Quatre raisons pour lesquelles les moustiques vecteurs de maladies pourraient se multiplier dans des pneus de voiture près de chez vous
Les moustiques vecteurs de la fièvre jaune, de la dengue, du chikungunya et de Zika devraient atteindre de nouvelles populations et de nouvelles zones géographiques au cours des prochaines décennies. Qu'est-ce qui favorise leur propagation ?
- 21 novembre 2023
- 6 min de lecture
- par Ciara McCarthy
Au début du mois, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) a présenté un rapport sur la progression de trois maladies transmises par les moustiques : dengue, chikungunya et Zika. Ces maladies virales circulent depuis des décennies, mais sans avoir vraiment posé un véritable problème de santé publique, contrairement au paludisme, transmis également par des moustiques. Alors pourquoi l'OMS s'en préoccupe-t-elle aujourd'hui ?
L'incidence de la dengue et du chikungunya a augmenté de façon spectaculaire ces dernières années. En 2000, on signalait un peu plus de 500 000 cas de dengue. En 2019, ce chiffre est passé à 5,2 millions. Une personne sur deux dans le monde est aujourd'hui exposée à la maladie.
Les activités humaines (urbanisation, voyages, commerce) favorisent, depuis des siècles, l'expansion de ces populations de moustiques. Avec l’accélération de ces pratiques, associées au changement climatique, plus de la moitié de la population mondiale vit dans des zones exposées au risque de transmission de virus par les moustiques.
L'incidence des infections à virus Zika a diminué depuis l'importante épidémie de 2016, mais les experts craignent que la diminution de l’immunité et la survenue de mutations chez le virus ne favorisent la survenue de nouvelles épidémies.
L'OMS ne s'inquiète pas seulement de l'augmentation du nombre de cas, mais aussi de l'apparition des maladies transmises par les moustiques dans des régions où aucun cas n'avait jamais été signalé auparavant. Quelques cas de dengue et de chikungunya sont signalés périodiquement en Europe depuis 2010, mais l'OMS a émis un signal d’alarme : le nombre élevé de cas recensés en Amérique du Sud au début de l'année 2023 pourrait préfigurer ce qui attend l’Europe à l'approche de l'été.
Ces maladies s'étendent à de nouvelles régions en même temps que les moustiques qui les transmettent. D'ici 2050, le moustique vecteur de la fièvre jaune, responsable de la transmission de la majorité des cas de dengue, pourrait remonter vers le Nord jusqu'à Chicago et Shanghai. Une autre espèce apparentée, le moustique tigre, pourrait envahir de vastes régions en France et en Allemagne.
Quel est donc le moteur de cette propagation ? Il s'avère que les activités humaines (urbanisation, mondialisation du commerce, voyages et mouvements de population) favorisent, depuis des siècles, l'expansion de ces populations de moustiques. Avec l’accélération de ces pratiques, associée au changement climatique, plus de la moitié de la population mondiale vit dans des zones exposées au risque de transmission de virus par les moustiques.
Rôle de l’urbanisation
On pense que les ancêtres du moustique actuellement vecteur de la fièvre jaune vivaient dans les forêts de l'Afrique subsaharienne. Leurs larves se développaient dans les trous d'arbres et les adultes se nourrissaient du sang des mammifères non humains. Lorsque l'homme s'est installé dans ces habitats, les moustiques se sont adaptés. Ils ont pondu leurs œufs dans les matériaux plus communément trouvés sur les lieux habités par les humains, comme l'argile et le caoutchouc. Et ils ont fini par préférer se nourrir sur les humains.
Aujourd'hui, le moustique vecteur de la fièvre jaune prospère dans les zones urbaines et périurbaines, partout où il trouve de l’eau stagnante pour se reproduire : flaques d'eau, vases, soucoupes, gouttières mal vidées, jouets abandonnés, pneus usagés ou déchets de toute sorte. En fait, l’urbanisation galopante et anarchique en l’absence d’infrastructures adéquates (adduction d’eau, canalisations, collecte des déchets), crée un terrain propice à la prolifération de ces insectes vecteurs de maladies meurtrières.
Pour aller plus loin
Rôle de la mondialisation
La dispersion des moustiques sur de longues distances a été rendue possible par l'intensification du commerce international. Le moustique vecteur de la fièvre jaune est arrivé par bateau dans les Amériques peu après le premier voyage des Européens, probablement dans les navires affectés à la traite des esclaves. Infectés ou non par des arbovirus, les œufs de moustiques sont capables de résister à la dessiccation pendant de longues périodes, ce qui leur permettait de survivre pendant la traversée de l'Atlantique.
