Confinement des pasteurs nomades : COVAX arrive dans les lointaines steppes de Mongolie

Les éleveurs de bétail espèrent voir la fin de leur solitude, imposée par la pandémie, avec l’arrivée des vaccins fournis par COVAX dans la région de Batsumber en Mongolie.

  • 30 mai 2022
  • 5 min de lecture
  • par Maya Prabhu
Gavi/2021/Khasar Sandag
Gavi/2021/Khasar Sandag
 

 

Nous sommes au début du mois d’avril dans la steppe de Batsumber soum, un des districts de la province de Tov en Mongolie. La région est classée site naturel national remarquable : des prairies s’étendent à perte de vue dans des vagues de collines et de vallons, tandis que se dessine au loin à l’horizon la crête de montagnes craquelées. Mais on peut se sentir claustrophobe n'importe où - surtout après une longue année d'isolement pour cause de pandémie. « C'est difficile d'être emprisonné », dit Bolormaa Dorlig, éleveuse nomade dont le logement, un groupe de yourtes, est établi sur la pente d'une vallée solitaire.

La Mongolie s’est mobilisée contre la COVID-19 dès la confirmation, le 10 mars 2020, du premier cas, identifié chez un Français arrivant de Moscou : Elle a fermé immédiatement ses frontières, puis restreint les déplacements à l'intérieur du pays, annulé les manifestations publiques et fermé les écoles. Les mesures semblent efficaces : grâce à la mise en quarantaine des quelques cas importés qui ont pu être détectés, aucun cas de transmission locale n'est enregistré pendant huit mois. La situation se détériore le 11 novembre lorsqu'à Oulan Bator, un chauffeur de poids lourd qui rentrait de Russie transmet l'infection à sa famille à sa sortie de quarantaine.

Bolormaa en train de traire sa vache en ce mois d’avril. Elle a hâte pouvoir à nouveau vendre ses produits laitiers avec le retour à la normale.
Bolormaa en train de traire sa vache en ce mois d’avril. Elle a hâte pouvoir à nouveau vendre ses produits laitiers avec le retour à la normale.

Au moment où l'hiver cède la place au printemps et où la neige se réduit à une fine couche dans les plaines qui entourent la maison de Bolormaa, située à 65 kilomètres au nord de la capitale, la Mongolie enregistre autour de 400 nouveaux cas par jour. L’infection se propage essentiellement dans les zones urbaines, mais même ici, à la campagne, la pandémie a des conséquences très lourdes. Buyanjargal Tserev, le mari de Bolormaa qui gagne sa vie en vendant la viande qu’il prépare lui-même, estime que ses revenus ont diminué de 40 à 50 %. D’habitude, les grossistes en viande, intermédiaires itinérants, passent régulièrement pour "enchérir et acheter" mes produits, explique-t-il. En limitant les déplacements, les restrictions imposées au nom de la santé publique ont atteint le cœur de l'économie pastorale. Buyanjargal a dû brader sa viande à bas prix. C’est un coup particulièrement dur pour lui, car il a emprunté auprès de sa banque et doit rembourser sa dette.

Buyanjargal, dans son campement, avec sa petite-fille Anar. Pendant le confinement, certaines familles d'éleveurs mongols ont été séparées de leurs enfants qu’elles avaient envoyés à l'école à Ulan-Bator.
Buyanjargal, dans son campement, avec sa petite-fille Anar. Pendant le confinement, certaines familles d'éleveurs mongols ont été séparées de leurs enfants qu’elles avaient envoyés à l'école à Ulan-Bator.

« Pour nous, les Mongols, notre vie, c’est le nomadisme » ajoute-t-il. « D’habitude, nous allons d’une province à l’autre quand bon nous semble, que ce soit pour acheter des chevaux ou d’autres animaux. Nous allons vendre notre laine et nos cachemires dans les provinces orientales. Maintenant, ce n’est plus possible. » Pour pouvoir effectuer le moindre déplacement, il faut accomplir des formalités fastidieuses. S’il a besoin d’acheter des pièces pour son véhicule à Oulan-Bator, Buyanjargal doit faire deux tests PCR et attendre les résultats. « Cela fait perdre beaucoup de temps quand on vit à la campagne », se plaint-il. Et sous l’évocation du stress de leur vie quotidienne se cache leur angoisse : Bolormaa et Buyanjargal ont des enfants qui vivent à la ville. Que va-t-il se passer s’ils attrapent le virus ?

Purevbat, fils cadet de Buyanjargal et Bolormaa, garde les moutons à cheval.
Purevbat, fils cadet de Buyanjargal et Bolormaa, garde les moutons à cheval.

