Les hôpitaux de cette province pakistanaise dédient une salle spéciale aux patients transgenres

Les militants transgenres de la province de Khyber Pakhtunkhwa estiment qu'il s'agit d'un grand progrès – voici pourquoi.

  • 12 septembre 2024
  • 6 min de lecture
  • par Adeel Saeed
La communauté transgenre de Peshawar organise une veillée aux chandelles après l'agression de l'un de ses membres en 2016. Crédit photo : Adeel Saeed
La communauté transgenre de Peshawar organise une veillée aux chandelles après l'agression de l'un de ses membres en 2016. Crédit photo : Adeel Saeed
 

 

L'annonce récente, par la province de Khyber Pakhthunkhwa (KP), que les hôpitaux publics disposeront désormais d’une salle spécialement dédiée aux soins des patients transgenres est accueillie par les militants trans de la province comme un progrès notable vers un accès digne à des soins adaptés pour cette communauté très marginalisée.

Une chambre à soi

Le 1er avril, le ministre en chef de la province de Khyber Pakhtunkhwa, Ali Amin Gandapure, a donné des instructions au département provincial de la santé, stipulant il fallait réserver une salle séparée pour les personnes transgenres, dans tous les hôpitaux du district.

L'annonce a été largement saluée par la communauté transgenre et ses organisations de la société civile, pour qui il s'agit d'un tournant dans la lutte contre la stigmatisation et la discrimination qui entravent leur accès aux services de santé spécialisés.

« L'accès aux meilleurs services de santé était un rêve pour la communauté transgenre, confrontée à de multiples difficultés : harcèlement, discrimination, refus de soins et rejet par les services hospitaliers réservés aux hommes aussi bien que par ceux réservés aux femmes », commente Katrina Khan, militante pour les droits des transgenres et organisatrice de formations professionnelles axées sur l'autonomisation des personnes transgenres.

Les personnes transgenres méritent le même niveau de soins de santé et le même accès aux traitements que les autres, souligne Katrina.

A ward reserved for the transgender community at a public sector hospital in Khyber Pakhtunkhwa. Credit : Adeel Saeed
Salle réservée à la communauté transgenre dans un hôpital du secteur public de la province de Khyber Pakhtunkhwa.
Crédit photo : Adeel Saeed

Plus cher et moins bien

Katrina raconte une anecdote personnelle qui, pour la plupart des Pakistanais, ne mériterait même pas d'être mentionnée. Souffrant de maux de tête et de fièvre, elle s’était rendue récemment à l'hôpital Lady Reading (LRH), le plus grand hôpital universitaire de la province de Kuala Lumpur. Pour elle, il s'agissait d'un événement important : auparavant, elle aurait évité de se rendre dans cet établissement public et aurait opté pour une clinique privée, pour des raisons d'intimité.

« L'accès aux meilleurs services de santé était un rêve pour la communauté transgenre, confrontée à de multiples difficultés : harcèlement, discrimination, refus de soins et rejet par les services hospitaliers réservés aux hommes aussi bien que par ceux réservés aux femmes. »

- Katrina Khan, militante pour les droits des transgenres

Cette intimité avait un coût. « Dans les cliniques privées, nous devions payer des sommes astronomiques pour des consultations sur des problèmes de santé bénins, alors que dans les hôpitaux du secteur public, les examens sont totalement gratuits. Cette nouvelle est un soulagement sur le plan financier, compte tenu de la hausse des prix qui sévit actuellement dans notre pays », ajoute-t-elle.

« Tranquillité d'esprit »

« La décision [du gouvernement] nous a redonné confiance dans le fait que nous pouvons sereinement nous rendre dans les hôpitaux du secteur public pour nous faire soigner », a déclaré Farzana Riaz, présidente de la section Khyber Pakhtunkhwa de TransAction Alliance.

Jusqu'à présent, explique Farzana Riaz, les personnes transgenres ne se rendaient généralement à l'hôpital qu'en cas de maladie grave – souvent d’ailleurs après avoir subi des actes de violence. « Depuis 2015, une centaine de personnes transgenres ont été victimes d'attaques violentes dans le Khyber Pakhtunkhwa, la plupart à la suite d'altercations avec des amis masculins, environ 10 % à la suite d'un crime d'honneur et plusieurs à la suite d'un refus d'amitié », reconnaît-elle.

Même dans ces cas graves, elles ont été confrontées à des ricanements, des insultes et des violations du droit à la confidentialité, ajoute-t-elle.

Farzana reconnaît que cette nouvelle politique leur garantit un espace où elles se sentent en sécurité, mais elle espère surtout qu’elle incitera les professionnels de santé qui leur manquent de respect à changer d’attitude.

Lorsqu'il s'agit de répondre aux besoins des transgenres en matière de soins de santé, le chemin à parcourir est terriblement long. Farzana a relaté le cas bouleversant d'Alisha, militante des droits des transgenres, morte en 2017 dans un hôpital de Peshawar parce que son traitement avait été retardé, les médecins ne sachant pas dans quel service (celui des hommes ou celui des femmes) il fallait la transférer.

« S'il y avait eu à ce moment une salle séparée où Alisha aurait pu être soignée immédiatement, elle aurait pu être sauvée », affirme Farzana, d’une voix étranglée.

Preuve du manque de confiance des personnes transgenres dans le système de santé, seulement sept membres de leur communauté étaient enregistrés dans le système d’assurance maladie Sehat Insaf Card, initiative phare du gouvernement de Khyber Pakhtunkhwa, qui donne accès gratuitement aux soins médicaux aux habitants de la province, à hauteur d’un million de roupies (3 597 USD) par an.

