Déplacées à cause des inondations et enceintes de neuf mois : les survivantes du déluge qui s’est abattu sur le Pakistan racontent leur histoire
Parmi les millions de personnes déplacées à cause des inondations qui ont frappé le Pakistan en 2022, on estime à 650 000 le nombre de femmes enceintes. VaccinesWork a rencontré trois d'entre elles qui racontent ici ce qu’elles ont perdu, comment elles ont survécu et à quoi ressemble leur nouvelle vie.
- 20 juin 2023
- 8 min de lecture
- par Rahul Basharat
Accoucher dans un hôpital de campagne : L'histoire de Zareena
Zareena Bibi, 35 ans, résidente du district de Swat au Pakistan, n’aurait jamais pu imaginer qu'elle donnerait naissance à son troisième fils dans des circonstances aussi terribles. Shaheen Gul est né dans l’hôpital de campagne d'un camp sanitaire temporaire établi par le gouvernement pour les personnes déplacées à la suite des inondations.
Zareena Bibi et Hazrat Gul, ainsi que cinq autres membres de leur famille, font partie des plus de 30 millions de personnes déplacées lors des inondations catastrophiques de 2022.
Dans la vallée de la Swat, située dans la province de Khyber Pakhtunkhwa (KPK) au nord-ouest du pays, des centaines de familles ont perdu leur maison lors des crues subites de la rivière.
« Hazrat Gul ne peut oublier les efforts des professionnels de santé. « Ils ont fait tout ce qu'ils pouvaient : ils ont notamment pratiqué des opérations dans les camps sanitaires et organisé la vaccination des nouveau-nés dans des conditions très difficiles ».
Hazrat Gul et Zareena Bibi vivaient avec leurs deux garçons dans une maison en terre appartenant au propriétaire des champs qu’ils étaient chargés de cultiver.
Zareena entamait son troisième trimestre de grossesse lorsque les inondations ont emporté leur maison ; Zareena et sa famille n’ont eu la vie sauve qu’en fuyant sans rien emporter.
Les inondations ont également emporté les infrastructures de soins de santé primaires, et notamment les centres de santé de base, seules structures financées par le gouvernement pour les pauvres de la région, et qui dispensent, entre autres, les soins prénatals essentiels.
Le Fonds des Nations Unies pour la population (UNFPA) a estimé à 650 000 le nombre de femmes enceintes parmi les victimes des inondations, dont 73 000 devaient accoucher au cours du mois de septembre 2022. Zareena Bibi était l'une d'entre elles.
« C'était horrible et j'étais terrifié à l'idée de perdre ma femme et de mon enfant », reconnaît Hazrat Gul.
C'était au début des inondations dans la vallée de Swat, et tout a été détruit dans la région », a-t-il ajouté. Il n'y avait pas de connexion et la famille vivait dans un camp, dans des conditions épouvantables ».
Hazrat Gul se souvient de familles comme la sienne, qui étaient installées dans les camps et n'avaient aucune idée de l'endroit où elles pourraient trouver des services de maternité, ni de la manière dont elles pourraient faire appel aux compétences de médecins, d’infirmières ou de sage-femmes, ou obtenir les médicaments dont elles pourraient avoir besoin.
« Mais, reconnaît-il, malgré les ressources limitées du gouvernement et des agences internationales, l'aide a commencé à affluer, ce qui nous a redonné une lueur d'espoir. »
Il reconnaît que même si son fils Shaheen n'est pas né dans les meilleures conditions et si sa femme a souffert d’un certain traumatisme dans la maternité du camp sanitaire, il ne peut pas oublier les efforts des professionnels de santé.
« Ils ont fait tout ce qu'ils pouvaient : ils ont notamment pratiqué des opérations dans les camps sanitaires et organisé la vaccination des nouveau-nés dans des situations très difficiles », a déclaré Gul.
