Comment un outil de gestion des données bien établi et un vaccin innovant ont permis au Niger de maîtriser une épidémie majeure de méningite

Le nouveau vaccin conjugué pentavalent contre le méningocoque a permis de contenir une épidémie en pleine progression, tandis qu’une utilisation innovante d’un outil essentiel de gestion des données a joué un rôle clé.

  • 17 janvier 2025
  • 9 min de lecture
  • par Ministry of Health Niger ,   WHO Niger ,   Personnel de Gavi
Une famille assise devant sa maison à Niamey, au Niger. Photo : Gavi/Niger/Isaac Griberg
Une famille assise devant sa maison à Niamey, au Niger. Photo : Gavi/Niger/Isaac Griberg
 

 

Au plus fort de la saison de la méningite en 2024, le Niger a été confronté à une épidémie de méningocoque qui a touché plus de 2 600 personnes.

Le pays figure parmi les 26 nations de la "ceinture africaine de la méningite", une vaste région s’étendant du Sénégal à l’Éthiopie, régulièrement frappée par des épidémies de grande ampleur. Lors de ces flambées, cette maladie – qui attaque les méninges, les fines membranes entourant le cerveau et la moelle épinière – peut entraîner la mort dans 10 % des cas et laisser 20 % des survivants avec des séquelles invalidantes à vie.

“Niger’s experience with DHIS2 serves as a replicable framework for other countries seeking to enhance their public health response capabilities.”

- Lorenzo Pezzoli, team lead, Epidemic Meningitis Control at the WHO in Geneva

En mai, le ministère de la Santé du Niger a riposté en lançant un vaccin puissant : le vaccin conjugué pentavalent contre le méningocoque, connu sous le nom de Men5CV ou MenFive.

Cette campagne a été un succès retentissant : aucun nouveau cas n’a été signalé dans les zones vaccinées de Niamey après le déploiement du vaccin. Cependant, des cas continuaient d’être recensés dans des districts non vaccinés situés au nord-est et au sud du Niger. Face à cette situation, le ministère de la Santé a soumis une deuxième demande au Groupe international de coordination de la vaccination (GIC) pour obtenir davantage de doses du stock mondial de MenFive financé par Gavi. Une deuxième campagne de vaccination a été lancée en juillet.

Deux outils décisifs

Deux éléments ont joué un rôle crucial dans la réussite de la lutte contre cette épidémie.

Le premier est le vaccin lui-même. Préqualifié par l’Organisation mondiale de la santé à la mi-2023, MenFive représente une avancée majeure dans la lutte contre la méningite. Son prédécesseur, MenAfriVac, a révolutionné la prévention dans la ceinture africaine de la méningite après son lancement en 2010, mais il ne protégeait que contre la méningite A, qui était alors la plus répandue. MenFive, avec sa couverture élargie, protège désormais contre cinq sérogroupes courants de la bactérie méningococcique responsables d’épidémies : les souches A, C, W, Y et X.

Le second outil, bien que déjà connu des agents de santé publique nigériens, a été employé de manière innovante.

DHIS2, ou District Health Information Software, est une plateforme numérique open source développée par l’Université d’Oslo et introduite pour la première fois au Niger en 2017. Adopté dans plus de 70 pays, cet outil est utilisé pour gérer les données liées à la vaccination, la surveillance des maladies et les statistiques de santé.

Organiser la collecte de données lors d’une campagne de vaccination de grande envergure est un défi de taille. Dans le contexte tendu d’une réponse à une épidémie impliquant un nouveau vaccin, il est encore plus crucial de recueillir des informations fiables et rapidement exploitables.

L’utilisation de DHIS2 pour le déploiement de MenFive a permis aux coordinateurs de suivre en temps réel les progrès de la campagne, au lieu de se contenter de rapports transmis par les superviseurs en fin de journée. Grâce à ces données en temps réel, les équipes ont pu intervenir immédiatement et prendre des décisions plus efficaces pour ajuster leur stratégie.

« Avec des campagnes de vaccination d’envergure couvrant plus de 3 millions de personnes dans des zones densément peuplées et rurales, il était indispensable de disposer d’un outil électronique permettant de suivre en temps réel l’évolution de la campagne. »

Dr Ibrahima Camara, point focal méningite du bureau de pays de l’OMS.

Un territoire inexploré

Il s’agissait seulement de la deuxième utilisation mondiale du vaccin MenFive, ce qui rendait d’autant plus crucial un suivi rigoureux de la campagne, tant en matière de couverture vaccinale que d’événements indésirables.

