"Enfin !" : La star du football ghanéen Michael Essien se réjouit de l’arrivée du premier vaccin contre le paludisme

Bien des années avant les débuts de son extraordinaire carrière de footballeur en Ligue des Champions, Michael Essien marchait pieds nus dans une petite ville du Ghana, et s’entraînait à marquer des buts entre des poteaux de fortune constitués de tas de pierres. Comme des millions d'autres enfants vivant dans des zones d’endémie à travers le monde, le jeune Michael a souffert de multiples crises de paludisme. Il a survécu : « Je suis toujours en vie, et en pleine forme », dit-il. Mais il sait que chaque année en Afrique, 260 000 enfants n'ont pas cette chance. Le lancement imminent d'un nouveau vaccin, sera, dit-il, « une très bonne chose pour l'Afrique ».

  • 27 mai 2022
  • 6 min de lecture
  • par Maya Prabhu
Michael Essien
Michael Essien
 

 

Michael Essien ne sait pas exactement combien de fois il a eu des accès de paludisme dans son enfance. Plus de deux fois, c’est sûr ; il se contente de dire « plusieurs fois ». « Avec le paludisme, on est très, très malade », explique le joueur international ghanéen et ancien milieu de terrain de Chelsea. « Si on a de la chance, on s’en sort. Si on n'en a pas, ça peut devenir très grave ». Il a eu de la chance : « Je suis toujours en vie, je me bats ». Mais deux de ses amis d'enfance sont morts de l'infection parasitaire.

Aussi, lorsque Michael a appris récemment, par un courriel reçu d’un proche, que les enfants africains allaient pouvoir bénéficier du premier vaccin au monde contre le paludisme, sa réaction a été un mélange de soulagement et d'excitation. « Enfin un vaccin contre cette épouvantable maladie ! », se souvient-il avoir pensé.

« Je vais conseiller ce vaccin contre le paludisme [à mes amis] et les encourager à en faire bénéficier leurs enfants. Je voudrais tous les voir grandir en bonne santé, avoir une bonne vie et une bonne éducation ».


“Enfin !" : C’est vraiment le bon terme : le développement du vaccin (RTS,S/AS01) distribué sous le nom de Mosquirix a demandé près de 35 ans, soit la majeure partie de la vie d'Essien. Il s'agit d’un succès scientifique, révolutionnaire à plus d'un titre : les parasites comme Plasmodium falciparum, souche la plus mortelle du paludisme, sont bien plus complexes que les virus et les bactéries contre lesquels la plupart de nos vaccins nous protègent, et le RTS,S entrera dans les annales comme le premier vaccin jamais déployé contre une maladie parasitaire.

Des études montrent qu'en combinaison avec d'autres formes de soins préventifs (moustiquaires imprégnées d’insecticides visant à éloigner les moustiques anophèles qui propagent les parasites ; chimioprévention saisonnière du paludisme) le RTS,S a la capacité de réduire considérablement les hospitalisations et les décès dus au paludisme. En le déployant dans toutes les zones endémiques à travers le monde, on devrait pouvoir sauver 40 000 à 80 000 vies chaque année.

Les effets se feront surtout sentir en Afrique, où l'on a enregistré l'an dernier la grande majorité des 240 millions de cas mondiaux de paludisme. Les jeunes enfants sont particulièrement vulnérables : 260 000 enfants africains de moins de cinq ans meurent chaque année de cette infection. Pour Michael Essien, comme pour beaucoup de ceux qui ont grandi dans les zones impaludées et ont vu de près les risques et les conséquences de la maladie, il ne s'agit pas de simples statistiques anonymes.

« Le paludisme est un fléau pour le Ghana, comme pour toute l’Afrique », reconnaît Michael. « Et, vous savez, quand on grandit dans ces petites villes, on l’attrape facilement. C'est très grave, c'est très dangereux. Il tue des gens, surtout des jeunes. Et quand vous l'avez attrapé, toute la famille est vraiment inquiète ».

Né à Accra et élevé à Awutu Breku, "une toute petite ville" de la région centrale du Ghana, Michael Essien se souvient des nuits passées dans la fumée des serpentins anti-moustiques. Il était entouré de femmes, sa mère, sa grand-mère et ses quatre sœurs, qui toutes travaillaient dur. Michael était le petit dernier et le plus choyé.