« Élever le niveau de santé »

Young Omang, consortium d’organisations de la société civile pakistanaises axées sur la défense des droits des jeunes en matière de santé sexuelle et génésique a qualifié cette annonce de « révolutionnaire », et déclaré dans un communiqué que cette décision permettrait de faciliter l’accès de tous, en particulier de la communauté transgenre, particulièrement vulnérable, à des services de soins de santé complets.

« Cette action décisive va considérablement améliorer la santé et le statut social de la communauté transgenre dans la province de Khyber Pakhtunkhwa », a commenté Qamar Naseem, célèbre défenseur des droits des personnes transgenres et auteur d'un rapport sur les lacunes de la politique de santé publique envers les minorités sexuelles et de genre au Pakistan.

Dans ce rapport, qui s'appuie sur des entretiens menés auprès de 240 personnes transgenres et intersexuées, Qamar Naseem constate que le personnel de santé ne traite pas les personnes transgenres avec le respect qui s’impose et qu'il a besoin d’être formé. Il recommande au ministère de la Santé de prendre des mesures pour lutter contre la stigmatisation sociale et institutionnelle qui engendre la peur et empêche les minorités sexuelles et de genre d’accéder aux soins de santé.

Des diagnostics inclusifs pour mieux lutter contre les maladies

Comme l’a observé Heer Jamal, une femme transgenre qui défend les droits des membres de sa communauté, la peur de se voir stigmatisées par le personnel médical fait hésiter les personnes transgenres à se rendre dans les établissements médicaux, ce qui limite leur accès aux tests de diagnostic de maladies graves telles que le VIH/SIDA et la COVID-19.

Heer Jamal travaille actuellement sur la santé des personnes transgenres dans le cadre du Programme national de développement des Nations unies (PNUD) et plaide en faveur d'une meilleure prise de conscience de la population transgenre en ce qui concerne le traitement du VIH/SIDA.

Cette initiative a permis de persuader quelque 300 personnes transgenres de se soumettre à un test de dépistage du VIH/ SIDA. Parmi elles, 137 se sont révélées séropositives et ont été inscrites au programme national de lutte intégrée contre le VIH, ce qui leur a permis de bénéficier d'un traitement gratuit.

Si les personnes transgenres hésitent en général à se faire soigner dans les établissements de santé, la situation est encore plus grave lorsqu'il s'agit de diagnostics qui suscitent la stigmatisation, même au sein de la communauté transgenre, a indiqué Heer Jamal.

Elle évoque le cas d'une femme transgenre diagnostiquée séropositive qui est morte dans la rue à Peshawar il y a quelques années. Elle avait été expulsée de son logement par ses colocataires parce qu'ils craignaient de contracter la maladie.

« La décision [du gouvernement] nous a redonné confiance dans le fait que nous pouvons sereinement nous rendre dans les hôpitaux du secteur public pour nous faire soigner ».

- Farzana Riaz, présidente de la section Khyber Pakhtunkhwa de TransAction Alliance

Actuellement, le diagnostic et la prise en charge des personnes transgenres infectées par le VIH sans le savoir dépendent trop souvent du hasard. Mohammed Asim, responsable de l'accès des personnes transgenres aux soins de santé à l'hôpital Lady Reading, rappelle qu'une femme transgenre, qui avait été hospitalisée récemment pour une jambe cassée, s’était révélée positive lors du test sanguin effectué à cette occasion.

L’hôpital ne s’est pas contenté de soigner sa fracture. Il a également commencé à la traiter contre le VIH, après l’avoir inscrite dans le Programme de lutte contre le sida du département de la Santé.

Transgender right activists including Farzana (center), Sobia (right) and Arzoo (left) address a press conference. Credit: Adeel Saeed
Des militantes des droits des transgenres, dont Farzana (au centre), Sobia (à droite) et Arzoo (à gauche), lors d'une conférence de presse.
Crédit photo : Adeel Saeed

Faciliter l'accès aux soins gratuits pour les personnes atteintes du VIH/SIDA

« Le département de la santé de Khyber Pakhtunkhwa fournit un traitement gratuit contre l'infection par le VIH à 137 personnes transgenres de la province », a annoncé le Dr Yasir Hayat Taj, directeur adjoint du programme intégré de lutte contre le VIH et la thalassémie de Khyber Pakhtunkhwa.

Sur ces 137 personnes vivant avec le VIH, environ 59 sont inscrites à l’hôpital Lady Reading, où elles bénéficient également d'un soutien psychologique, a indiqué Hilal Ahmad, psychologue du programme de lutte contre le sida.

Les médicaments sont fournis gratuitement aux patients, qui sont également soumis à tests de charge virale tous les six mois, a-t-il précisé à VaccinesWork.

« Nous avons donné des instructions au personnel médical des principaux hôpitaux pour qu'il traite correctement les membres de la communauté transgenre et qu’il respecte leur intimité », a révélé Syed Qasim Ali Shah, ministre de la Santé de la province de Khyber Pakhtunkhwa.

S'adressant à VaccinesWork, le Ministre a déclaré que le dispositif était déjà en place au siège de six divisions et qu'il serait bientôt étendu à tous les grands hôpitaux de la province.

Il a également appelé les membres de la communauté transgenre à profiter de ces nouvelles infrastructures, à se rendre à l'hôpital en toute tranquillité et à accéder aux traitements gratuits dont ils pourraient avoir besoin, ce qui permettra au gouvernement d’atteindre son objectif de faire progresser le droit à la santé pour tous les citoyens.