Une enquête de couverture post-campagne – essentielle pour mesurer à la fois l’efficacité de la vaccination et identifier les éventuels effets secondaires – a été réalisée grâce à DHIS2. Cet outil a été personnalisé localement avec un module de suivi individuel pour accompagner le processus.

« À mesure que les campagnes étaient organisées dans les différents districts, le besoin d’un outil électronique pour surveiller les campagnes et les enquêtes de couverture post-campagne s’est fait de plus en plus sentir. DHIS2 permet aux équipes, à tous les niveaux des institutions gouvernementales, de suivre les activités en temps réel et de manière efficace. »

– Dr Joaquin Baruch, responsable technique à l’OMS à Genève

Des usages en évolution

Le Niger utilise DHIS2 pour suivre les indicateurs de santé publique depuis plusieurs années, mais son rôle dans la surveillance s’est élargi. L’intégration récente avec STELab – un outil numérique dédié au suivi des échantillons de laboratoire et à la collecte de données de surveillance cas par cas – a renforcé son utilité.

Cette évolution a permis de créer des synergies entre des services de santé parfois cloisonnés. Par exemple, au Niger, DHIS2 est hébergé par la Direction des statistiques du ministère de la Santé, tandis que la Direction de la vaccination gère les services de vaccination et que la Direction de la surveillance et de la riposte aux épidémies (DSRE) supervise les campagnes d’urgence. Par ailleurs, les enquêtes de couverture vaccinale sont menées par l’Institut national de la statistique.

L’utilisation de DHIS2 pour gérer à la fois la campagne et l’enquête de couverture a ainsi facilité une collaboration interinstitutionnelle entre les différentes branches du gouvernement et leurs partenaires, comme l’OMS.

« L’un des grands atouts de DHIS2 est qu’il est déjà familier au ministère de la Santé. Le fait qu’il soit utilisé dans toutes les divisions a offert une excellente opportunité d’intégration. »

Dr Aminatou Alambeye, directrice régionale de la santé publique de Niamey 

« DHIS2 a été utilisé pour la première fois pour l’enquête de couverture vaccinale de la campagne MenFive », précise le Dr Camara de l’OMS. « Cela a permis une collecte de données en temps réel tout en réduisant le temps de traitement. Grâce à un tableau de bord interactif, le suivi des équipes sur le terrain est devenu beaucoup plus simple. »

Pour répondre aux objectifs, l’enquête de couverture devait être vaste. Dans chaque district vacciné, 200 ménages devaient être interrogés. À Niamey, qui compte cinq districts vaccinés, cela représentait à elle seule 1 000 ménages à enquêter, une tâche répartie entre dix équipes.

Les cartes, tableaux de bord et questionnaires intégrés à DHIS2 se sont avérés essentiels. Les cartes et infographies ont permis aux équipes d’identifier rapidement les zones prioritaires et de concentrer leurs efforts sur les parties de la ville où le retard était le plus marqué.

« Les systèmes numériques permettent aux enquêteurs et aux superviseurs de terrain d’assurer un travail de haute qualité. La couverture vaccinale influence directement le succès de l’introduction d’un vaccin, et disposer de données précises en temps réel produit l’effet souhaité. Contrairement à la méthode papier habituelle, ce système permet un suivi rigoureux et offre des données propres et fiables pour l’analyse. »

Dr Elh. Ibrahim Tassiou, Directeur de la surveillance et de la réponse aux épidémies

L’utilisation de DHIS2 lors de l’enquête de couverture a été un franc succès. Les enquêteurs, équipés de tablettes, ont collecté des données en temps réel tout en surveillant minutieusement les activités de terrain. Grâce à la géolocalisation GPS, ils ont suivi les zones étudiées et fourni un retour d’information instantané aux équipes de supervision.

« Abandonner les discussions WhatsApp pour un outil structuré comme DHIS2 a transformé notre manière de suivre les informations. Lors de nos réunions matinales pour analyser les résultats, nous pouvions voir immédiatement l’état d’avancement sans perdre de temps à trier les messages de différents groupes. Avec 2 000 ménages à enquêter et plusieurs équipes à gérer, la technologie numérique a considérablement amélioré l’organisation. Si nous avions continué avec des formulaires papier, il aurait été impossible de vérifier les détails aussi rapidement. »

–  Dr Camara, point focal méningite du bureau de pays de l’OMS

Un impact visible

Le succès de cette approche a incité le Niger à intégrer DHIS2 au suivi intra-campagne lors de la vaccination réactive de juillet, remplaçant les rapports traditionnels utilisés en mai. Cette campagne a mobilisé 1 444 équipes, vaccinant 1 805 390 personnes dans trois régions.

