Comment l’Afrique a vaincu la méningite A

Le vaccin MenAfriVac a éliminé la principale cause de méningite bactérienne en Afrique. Un nouveau vaccin couvrant d’autres souches majeures pourrait changer la donne.

  • 12 octobre 2023
  • 11 min de lecture
  • par Linda Geddes
Une séance de vaccination contre le méningocoque au Burkina Faso en 2017. Crédit : GAVI/2017/Juliette Bastin
Une séance de vaccination contre le méningocoque au Burkina Faso en 2017. Crédit : GAVI/2017/Juliette Bastin
 

 

Jean-François était un excellent élève, un footballeur talentueux, un jeune homme qui avait la vie devant lui. Il a été admis à l’hôpital de Ouagadougou, au Burkina Faso, en 2006, après s’être réveillé un matin avec un mal de tête foudroyant, qui s’est rapidement transformé en une maladie potentiellement mortelle.

Bien que le jeune homme de 18 ans ait survécu à cet épisode, il est devenu totalement sourd. Quelques mois plus tard, alors qu’il jouait au football dans une cour près de chez lui, le ballon a roulé sur la route et il a couru derrière lui.

 

« Lorsque vous vivez l’une de ces épidémies de méningite en Afrique, cela marque votre âme au fer rouge. »

– Dr Marc LaForce, médecin spécialiste des maladies infectieuses et épidémiologiste

« Il n’a jamais entendu le camion qui l’a renversé », déclare le Dr Marc LaForce, médecin spécialiste des maladies infectieuses et épidémiologiste, qui a rencontré Jean-François lors de son séjour à l’hôpital. « Voilà un potentiel président du Burkina Faso qui n’a jamais eu sa chance, parce que nous ne disposions pas de ce que nous aurions dû avoir : un vaccin pour le protéger. »

La méningite est une maladie qui a le pouvoir d’effrayer tous les parents, en particulier ceux qui vivent dans la région de l’Afrique subsaharienne connue sous le nom de « ceinture de la méningite », où les taux de maladies à méningocoques sont les plus élevés au monde. Historiquement, des épidémies majeures ont balayé ces pays tous les cinq à douze ans. La maladie est mortelle dans 80 % des cas si elle n’est pas traitée, les enfants et les jeunes adultes passant d’un état de parfaite santé à un état critique ou décédant en l’espace de 24 à 48 heures.

Même lorsque la maladie est diagnostiquée à un stade précoce et que des antibiotiques appropriés sont administrés, environ un patient sur dix décède, et jusqu’à 20 % des personnes qui survivent souffrent de lésions cérébrales, d’amputations ou, comme Jean-François, d’une perte d’audition.

« Lorsque vous vivez l’une de ces épidémies de méningite en Afrique, cela marque votre âme au fer rouge », déclare le Dr LaForce. « Il est impossible de prévoir où et quand elles vont se produire, et lorsqu’elles se produisent, la maladie frappe de manière imprévisible : il peut y avoir quatre ou cinq cas dans un seule et même habitation, aucun cas dans le reste du village, puis une autre famille avec plusieurs cas juste à l’extérieur du village.

Les populations sont terrorisées et se réfugient chez elles. Il n’y a pas d’activité commerciale, il ne se passe pas grand-chose jusqu’à ce que l’épidémie disparaisse. »

Jusqu’à il y a un peu plus de dix ans, les épidémies de méningite à méningocoques étaient courantes dans les pays de la ceinture de la méningite, avec jusqu’à une personne sur 100 infectée lors des pires épidémies, et les intervalles entre ces épidémies semblaient de plus en plus courts. Toutefois, depuis 2010, l’introduction d’un vaccin contre la bactérie méningocoque du groupe A, principale cause de méningite épidémique, a permis de l’éliminer, sauvant ainsi des millions de vies. Aujourd’hui, le monde est sur le point de franchir une nouvelle étape majeure : le déploiement d’un vaccin qui protégera contre quatre autres souches de méningocoques.

« Aujourd’hui, l’Afrique a la possibilité de faire quelque chose d’incroyablement exaltant », déclare le Dr LaForce. « La première étape a consisté à éliminer le MenA, qui était le problème le plus grave. Nous avons désormais la possibilité d’appliquer les mêmes principes épidémiologiques, mais en prenant en charge le problème dans son intégralité. Nous envisageons l’élimination continentale de toutes les méningites en Afrique. »

Infection mortelle

La méningite est une infection des méninges, la fine membrane qui entoure le cerveau et la moelle épinière. Bien que des virus, des champignons ou des parasites puissent également en être à l’origine, la forme bactérienne est la plus courante et la plus mortelle. De nombreux types de bactéries sont à l’origine de la méningite, mais les personnes vivant dans la ceinture de la méningite – qui s’étend sur 26 pays, du Sénégal à l’Éthiopie – sont particulièrement exposées au risque de maladies à méningocoques, causées par la bactérie Neisseria meningitidis .

