On a parlé vaccins avec... Professeur Roch A. Houngnihin, professeur d’anthropologie de la santé au Bénin

Roch A. Houngnihin est professeur titulaire d’anthropologie de la santé et directeur du Laboratoire scientifique d’anthropologie médicale appliquée (LAMA) à l’Université d’Abomey-Calavi, également membre du Comité des experts COVID au Bénin et membre du Comité d’éthique de l’Institut Pasteur à Paris. Il revient sur la manière dont la pandémie COVID-19 a modifié les comportements et la perception de la vaccination chez les Béninois.

  • 20 mars 2023
  • 5 min de lecture
  • par Marie-Louise Bidias
Professeur Roch A. Houngnihin
Professeur Roch A. Houngnihin
 

 

La pandémie de la COVID-19 a-t-elle modifié les comportements et la perception de la vaccination chez les Béninois ?

Pr Roch A. Houngnihin : Bien sûr que la pandémie de COVID-19 a modifié les comportements et la perception de la vaccination. L’un des éléments majeurs de cette modification, c’est la croyance aux rumeurs. C’est également la thèse complotiste. Les gens croient plus aux rumeurs, aux réseaux sociaux, qu’aux actions du gouvernement. Deuxièmement, cela a accru la méfiance envers l’industrie pharmaceutique. Les Béninois pensent que le gouvernement manque de transparence et qu’il est complice de cette industrie pharmaceutique. Un autre élément qui a émergé, c’est le relâchement de la confiance envers les institutions publiques. Nous avons besoin de travailler sur cette question.

Qu’est-ce qu’il faut faire pour renverser la tendance ?

La première des choses à faire est de reconstruire la confiance envers la population. Elle craint toujours d’être trompée. Elle est devenue beaucoup plus méfiante envers les institutions officielles. Deuxièmement, c’est de décentraliser la communication. On a vu notre gouvernement avoir le monopole de l’information sanitaire. Les relais communautaires et les agents de santé au niveau périphérique n’ont pas été vraiment associés, surtout dès le début de la pandémie, en 2020. Certainement qu’on a pensé qu’ils ne pouvaient pas communiquer dans un contexte de crise sanitaire. C’était plus une communication politique, alors que c’est un problème de santé publique et qu’il fallait l’ouvrir. Les agents de santé qui étaient les relais naturels du système de santé n’avaient pas vraiment l’information requise. Combien de personnes suivaient la télévision ou la radio ? Le contact de proximité était important. Alors que la machine infernale des réseaux sociaux était déjà en place, avec des infox et intox à tous vents.

« Je ne serais pas surpris [...] que dans un futur proche, on puisse avoir une nouvelle épidémie beaucoup plus meurtrière. Nous connaissons les conditions d’émergence des zoonoses. Ce sont les animaux qui transmettent ces maladies aujourd’hui. »

Après le pic de la pandémie, les soignants du monde entier disent qu’ils ne voient plus la reconnaissance qui leur a été exprimée par le public dans les premiers mois de la propagation de la COVID-19. Comment répondre à cela ?

Nous avons besoin de valoriser les soignants. Aujourd’hui nous sommes certes en période d’accalmie, mais qu’est-ce qui a été fait en direction de ceux qui ont été au front ? Nous avons besoin de voir le Chef de l’Etat donner des attestations de reconnaissance aux soignants. Nous avons besoin de voir le Président Patrice Talon organiser pour eux une grande fête pour les honorer. A l’occasion, le Chef de l’Etat sera entouré des relais communautaires, des infirmiers, des sage-femmes, des médecins, etc. Ce sont autant d’éléments pour combler leurs besoins de reconnaissance. Nous avons besoin d’avoir des actions fortes de ce genre, parce que nous aurons de nouvelles épidémies.

De nouvelles épidémies similaires à celle que nous vivons ? Quelles en seraient les causes ?

Je ne serais pas surpris, au regard de nos expériences et de notre formation, que dans un futur proche, on puisse avoir une nouvelle épidémie beaucoup plus meurtrière. Nous connaissons les conditions d’émergence des zoonoses. Ce sont les animaux qui transmettent ces maladies aujourd’hui.

Nous savons également qu’il y a une anthropisation des milieux naturels. De même, les déplacements, les flux migratoires sont importants : ils sont associés au développement des moyens de transport, notamment l’avion. Une épidémie en Chine peut se retrouver en France, au Canada et au Bénin, ce soir ou demain matin.

Comment se préparer au mieux aux menaces émergentes ?

Un accent doit-être mis sur la recherche. Nous avons besoin que le gouvernement associe davantage les chercheurs aux initiatives, qu’il ait confiance en eux dans la perspective de recherches pluridisciplinaires. Il faut documenter les bonnes pratiques pour mieux se préparer. Nous sommes en période d’accalmie et c’est maintenant qu’il faut vraiment promouvoir la recherche sur ces expériences.

Dans le département du Mono par exemple, nous avons la région des terres noires qui est hostile aux interventions publiques. Qu’est-ce qui s’y passe ? Mais nous n’avons pas de travaux documentés sur ce phénomène.

Dans le département de l’Atlantique, comment peut-on comprendre les disparités vaccinales ? Dans la commune d’Abomey-Calavi, on est à 47% de taux de vaccination, alors qu’à Sô-Ava, on est à 4% et à Zè, à côté, on est à 5%.

Qu’est-ce qui se passe dans une même commune, dans un même département ? Il faut investiguer et nous sommes là pour accompagner le gouvernement. L’expertise, nous l’avons et nous la développons à l’extérieur, partout dans le monde, en France, aux Etats-Unis et pourquoi pas dans notre pays.

 

A propos du Laboratoire d’anthropologie médicale appliquée (LAMA) :

Les programmes de recherche du Laboratoire d’anthropologie médicale appliquée (LAMA) portent, entre autres, sur la pandémie de COVID-19 et la vaccination contre la COVID-19. Le LAMA qui a mis en place un programme de recherche pour mieux comprendre les motifs de vaccination depuis une dizaine d’années. Les premiers travaux ont porté sur les facteurs associés à la résistance à la vaccination contre la poliomyélite dans la région d’Ifangni, à la frontière avec le Nigéria.