« J'étais en pleine dépression » : L'histoire de Safina
Originaire du district de Charsadda (KPK), Safina Jan, 27 ans, a connu la même histoire de misère et de survie que Zareena Bibi. Elle était enceinte de six mois lorsque les inondations ont frappé sa région et s'est installée dans un camp avec son mari, sa fille de six ans et ses beaux-parents.
« La vie dans les camps est complètement différente ; on n’est jamais sûr d’avoir de quoi manger, de l’eau potable ou des médicaments », confie Safina Jan.
Avant les inondations, elle se rendait chez le gynécologue du centre de santé de son village pour subir des examens médicaux, se faire vacciner et recevoir des vitamines avant son accouchement, car le médecin s'inquiétait de son poids. Mais les inondations ont balayé les installations médicales de son village, ce qui a tout changé pour sa famille.
« Nous, les femmes enceintes qui vivions dans les camps, nous étions inquiètes non seulement pour nous-mêmes, mais aussi pour ceux que nous allions mettre au monde », souligne-t-elle.
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Safina se souvient de sa vie dans le camp, avec les pénuries alimentaires, le manque d'accès à l'eau potable et le manque de médicaments, qui lui ont fait craindre pour la santé de son enfant à naître.
Très vite cependant, l'autorité nationale de gestion des catastrophes et ses partenaires, dont l'Organisation mondiale de la santé (OMS), ont commencé à aider les personnes sinistrées - en particulier les femmes enceintes - pour les mettre en contact avec les services de santé.
Les autorités des camps ont commencé à recueillir des données sur les femmes enceintes, se souvient Safina, et leur ont fourni des soins de santé spéciaux et des compléments alimentaires.
Elle a accouché de sa fille Sughra au mois de décembre 2022 et a pu faire vacciner son enfant contre la tuberculose (BCG), la poliomyélite (VPO-I) et la pneumonie dans le camp sanitaire avant de s'installer dans sa nouvelle maison.
« J'étais en pleine dépression et je ne m'attendais pas à accoucher facilement dans un camp sanitaire, mais les médecins et le système de santé m’ont aidée dans ces moments très difficiles », a déclaré Safina Jan.
« Nous, les femmes enceintes qui vivions dans les camps, nous étions inquiètes non seulement pour nous-mêmes, mais aussi pour ceux que nous allions mettre au monde. »
– Safina Jan, 27
Les agences des Nations Unies travaillant dans les zones du Pakistan touchées par les inondations avaient donné l’alerte sur le fait que les femmes enceintes de la région sinistrée étaient menacées de malnutrition, et exhorté la communauté internationale à accélérer son aide aux centaines de milliers de femmes enceintes.
Enceinte de neuf mois et toujours sinistrée : L'histoire de Tasneem
Tasneem Akhtar, 25 ans, est originaire de la région de Dera Ismail Khan, dans le KPK. Ici aussi, des centaines de familles d'agriculteurs ont été déplacées lors des inondations de 2022.
Tasneem fait partie des millions de Pakistanais qui ne sont toujours pas rentrés chez eux. Elle vit toujours dans un camp, car sa famille n'a pas les moyens de construire une nouvelle maison.
Rongée par des souvenirs traumatisants, elle est enceinte de près de neuf mois et devrait accoucher en mai.
« Nous avons tout perdu : notre maison, nos animaux et nos récoltes, quand les eaux ont tout envahi et, tout à coup, nous nous sommes retrouvés sans rien », raconte-t-elle.
Tasneem rapporte les scènes tragiques qui se sont déroulées aux alentours lorsque les gens ont commencé à chercher un abri dans des camps qui ne disposaient pas des produits de première nécessité.
D’après elle, les soins de santé étaient alors un problème secondaire : « notre priorité était d'abord d'avoir de quoi manger, après avoir eu la vie sauve ».
Tasneem explique également que les infrastructures sanitaires de sa région ont été complètement détruites par les inondations et que les gens tombaient malades à cause des maladies transmises par l'eau, ajoutant que les femmes enceintes étaient les plus à risque dans cette situation.