Ces agents pathogènes peuvent vivre dans le nez ou la gorge sans provoquer de symptômes, mais ils pénètrent parfois dans la circulation sanguine et se déplacent vers les méninges. Ce phénomène est d’autant plus probable que les conditions sont sèches et poussiéreuses, ce qui irrite les parois des voies respiratoires. Dans certains cas, ces bactéries peuvent également déclencher une septicémie ou un empoisonnement du sang, qui est à l’origine de l’éruption cutanée caractéristique – bien que tous les patients ne développent pas ce signe révélateur.

Dans les pays de la ceinture de la méningite, les épidémies commencent généralement au début de l’année civile, lorsque les vents secs et poussiéreux du Sahara commencent à souffler vers le sud, et que les nuits froides et les infections des voies respiratoires supérieures aggravent les dommages causés aux voies respiratoires. Depuis 1905, d’importantes épidémies sont régulièrement signalées dans cette région, mais la méningite de 1996-1997 a été l’une des pires de son histoire, avec plus de 250 000 personnes malades et au moins 25 000 décès.

« Il y avait énormément de cas, et les enfants et les jeunes adultes décédaient les uns après les autres », explique le Dr Marie-Pierre Preziosi, qui travaillait comme épidémiologiste dans le sud-ouest du Sénégal en 1996, et qui dirige aujourd’hui l’initiative Vaincre la méningite à l’horizon 2030 de l’OMS. « C’est terrifiant parce que cela arrive très vite. En 24 heures, vous pouvez développer une forte fièvre et mourir. Et les tout jeunes bébés ne sont pas les seuls à être touchés, les enfants, les adolescents et les jeunes adultes le sont également. »

Bien que des vaccins polysaccharidiques contre la méningite soient disponibles, ils ont eu tendance à être déployés dans le cadre d’une stratégie de « vaccination réactive », qui consistait à vacciner le district épidémique et les zones environnantes. Ces vaccins étaient par ailleurs coûteux, offraient uniquement une protection à court terme et étaient largement inefficaces chez les nourrissons et les jeunes enfants.

« La protection conférée par les vaccins polysaccharidiques disparaît au bout de quelques années, mais nous estimions que si nous pouvions introduire le vaccin à ce moment-là, il serait en mesure de conférer une certaine immunité au niveau local et de permettre de maîtriser ces épidémies », explique le Dr LaForce.

Toutefois, l’accessibilité financière et l’acheminement rapide de ces vaccins là où ils sont nécessaires ont constitué un défi permanent. « Le plus souvent, ces campagnes réactives ont eu lieu des mois après la fin de l’épidémie. Lorsque nous nous sommes posés et avons procédé à une analyse des pays et des quantités de vaccins achetées sur plusieurs années, il a été impossible de déterminer si ces stratégies réactives avaient eu un quelconque effet », indique le Dr LaForce.

Un vaccin pour l’Afrique

Alarmés par l’impact dévastateur de ces épidémies sur les enfants et les jeunes adultes à l’aube de leur « vie économique », les ministres de la santé de toute la ceinture de la méningite ont demandé à l’OMS, en 1997, d’élaborer une nouvelle stratégie afin de prévenir l’occurrence de ces épidémies.

Il s’agissait de mettre au point un vaccin peu coûteux susceptible d’être administré à tous les groupes à haut risque, y compris les nourrissons et les jeunes enfants, et qui conférerait une protection à vie contre les bactéries méningococciques du groupe A.

En 2001, le projet « Vaccin contre la méningite » a vu le jour et le Dr LaForce a été nommé à sa tête. Dirigé par l’OMS et l’organisation de santé PATH, basée à Seattle, et financé par la Fondation Bill et Melinda Gates – mais avec la participation de chercheurs et de ministères de la Santé africains à chaque étape – son objectif visait à développer, à tester et à homologuer un vaccin conjugué contre le méningocoque du groupe A à un prix abordable en Afrique subsaharienne.

« La première étape a consisté à éliminer le MenA, qui était le problème le plus grave. Nous avons désormais la possibilité d’appliquer les mêmes principes épidémiologiques, mais en prenant en charge le problème dans son intégralité. Nous envisageons l’élimination continentale de toutes les méningites en Afrique. »

– Dr Marc LaForce, médecin spécialiste des maladies infectieuses et épidémiologiste

Le projet a débuté par une phase de recherche intensive afin de mieux comprendre la maladie et l’infrastructure nécessaire à l’introduction d’un tel vaccin. Parallèlement, le Dr LaForce et son équipe ont commencé à contacter de grandes sociétés pharmaceutiques pour développer ce vaccin, mais aucune multinationale n’était encline à produire un vaccin suffisamment bon marché pour que les gouvernements africains soient en mesure de l’acheter.

