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Au cœur de la tempête : comment l’épidémie d’hépatite A frappe le Kerala

Le Kerala, dans le sud de l’Inde, traverse une crise sans précédent avec une flambée des cas d’hépatite A. Nasir Yousufi enquête sur les causes de cette épidémie virale.

  • 24 juillet 2024
  • 6 min de lecture
  • par Nasir Yousufi
Ouvriers nettoyant les réservoirs d’eau à Vengoor. Crédit : Vengoor Panchayat
Ouvriers nettoyant les réservoirs d’eau à Vengoor. Crédit : Vengoor Panchayat
 

 

Par une journée caniculaire, alors qu’un groupe de chauffeurs finissait son déjeuner sous un toit de chaume près d'une station de taxis à Ernakulam, l’un d'eux a commencé à vomir. Il a eu des sueurs abondantes et s’est plaint de maux de tête. Son état se détériorant rapidement, il a été emmené au centre de santé voisin. Quand les résultats de ses tests préliminaires ont été publiés dans la soirée, il avait déjà été transféré au principal hôpital public de la ville.

Sreekanth, un conducteur de 38 ans du village de Vengoor à Ernakulam, a été diagnostiqué avec l’hépatite A. Comme beaucoup d’autres victimes, il devrait sortir guéri de l’hôpital après un peu plus d’une semaine de traitement.

« Au cours des dernières années, l’État a connu une hausse des températures et des modifications dans les régimes de précipitations. Cela a conduit à une pénurie d’eau potable et à des inondations, favorisant ainsi la montée des infections virales. »

- Dr E. Sreekumar, directeur de l'Institut de virologie avancée du Kerala

L'hépatite A est une inflammation du foie causée par le virus de l’hépatite A. Les symptômes incluent fièvre, perte d’appétit, diarrhée, nausées, inconfort abdominal et urine foncée. La maladie se propage principalement par la consommation d'aliments ou d'eau contaminés, par des installations sanitaires inadéquates, une mauvaise hygiène personnelle ou des contacts physiques.

Contrairement aux hépatites B et C, l’hépatite A ne conduit pas à des maladies hépatiques chroniques et est beaucoup moins mortelle, mais ses symptômes peuvent être débilitants. Dans de rares cas, elle peut provoquer une insuffisance hépatique aiguë et l'Organisation mondiale de la santé a recensé environ 7 134 décès dus à l’hépatite A dans le monde en une seule année.

Rassemblement de sensibilisation à la santé organisé par le Village Panchayat à Vengoor. Crédit : Vengoor Panchayat
Rassemblement de sensibilisation à la santé organisé par le Village Panchayat à Vengoor. Crédit : Vengoor Panchayat

Une charge de travail croissante

Le Kerala est actuellement en proie à une grave épidémie d’hépatite A. Veena George, la ministre de la Santé de l’État, a tiré la sonnette d’alarme concernant l’épidémie dans les quatre districts les plus touchés : Ernakulam, Malappuram, Thrissur et Kozhikode. Le nombre de cas aurait dépassé les 6 000 au premier semestre 2024, soit une augmentation considérable par rapport aux 1 073 cas confirmés en 2023.

Cette hausse est marquante, même par rapport à l’année précédente. Selon les données de la Direction des services de santé du Kerala, l’État avait enregistré 231 cas en 2022, contre 134 en 2021.

Vengoor Panchayat, dans le district d'Ernakulam, a été le village le plus sévèrement touché. Avec une population d'environ 5 000 habitants, Vengoor a comptabilisé 271 cas confirmés. Les responsables du centre de santé communautaire local affirment que la situation est désormais largement sous contrôle, avec seulement trois cas en traitement au moment de la rédaction de cet article.

Des agents de santé effectuent une enquête sur la fièvre dans un centre de santé communautaire du Kerala. Crédit : Muhsina Assu
Des agents de santé effectuent une enquête sur la fièvre dans un centre de santé communautaire du Kerala. Crédit : Muhsina Assu

Le Dr Harikumar S, directeur adjoint des services de santé du Kerala, indique que son département a rapidement réagi face à la situation.

« Nous avons mis en place une enquête porte-à-porte sur la fièvre, recherché rapidement les contacts, assuré un suivi approprié, lancé des campagnes de sensibilisation et pris des mesures de nettoyage dans les zones touchées pour contenir l'épidémie », explique-t-il.

La mauvaise qualité de l’eau en cause

À Vengoor, une source d’eau contaminée s’est révélée être la principale cause de l’épidémie.