Aujourd'hui, le commerce de pneus d'occasion est associé à la propagation du moustique vecteur de la fièvre jaune, car l'eau de pluie qui s'est accumulée à l'intérieur des pneus peut constituer un environnement propice à la croissance des larves.
Aujourd'hui, le commerce de pneus d'occasion est associé à la propagation du moustique vecteur de la fièvre jaune, car l'eau de pluie qui s'est accumulée à l'intérieur des pneus peut constituer un environnement propice à la croissance des larves.
Mouvements de population
La migration des moustiques, de même que celle des personnes, peut entraîner l'apparition de maladies dans de nouvelles zones. Selon le Centre européen pour la prévention et le contrôle des maladies (ECDC), des cas de dengue sont fréquemment signalés chez des voyageurs revenant de pays endémiques, ce qui pourrait entraîner localement la propagation de la maladie dans les zones où les moustiques sont présents.
Le séquençage du virus responsable de la première épidémie de dengue jamais survenue à Madère (en 2012), a montré qu’il était étroitement lié à ceux qui circulaient à l'époque au Venezuela. Cette même année 2012, près de 16 000 personnes étaient arrivées par avion à Madère, en provenance du Venezuela.
L'apparition de la dengue dans les zones rurales du Brésil a été associée à la construction de routes reliant ces zones aux points chauds des zones urbaines. Une étude menée au Pakistan a permis de combiner les données climatiques avec les données de téléphonie mobile pour prédire l'apparition de la dengue dans de nouvelles zones.
Changement climatique
Les moustiques vecteurs de la dengue, du chikungunya et du Zika sont très sensibles au climat, mais il est toutefois parfois difficile de prévoir l'impact du changement climatique sur les populations de moustiques. Lorsqu'il fait chaud, les moustiques se reproduisent plus rapidement et les virus se répliquent plus vite à l'intérieur des moustiques, ce qui accélère encore leur propagation.
Mais en réalité, ce n'est pas aussi simple. Une température élevée n’est pas forcément synonyme d’un plus grand nombre de moustiques. Si elle est très élevée, l'eau stagnante dont dépendent ces moustiques pour pondre leurs œufs va s’évaporer. Cela signifie que d'autres facteurs climatiques, tels que la pluviométrie, peuvent également déterminer les zones où les populations de moustiques sont susceptibles de prospérer.
Que peut-on faire ?
En 2022, l'OMS a mis en place l'Initiative mondiale de lutte contre les arbovirus. Lors du lancement de l'initiative, Sylvie Briand, directrice du département Maladies épidémiques et pandémiques de l'OMS, a déclaré que « la prochaine pandémie pourrait bien être due à un nouvel arbovirus ».
Ce n'est pas aussi simple. Une température élevée n’est pas forcément synonyme de plus de moustiques. Si elle est très élevée, l'eau stagnante dont dépendent ces moustiques pour pondre leurs œufs va s’évaporer. Cela signifie que d'autres facteurs climatiques, tels que la pluviométrie, peuvent également déterminer les zones où les populations de moustiques sont susceptibles de prospérer.
Environ la moitié de la population mondiale vit dans des zones où ces moustiques vecteurs de maladie sont présents, avec le risque de contracter non seulement la dengue, le chikungunya ou la maladie à virus Zika, mais aussi les nouvelles maladies à arbovirus qui pourraient émerger.
Pour faire face à cette situation, de nombreuses recherches sont en cours, toutes aussi innovantes que passionnantes. Parmi elles figurent le développement de nouvelles méthodes de lutte contre les vecteurs, comme l’introduction de Wolbachia (pour empêcher l’infection des moustiques par les arbovirus) ou la mise en place de systèmes d'alerte précoce sur les épidémies à partir des données climatiques.
Les approches qui se concentrent sur les moustiques plutôt que sur les infections qu’ils transmettent ont l'avantage de permettre de lutter simultanément contre les trois maladies, et même contre tous les virus propagés par les mêmes moustiques susceptibles d’émerger. Les vaccins, les diagnostics et les antiviraux auront tous un rôle à jouer, mais il sera extrêmement utile de pouvoir disposer de solutions larges et adaptables pour lutter non seulement contre les maladies auxquelles nous sommes confrontés actuellement, mais aussi contre celles qui pourraient émerger à l'avenir.