Imperturbables, ils ont décidé de créer leur propre société de vaccins en partenariat avec le Serum Institute of India, qui a accepté de produire le vaccin pour moins de 0,50 USD par dose. Entre 2003 et 2010, le partenariat a travaillé sans relâche pour développer, tester et homologuer ce vaccin.

Malgré de nombreux obstacles rencontrés, l’équipe a persévéré et le décès prématuré de Jean-François n’a fait que renforcer son élan. « Du point de vue de l’ensemble de l’équipe, son histoire est devenue un « point d’ancrage », honnêtement. À chaque fois que nous étions découragés, la réponse consistait à continuer », explique le Dr LaForce.

En 2005, un prototype du vaccin contre la méningite en Afrique (MenAfriVac) était prêt à être testé sur 74 adultes en bonne santé en Inde. Ce test d’innocuité réussi a été suivi d’essais de Phase 2 plus importants au Mali et en Gambie, qui ont démontré que le vaccin était non seulement sûr, mais qu’il déclenchait des niveaux élevés d’anticorps chez les personnes qui le recevaient.

Le Dr Preziosi, qui dirigeait le développement clinique du vaccin, a été l’une des premières personnes à prendre connaissance des données issues de ces essais. Elle se souvient parfaitement du moment où elles sont arrivées sur son bureau : « J’ai appelé mes patrons et je leur ai dit que nous étions sur la voie royale – le ticket gagnant. Lorsque j’ai vu les résultats, j’ai su que le produit fonctionnait et que nous allions y arriver », affirme-t-elle.

L’immunité en ligne de mire

Le 6 décembre 2010, le vaccin a été introduit au Burkina Faso, et 95 % des Burkinabés âgés de 1 à 29 ans, soit 10,8 millions de personnes, ont été vaccinés en dix jours. Son impact a été aussi spectaculaire que soudain : « Entre décembre 2010 et juin 2011, nous sommes passés d’un nombre élevé de cas de méningite à pratiquement zéro », indique le Dr LaForce. « Nous n’avons recensé qu’un seul cas de méningite à méningocoques du groupe A, chez une personne non vaccinée qui vivait dans une zone désertique entre le Mali et le Burkina Faso. »

En apprenant ce qui s’était passé au Burkina Faso, d’autres pays africains ont commencé à demander à avoir accès au vaccin.

Au cours des dix années suivantes, quelque 360 millions de personnes ont été vaccinées en Afrique subsaharienne et l’impact a été gigantesque : avant l’introduction du vaccin, les maladies à méningocoques du groupe A étaient responsables de 80 à 85 % des épidémies de méningite dans la ceinture de la méningite. En avril 2021, 24 de ces pays avaient mené des campagnes de vaccination de masse et l’incidence de la méningite du sérogroupe A avait diminué de plus de 99 %.

L’impact du vaccin a été ressenti à plusieurs niveaux, explique le Dr Preziosi, qui a pris la direction du projet Vaccin contre la méningite en 2012. « Le vaccin a tout d’abord a éliminé les maladies à méningocoques du groupe A ; aucun cas n’a été signalé depuis 2017 et le vaccin a probablement permis d’éviter près d’un million de cas depuis 2010 », précise-t-elle.

« Le vaccin a par ailleurs été porteur d’espoir auprès des communautés de ces pays, car elles ont réalisé qu’un vaccin pouvait être mis au point par des chercheurs africains – ce sont eux qui ont mené les essais et conçu les stratégies d’introduction. Pour la première fois, les Africains ne recevaient pas un produit qui avait été testé dans des pays à revenu élevé et qui leur avait été vendu après des années d’utilisation. Il s’agissait de leur vaccin. »

Le Dr Preziosi estime que le succès de la campagne a également renforcé la confiance dans les vaccins en général : « Les responsables des programmes de vaccination de plusieurs de ces pays m’ont dit que cela leur avait donné de l’espoir car ils avaient constaté que ce nouveau produit pouvait éliminer un fléau majeur, ce qui a revitalisé leurs programmes », explique-t-elle. « La population pouvait constater la disparition de cette terrible maladie.

« Il a éliminé les maladies à méningocoques du groupe A ; aucun cas n’a été signalé depuis 2017 et le vaccin a probablement permis d’éviter près d’un million de cas depuis 2010.

– Dr Marie-Pierre Preziosi, directrice du projet Vaccin contre la méningite

Toutefois, des défis subsistent. Même si les cas de méningite ont considérablement diminué, d’autres types de bactéries méningococciques qui n’appartiennent pas au groupe A sont également à l’origine d’épidémies, notamment celles des groupes C, W, X et Y. En 2017, les épidémies causées par les groupes C et W ont représenté plus de 14 000 cas rien qu’au Niger et au Nigéria.