« Le 17 avril, nous avons enregistré le premier cas confirmé d’hépatite A. Nous avons rapidement mené une enquête sur la fièvre dans tout le village et détecté plusieurs nouveaux cas en quelques jours. En parallèle, nous avons cherché la source possible de l’infection virale dans le village. Après six jours d’investigations, nous avons identifié les réservoirs de stockage d’eau fournissant de l’eau potable aux villageois comme principale source d’infection », explique le Dr Victor Joseph, surintendant médical du centre de santé communautaire de Vengoor.

Réservoir de stockage d’eau potable entretenu par KWA au Kerala. Crédit : Muhsina Assu
Réservoir de stockage d’eau potable entretenu par KWA au Kerala. Crédit : Muhsina Assu

Il semble que l’eau à Vengoor ait été contaminée par une fuite dans les canalisations, entraînant le mélange d'eau potable avec des eaux souterraines impures ou non traitées. Le risque de contamination augmente généralement en période de pénurie d’eau, surtout pendant les mois les plus chauds.

« Les réservoirs de stockage d’eau qui alimentent les villageois sont entretenus par la Kerala Water Authority. Nous nous assurons habituellement que de l'eau potable chlorée et salubre soit fournie. Cependant, l’autorité peut parfois fournir de l'eau non traitée pendant la période de forte demande en été », précise Silpa Sudheesh, présidente du panchayat (consil de village) de Vengoor. De nombreux villageois, en désespoir de cause, se tournent vers des sources d’eau souterraines contaminées, les exposant à des pathogènes comme l’hépatite A.

« Beaucoup de gens mangent à l’extérieur, dans des restaurants ou commandent de la nourriture. Certains de ces établissements utilisent de l'eau non traitée ou contaminée en raison du manque d’eau potable, surtout en été, ce qui favorise la propagation des maladies virales », ajoute le Dr Ismail Siyad, gastro-entérologue à l'hôpital Aster Medcity d'Ernakulam.

Impact du climat

Les experts attribuent également l’augmentation des cas au changement climatique.

« Au cours des dernières années, l’État a connu une hausse des températures et des modifications dans les régimes de précipitations. Cela a conduit à une pénurie d’eau potable et à des inondations, favorisant ainsi la montée des infections virales », explique le Dr E. Sreekumar, directeur de l’Institut de virologie avancée du Kerala.

Les autorités sanitaires précisent que les personnes souffrant de comorbidités sont particulièrement vulnérables à l'hépatite A.

Le Dr Siyad précise que les personnes les plus à risque sont celles vivant dans des bidonvilles avec des conditions sanitaires précaires, les sans-abris, les toxicomanes, les personnes vivant avec le VIH et celles en contact étroit avec des patients. Les voyageurs fréquents, tant à l’intérieur de l’État qu’à l’étranger, sont également plus exposés, ajoute-t-il.

Un ambulancier prélève un échantillon de sang d’un patient suspecté d'hépatite A à Ernakulam. Crédit : Muhsina Assu
Un ambulancier prélève un échantillon de sang d’un patient suspecté d'hépatite A à Ernakulam. Crédit : Muhsina Assu

Prévention

En plus des bonnes pratiques d'hygiène, de la chloration de l'eau et de la consommation d’aliments sûrs, les experts soulignent l'importance de la vaccination contre les hépatites A et B pour contrôler ces maladies.

Le Dr Prabhakaran, gastro-entérologue principal à l'hôpital Malabar de Kozhikode, explique qu’en plus de la vaccination systématique des enfants de plus de 12 mois contre l’hépatite B – fournie gratuitement par l'État indien – les personnes ayant les moyens devraient se faire vacciner contre l’hépatite A.

Le vaccin contre l’hépatite A reste coûteux pour la plupart des gens. Il dépasse 600 roupies (environ 7,18 dollars) dans la plupart des établissements privés, précise le Dr Victor Joseph.

Alors que certaines régions de l’État luttent contre l’épidémie d’hépatite A, le système de santé est sous une pression accrue.

« Je suis surchargé de travail. Depuis deux mois, je n'ai pas pu prendre de congé en raison de la forte affluence de patients. Avec l’épidémie, je passe encore plus de temps à l’hôpital », explique Mohan, un ambulancier paramédical à Ernakulam.

Même si l’hépatite A est rarement mortelle contrairement aux hépatites B et C, une crise sévère peut avoir des répercussions économiques importantes. Sreekanth, le chauffeur de Vengoor, a indiqué qu'il n'a pas pu travailler pendant près d'un mois et demi après avoir été hospitalisé début mai. Il a dû emprunter de l'argent à un ami pour couvrir ses dépenses et ses factures, ajoute-t-il.