Il reconnaît en riant qu’il n’avait pas à s’occuper beaucoup des tâches ménagères, juste la vaisselle, ce qui lui laissait toute liberté de passer l’après-midi avec ses amis, et de transformer les terrains vagues en terrains de football improvisés. « C'était assez amusant », se souvient-il en souriant. « Nous n'avions pas tous ces beaux terrains ou quoi que ce soit pour jouer au foot. Mais dès qu’on trouvait un terrain vague, on empilait des pierres en guise de poteaux de but, et on jouait jusqu'à épuisement, et puis on rentrait à la maison ».

Mais à l'époque, de même qu’aujourd'hui, le paludisme était courant. Quand les premières données ont été disponibles, à la fin des années 1980, les scientifiques ont estimé que dans la région centrale du Ghana, le taux de mortalité s’élevait à 7,1 pour 1000 chez les enfants de moins de 5 ans, rien que pour le paludisme. Mais ceux qui tombaient malades étaient beaucoup plus nombreux ; ils manquaient l'école, leurs familles étaient inquiètes...

Michael Essien se souvient de sa propre expérience : « On a mal à la tête, on se sent fiévreux, vous voyez ce que je veux dire ? On a chaud et puis on a froid, on a des frissons. Une minute, on pense qu’on va bien, et la minute d’après, ça revient à nouveau ». Parfois, lors des accès périodiques de fièvre qui caractérisent l'infection à P. falciparum, il se sentait suffisamment bien dans la journée pour sortir jouer, mais à la tombée de la nuit, les frissons et les courbatures revenaient.

Quand cela a été le tour de Michael, sa mère connaissait bien le paludisme pour avoir déjà passé pas mal de temps au chevet de malades. « D'abord, ma mère va essayer de me soigner elle-même. Avec des comprimés. Si ça ne marche pas, elle m'emmène à l'hôpital, pour qu’on me fasse des piqûres. »

Michael Essien vit maintenant au Danemark, loin des anophèles et de leurs parasites. Nous avions rendez-vous dans un AirBnB très fréquenté situé à Farum, petite ville de banlieue, plate et verdoyante comme un campus universitaire, loin des circuits touristiques, ce qui explique l’absence d’hôtel. Mais c’est ici que s’entraîne le FC Nordsjaelland, et c’est ici qu’Essien a fait son nid, au milieu de l’équipe d'entraîneurs. Il reconnaît d’ailleurs qu’il aime être ici, près des terrains : « Je suis un homme de la campagne », confie-t-il.

Il n'a pas abandonné son pays. Il retourne régulièrement à Awutu Breku, dit-il, pour voir ses vieux amis : « Pour plaisanter, boire un verre avec eux, leur faire sentir qu’on est toujours proches. On s’est connus quand on était petits, alors ce n’est pas possible de les oublier. » À propos du nouveau vaccin contre le paludisme, c’est à leurs enfants qu’il pense. « Évidemment, mes anciens amis, ce sont maintenant des parents, et ils se font toujours du souci avec cette maladie. »

Le paludisme constitue toujours une menace quasi permanente dans la région centrale du Ghana. Dans ce pays, il est à l’origine de plusieurs millions de cas et entraîne plusieurs milliers de décès chaque année. Mais l'avenir s'annonce nettement plus radieux. Les campagnes pilotes de vaccination RTS,S initiées en 2019 au Ghana, au Kenya et au Malawi, ont montré une réduction non seulement du nombre de cas cliniques, mais aussi de la gravité des symptômes. Ce mois-ci, le Conseil d'administration de Gavi a pris la décision de financer le vaccin et sa distribution à grande échelle dans toute l'Afrique subsaharienne.

« Nous luttons contre le paludisme depuis très longtemps, à l’aide de moustiquaires, de serpentins, de crèmes. L’arrivée, en plus, de ce vaccin est, je pense, une très bonne nouvelle », déclare Michael Essien.

Mais il sait bien, de par son expérience récente, que les esprits s’échauffent quand il est question de nouveaux vaccins. « Nous devons faire confiance à la science », insiste-t-il. « Les chercheurs ont fait leur travail et mené les essais nécessaires. Ils savent que ces vaccins sont très sûrs ». Il se pointe du doigt, montre comme il est robuste : « Moi par exemple, je suis complètement vacciné contre la COVID. »

« Oui, bien sûr, je vais conseiller ce vaccin contre le paludisme [à mes amis] et les encourager à en faire bénéficier leurs enfants », ajoute-t-il. « Je voudrais tous les voir grandir en bonne santé, avoir une bonne vie et une bonne éducation. Et que leurs parents n’aient plus de raison d’être inquiets ».