La méningite est également causée par le Streptococcus pneumoniae (pneumocoque), l’Haemophilus influenzae de type b (Hib) et le Streptococcus agalactiae (streptocoque du groupe B). Bien que des vaccins efficaces contre le pneumocoque et la Hib soient inclus dans la plupart des programmes de vaccination de routine, une couverture élevée et continue est nécessaire pour prévenir les infections.

Un vaccin qui change la donne

La bonne nouvelle, c’est que d’autres vaccins arrivent. Deux vaccins contre le streptocoque du groupe B sont à l’heure actuelle soumis à des essais cliniques, tandis qu’un vaccin conjugué contre les méningocoques des groupes A, C, W, X et Y à un prix abordable, développé au Serum Institute sous la direction du Dr LaForce, a obtenu la préqualification de l’OMS en juillet 2023. Cela signifie que le vaccin répond à des normes internationales strictes en matière de qualité, d’innocuité et d’efficacité, et qu’il peut être acheté par les agences des Nations unies et par Gavi, l’Alliance du vaccin.

« Ce vaccin a le potentiel de changer la donne, car il permettrait d’éliminer les épidémies et les cas de méningite non seulement dans la ceinture, mais également sur le reste du contient africain », explique le Dr Preziosi. « Son introduction sera un réel défi car il existe de nombreuses priorités concurrentes, mais il y a une forte demande pour ce vaccin, et nous pensons qu’il pourrait également stimuler la couverture et l’acceptation des [autres] vaccinations. Nous avons donc bon espoir qu’il puisse réellement faire la différence dans ces pays. »

Fin septembre 2023, le Groupe stratégique consultatif d’experts sur la vaccination (SAGE) de l’OMS a recommandé que tous les pays de la ceinture africaine de la méningite introduisent le nouveau vaccin dans leurs programmes de vaccination de routine, dans le cadre d’un schéma à une dose, entre l’âge de 9 et de 18 mois. Dans les pays à haut risque et dans ceux qui ont des districts à haut risque, une campagne de rattrapage devrait également être menée au moment de l’introduction du vaccin, ciblant tous les individus âgés de 1 à 19 ans.

Le vaccin fait également l’objet à l’heure actuelle d’une étude de Phase 3 chez des nourrissons en bonne santé au Mali, afin de tester son innocuité et son immunogénicité lorsqu’il est administré en même temps que les vaccins contre la rougeole/rubéole et la fièvre jaune.

« Pour la toute première fois, il s’agit non seulement de prévenir la maladie, mais aussi de reconnaître que de nombreuses personnes et communautés ont été affectées par des séquelles à vie – notamment la perte de membres, la perte d’audition, des déficiences visuelles et neurologiques et des problèmes de développement – et qu’elles n’ont accès à aucune forme de soutien. »

– Dr Marie-Pierre Preziosi, directrice du projet Vaccin contre la méningit

Toutefois, les vaccins ne constituent qu’une partie de la solution. En septembre 2021, l’OMS a lancé une feuille de route mondiale qui définit une stratégie pour vaincre la méningite à l’horizon 2030. Ses objectifs visent à éliminer les épidémies de méningite bactérienne, à réduire de 50 % le nombre de cas de méningite bactérienne évitable par la vaccination et de 70 % le nombre de décès, et à améliorer la qualité de vie des personnes qui survivent à la méningite.

Soutien aux « survivants »

« Pour la toute première fois, il s’agit non seulement de prévenir la maladie, mais aussi de reconnaître que de nombreuses personnes et communautés ont été affectées par des séquelles à vie – notamment la perte de membres, la perte d’audition, des déficiences visuelles et neurologiques et des problèmes de développement – et qu’elles n’ont accès à aucune forme de soutien », déclare le Dr Preziosi, qui dirige l’initiative.

« Nous élaborons à l’heure actuelle en priorité des directives pour le diagnostic et le traitement de ces séquelles durables, afin de les détecter le plus tôt possible et d’aider les patients avant que les effets ne deviennent trop dramatiques. Nous nous efforçons également de quantifier le nombre de personnes concernées, afin de leur apporter un soutien suffisant, et d’établir des liens avec les ONG existantes ou les initiatives nationales susceptibles d’aider les personnes handicapées en leur fournissant, par exemple, des implants cochléaires et d’autres dispositifs auditifs, ou des fauteuils roulants. »

De telles interventions auraient pu sauver la vie de Jean-François et d’innombrables autres personnes comme lui. Mais elles pourraient également permettre aux personnes qui survivent à la méningite de mener une vie plus heureuse et plus productive – une vie où nous pourrions tous imaginer un avenir sans méningite.