était hospitalisée en même temps. Il est possible que la réutilisation d’une aiguille ou une autre erreur humaine soit à l’origine de l’infection de la fillette, ont indiqué les enquêteurs.

« L’être humain constitue un élément essentiel du cycle de transmission du paludisme et de nombreuses autres maladies à transmission vectorielle. Si nous parvenons à une meilleure prise en charge de nos populations les plus vulnérables – en veillant à ce qu’elles soient vaccinées, correctement nourries et qu’elles aient accès à des moyens de prévention tels que les moustiquaires – nous pourrons peut-être limiter certaines des conséquences les plus dramatiques du changement climatique. »

– W. Scott Gordon, Directeur du Programme vaccinal contre le paludisme de Gavi

Une surveillance accrue à la suite de ces cas a permis de détecter des espèces de moustiques capables de transporter des parasites du paludisme dans plusieurs régions d’Italie, notamment dans les rizières des régions septentrionales, tandis qu’une étude publiée au début du mois dans la revue médicale Parasites and Vectors a révélé la présence de moustiques Anopheles sacharovi – historiquement l’un des deux principaux vecteurs du paludisme en Italie et dont on pensait qu’il avait disparu du pays il y a plus de 50 ans – dans la région méridionale des Pouilles.

Bien qu’il soit peu probable que la densité de ces moustiques constitue une menace pour la santé à l’heure actuelle, « afin de prévenir le risque de réintroduction de la maladie, la nécessité de renforcer la surveillance des [moustiques anophèles] dans tout le Sud doit être envisagée », ont déclaré les auteurs de l’étude.

Même si le risque de contracter le paludisme dans les régions tempérées reste très faible à l’heure actuelle, « il est important que nous disposions de systèmes permettant de détecter des changements inhabituels dans la distribution ou l’abondance des espèces [porteuses de maladies] », a affirmé Chris Murray.

Il est également nécessaire de sensibiliser davantage le public aux signes et aux symptômes du paludisme et d’autres maladies à transmission vectorielle dans les pays où ils ne sont pas encore répandus. « Il est important de commencer à informer la population américaine sur les moyens de se protéger pendant les mois d’été, notamment en portant des chemises à manches longues et en étant plus attentifs aux piqûres », a expliqué Jane Carlton.

Priorité aux pays les plus vulnérables

Il est toutefois important de ne pas perdre de vue les progrès considérables qui ont été réalisés dans la lutte contre le paludisme au cours des dernières décennies et de reconnaître que la majorité des transmissions a toujours lieu dans les pays à faible revenu. Il est essentiel de continuer à concentrer les efforts de prévention et de surveillance sur ces pays, car les disparités en matière de santé ne font qu’amplifier les disparités socio-économiques mondiales et régionales, rendant les populations encore plus vulnérables à l’impact des catastrophes liées au climat et à d’autres crises.

La perturbation des systèmes de santé publique, qu’elle soit due à des conflits civils, à la pauvreté ou à des catastrophes liées au climat, représente la plus grande menace qui pèse sur les progrès réalisés dans la lutte contre le paludisme. « C’est à ce moment-là que nous commençons à observer une augmentation des cas de paludisme, » a précisé Jane Carlton.

Notre climat change à l’échelle mondiale. Le meilleur moyen de nous protéger contre le paludisme consiste à renforcer les systèmes de soins de santé afin de garantir la sécurité de tous. « L’être humain constitue un élément essentiel du cycle de transmission du paludisme et de nombreuses autres maladies à transmission vectorielle. Si nous parvenons à une meilleure prise en charge de nos populations les plus vulnérables – en veillant à ce qu’elles soient vaccinées, correctement nourries et qu’elles aient accès à des moyens de prévention tels que les moustiquaires – nous pourrons peut-être limiter certaines des conséquences les plus dramatiques du changement climatique » a indiqué Scott Gordon.