Elle reconnaît toutefois que « le gouvernement a fait installer des camps sanitaires, où les femmes peuvent se rendre pour se faire examiner et obtenir des médicaments gratuits ».
Ce dont les femmes enceintes qui survivent dans les camps ont le plus besoin, c'est de manger à leur faim. Les premiers jours ont été difficiles, ajoute-t-elle, mais aujourd'hui le gouvernement a renforcé le système de santé d'urgence et veille à ce que les femmes et les enfants puissent avoir accès aux soins de santé préventifs, y compris à la vaccination.
« Différentes organisations humanitaires et des programmes de vaccination gouvernementaux travaillent dans les camps sanitaires pour fournir les soins maternels lorsqu'il n'existait pas de structure de soins de santé primaires », ajoute-t-elle.
« Si nous avons évité la catastrophe chez les femmes enceintes victimes des inondations, c’est parce que le système de santé maternelle et le système de vaccination ont bien fonctionné ».
– Dr Malik
Tasneem reconnaît qu'à l'heure actuelle, elle peut accéder aux soins prénatals dans les camps de réfugiés et recevoir gratuitement tous les médicaments et les vaccins dont elle a besoin.
Pour la Dre Sana Malik, gynécologue travaillant avec une organisation humanitaire active dans les camps sanitaires des zones du KPK touchées par les inondations, les femmes enceintes sont les plus vulnérables des victimes des inondations de 2022. Des milliers d'entre elles vivent encore dans des conditions difficiles, car le processus de réhabilitation n'a pas été achevé dans de nombreuses parties des zones touchées.
De plus, de nombreuses femmes enceintes vivant dans les camps sont exposées à des maladies gastriques et hydriques, à la malnutrition et à la dépression.
Selon la Dre Malik, les inondations ont endommagé les services de vaccination dans les zones les plus touchées. « Il faut maintenant changer de cap pour mettre en place et fournir des services de gynécologie et de vaccination à plus de 30 millions de personnes déplacées, dont 650 000 femmes », explique-t-elle.
Mais grâce au soutien international et aux ressources locales, le programme de vaccination a réussi à atteindre la population ciblée. Parallèlement, des services d'obstétrique et de gynécologie ont été mis en place pour assurer la santé et la sécurité des femmes enceintes déplacées.
Si nous avons évité la catastrophe chez les femmes enceintes victimes des inondations, « c’est parce que le système de santé maternelle et le système de vaccination ont bien fonctionné », reconnaît la Dre Malik.
Un porte-parole du ministère de la Réglementation et de la Coordination des services de santé nationaux, s’est fait l’écho de ses propos : « Le gouvernement a été confronté à de graves difficultés, mais les efforts ont porté leurs fruits, et les problèmes liés aux femmes enceintes et à la vaccination sont restés sous contrôle », a-t-il déclaré, en remerciant les partenaires internationaux du Pakistan pour leur aide.
Les agences des Nations Unies ont mis en garde contre la vulnérabilité des femmes enceintes et les problèmes de malnutrition et de vaccination dans les zones touchées par les inondations. Le ministère fédéral a réagi en établissant des camps sanitaires dans les zones concernées afin de fournir à la population tous les services de santé possibles.
Sajid Shah a précisé que l'OMS soutenait le gouvernement pakistanais et les secteurs du programme de vaccination endommagées par les inondations. Le programme est en train de se réorienter pour mieux offrir les soins préventifs de base à la population, et en particulier aux femmes enceintes et à leurs enfants. Ce travail se poursuit.
« Grâce à cet effort collectif et à la solidité des programmes de vaccination, nous avons jusqu'à présent échappé à une tragédie sanitaire chez les femmes enceintes, mais le monde doit encore faire davantage pour les victimes des inondations au Pakistan - pour leur réhabilitation et leur santé », conclut Sajid Shah.
Toutes les photos ont été fournies par le ministère des Services de santé nationaux et l'Autorité nationale de gestion des catastrophes.