Le directeur régional de la Délégation régionale de la Santé publique de Niamey a souligné l’intérêt de la familiarité de l’outil auprès des agents de santé, qui l’utilisent régulièrement dans le cadre du système national d’information de gestion sanitaire de routine : « DHIS2 est un outil familier et utilisé en routine par les agents de santé au niveau opérationnel. Ainsi, son utilisation a été spontanée par tous les acteurs à différents niveaux pendant la campagne. »

Pendant la campagne de juillet, 1 444 équipes ont été déployées pour vacciner 1 805 390 personnes dans trois régions.

« Avec le suivi de la deuxième campagne, nous nous réunissions chaque matin pour examiner les données issues de DHIS2. La différence dans la gestion était frappante. Nous savions quelles équipes étaient supervisées et quels problèmes avaient été relevés la veille, ce qui nous a permis de répondre rapidement et efficacement. »

Kalidou Moussa, superviseur national dans la région d’Agadez

Une vision pour l’avenir

Malgré son efficacité, l’utilisation de DHIS2 n’a pas été sans défis. Les vaccinateurs, enquêteurs et superviseurs ont dû être formés à ces nouvelles fonctionnalités, une opération exigeante en temps et en ressources. Le ministère de la Santé a bénéficié de l’appui du Programme des systèmes d’information sanitaire (PSIS) en Afrique de l’Ouest pour développer les modules et superviser leur mise en œuvre.

À l’avenir, le ministère vise à former ses équipes pour personnaliser DHIS2 de manière autonome, afin de faciliter le déploiement rapide de nouvelles campagnes. Il est également crucial d’inclure ces besoins de personnalisation et de formation dans les budgets opérationnels de Gavi pour institutionnaliser l’utilisation de DHIS2 dans les campagnes de vaccination.

En dehors du système de santé, des obstacles subsistent. Le Niger, vaste pays à majorité rurale, souffre d’une connectivité Internet irrégulière dans ses zones reculées. Bien que DHIS2 permette une collecte hors ligne, les données ne peuvent être synchronisées qu’une fois une connexion disponible, entraînant des retards.

En outre, l’insécurité dans certaines régions a rendu l’accès difficile, mais des mesures d’atténuation efficaces ont permis à de nombreuses équipes de travailler en toute sécurité.

À terme, le Niger envisage une intégration complète des flux de données provenant des laboratoires, de la surveillance basée sur les cas et des campagnes de vaccination. Cette approche garantirait des décisions éclairées et des réponses plus rapides face aux épidémies. DHIS2 jouera un rôle central dans cette intégration, facilitant l’échange d’informations entre systèmes parallèles, améliorant la visualisation des données, et accélérant la détection, l’investigation et la confirmation des épidémies.

De plus, il simplifiera les demandes d’accès aux stocks de vaccins auprès du Groupe international de coordination (GIC), renforçant ainsi la capacité du Niger à réagir efficacement aux crises sanitaires.

« Les outils électroniques tels que DHIS2 apportent de nombreux avantages pour la surveillance et la réponse. Ils réduisent le délai de détection des cas de méningite, accélèrent la confirmation des épidémies, améliorent la qualité des données grâce à une rapidité, une exhaustivité et une précision accrues, raccourcissent le temps nécessaire à la soumission des demandes ICG pour organiser des campagnes réactives et préventives, réduisent le risque de perte de données dans le cadre de la surveillance et augmentent la capacité de stockage des données nationales. »

Dr Ibrahima Camara, point focal méningite du bureau de pays de l’OMS

Le succès de l’utilisation de DHIS2 lors des campagnes de vaccination contre la méningite au Niger en 2024 illustre le potentiel des outils de surveillance électronique pour renforcer la portée et l’efficacité des services de santé publique.

En poursuivant l’extension de l’utilisation de DHIS2, le Niger établit un précédent pour l’avenir de la surveillance des maladies et de la réponse aux épidémies dans la région. Ce succès offre également une opportunité d’intégrer ces pratiques dans les politiques nationales, notamment dans le cadre de la stratégie nationale de vaccination.

« L’expérience du Niger avec DHIS2 constitue un modèle reproductible pour d’autres pays souhaitant améliorer leurs capacités de réponse en santé publique », a déclaré Lorenzo Pezzoli, chef de l’équipe de lutte contre les épidémies de méningite à l’OMS à Genève. « En adoptant ce modèle évolutif, d’autres pays peuvent exploiter la puissance de la surveillance électronique et de la prise de décision basée sur les données pour renforcer leur capacité à prévenir et contrôler les épidémies de méningite bactérienne, ainsi que d’autres maladies évitables par la vaccination, de manière rapide et efficace. »