« Et ce n’est pas que moi », dit Buyanjargal. « C’est la même chose pour tous les Mongols. Nous vivons dans l'incertitude. » À 12 kilomètres de là, dans la ville de Batsumber, les conséquences de la pandémie sont bien visibles. Les commerces pour touristes sont clos, l'atelier de réparation de pneus est fermé, le cordonnier, qui a ouvert sa boutique grâce à un prêt du gouvernement, a du mal à se maintenir à flot. À 78 ans, Gavaa Baljin, artisan maroquinier, continue à travailler le cuir pour s’occuper, pour « garder le moral et rester en forme ». Mais il n'a rien vendu et n'a pas gagné un sou.

Gavaa Baljin, artisan maroquinier qui vit seul avec sa femme, n'a pas pu aller voir ses enfants, petits-enfants et arrière-petits-enfants. Il commence à se sentir mentalement en quarantaine.
Gavaa Baljin, artisan maroquinier qui vit seul avec sa femme, n'a pas pu aller voir ses enfants, petits-enfants et arrière-petits-enfants. Il commence à se sentir mentalement en quarantaine.

C’est dur d’être séparé de sa famille. Gavaa confie qu'il commence à se sentir "mentalement en quarantaine". Il passe l’hiver à la ville avec sa femme, mais cette année, il n'a pas pu aller voir ses enfants, petits-enfants et arrière-petits-enfants. Bolormaa abonde dans son sens : « C’est difficile pour nous d’aller voir nos parents, nos amis qui vivent juste derrière la montagne, de l’autre côté du ruisseau », dit-elle.

Une ambulance locale parcourt les pentes de la vallée natale de Bolormaa.
Une ambulance locale parcourt les pentes de la vallée natale de Bolormaa.

Cette année leur a semblé interminable. Mais Bolormaa a retrouvé un certain optimisme. « La pandémie ne va pas être éternelle. Non, ça ne va pas durer toujours », dit-elle. En mars, deux chargements de vaccins expédiés par COVAX sont arrivés en Mongolie. Le premier, composé de doses de vaccin Pfizer, était réservé à Oulan-Bator, car le vaccin est fragile et doit être conservé à -70°C. L'autre, constitué de vaccin Oxford-AstraZeneca, a pu être transporté facilement vers des régions comme Batsumber, car on peut le conserver dans de simples réfrigérateurs, entre +2 et +8°C.

« Pour moi, la vaccination constitue la meilleure protection », reconnaît Bolormaa. Et rien ne pourra l’empêcher d’aller se faire vacciner, ni les mauvaises routes ni le mauvais temps : « C'est difficile au printemps, pour nous qui vivons dans la steppe, à moins d'avoir une voiture. Il neige depuis ce matin. Les routes sont boueuses et glissantes quand il y a des tempêtes », explique-t-elle, mais elle ajoute que ce n'est pas ça qui l’arrêtera.

[De gauche à droite] Buyanjargal, Bolormaa et Gavaa lisent le dépliant sur le vaccin en attendant leur première injection du vaccin Oxford-AstraZeneca fourni par COVAX.
[De gauche à droite] Buyanjargal, Bolormaa et Gavaa lisent le dépliant sur le vaccin en attendant leur première injection du vaccin Oxford-AstraZeneca fourni par COVAX.

Le lendemain, Bolormaa et Buyanjargal retrouvent Gavaa dans la salle d'attente du centre de santé de Batsumber. Ils feuillettent les brochures sur les vaccins en attendant de recevoir leur injection. Tout comme Bolormaa qui lui est apparentée, Gavaa n'a aucun doute : « Je pense que c'est la seule façon de prévenir la maladie », reconnaît-il, « et je suivrai tout simplement ce que l’on me dit de faire. »

Vaccination de Gavaa
Vaccination de Gavaa.

Les yeux brillants au-dessus de son masque, Bolormaa fait glisser son vêtement pour dégager le haut de son bras et recevoir l'injection. « Ça va très bien », affirme-t-elle juste après. L'avenir semble s’éclaircir : « Je vais pouvoir recommencer à vendre mon lait et mes produits laitiers comme avant. Nous allons bientôt en avoir fini avec la pandémie ». Pour elle, le plus important, maintenant, c’est de lancer un appel « à tous les fonctionnaires, tous les citoyens, tous les éleveurs, pour qu’ils aillent vite se faire vacciner. Ensemble, nous pouvons venir à bout de cette pandémie ».

Bolormaa reçoit sa première dose de vaccin (Oxford-AstraZeneca), acheminée en Mongolie par COVAX.
Bolormaa reçoit sa première dose de vaccin (Oxford-AstraZeneca), acheminée en Mongolie par COVAX.