L'arrivée du premier vaccin : Une histoire abrégée de la vaccination, 1ère partie

Dès les années 1500, on a cherché à enrayer la propagation de la variole en ayant recours à des méthodes, pour le moins risquées, qui visaient à conférer une immunité. Dans les années 1800, ces procédures - appelées "variolisation" - ont été supplantées par une nouvelle approche, beaucoup plus sûre, la vaccination, qui a ouvert la voie à la prévention vaccinale des maladies infectieuses.

  • 9 mai 2022
  • 6 min de lecture
  • par Maya Prabhu
Vaccination ; le Dr Jenner effectuant sa première vaccination. Crédit : 17 Wellcome V0018142
Vaccination ; le Dr Jenner effectuant sa première vaccination. Crédit : 17 Wellcome V0018142
 

 

"Quelque chose de la variole" : l'immunisation avant la vaccination

En 1716, Cotton Mather, ministre puritain influent de la Nouvelle-Angleterre, lit un rapport en provenance de Constantinople qui décrit une méthode locale permettant de « transmettre la variole par incision », méthode connue sous le nom d’"inoculation" ou "variolisation". Il n’a jamais entendu parler de son utilisation en Europe auparavant, mais pourtant, cette méthode lui semble familière. Il s’empresse de prendre sa plume pour signaler les faits :

Demandant à mon serviteur noir, Onesimus , qui est un individu de bonne intelligence, s'il avait eu la variole, il me répondit simultanément : oui et non ; et alors il me dit qu'il avait subi une opération qui lui avait transmis quelque chose de la variole, et qui l'en préserverait à jamais.1

Onesimus était un esclave, né Garamante dans ce qui serait aujourd'hui le sud de la Libye. Chez lui, avait-il raconté, le processus de variolisation était bien connu : le pus de la lésion d'un malade de la variole était introduit au niveau d’une coupure effectuée dans la peau d'un individu sain. Il avait montré à Mather la cicatrice laissée sur son propre corps. « Celui qui avait le courage de l'utiliser était à jamais libéré de la peur de la contagion », écrivait Mather en rappelant l'histoire d'Onesimus.

Près d'un demi-siècle après son éradication, il est difficile d’imaginer le fléau que représentait la variole, et la terreur qu’elle pouvait engendrer. Elle tuait entre 20 et 60 % des personnes infectées. Jusqu'à 9 bébés contaminés sur 10 en mouraient. Les symptômes de la maladie étaient atroces, et les épidémies fréquentes : au 18e siècle, quelque 400 000 Européens en mouraient chaque année. Lorsque la variole est arrivée dans les Amériques à bord des navires européens, elle a décimé des populations entières, contribuant à faire tomber les civilisations aztèque et inca.

Un tiers des survivants de la variole restaient aveugles, et la plupart étaient marqués à vie, défigurés par d’affreuses cicatrices. Mais ceux qui en réchappaient étaient ensuite totalement épargnés par les épidémies ultérieures – ce qui a dû fasciner plus d'un esprit curieux.

En fait, la découverte qu'il était souvent plus sûr d'infecter délibérément les patients avec de très faibles doses de variole, afin d'éviter une infection "sauvage" plus grave, n'était pas exclusivement d’origine ottomane ou garamante. On trouve mention d'"insufflation" de variole – le reniflement de croûtes de variole en poudre – dans la Chine du XVIe siècle ; des récits indiens du XVIIIe siècle suggèrent que l'inoculation à l'aide d'aiguilles était déjà utilisée dans certaines parties du sous-continent depuis des centaines d'années2. La science était floue, mais l'objectif était clair et intuitif : produire une infection suffisamment bénigne pour préserver la vie du patient, mais suffisamment forte pour déclencher l'immunité.

Le début et le milieu des années 1700 ont marqué un tournant pour l'Occident anglophone. Alors que la fascination de Cotton Mather pour la variolisation s'installe dans le Nouveau Monde, l’épouse de l’ambassadeur britannique à Constantinople, Lady Mary Wortley Montagu, qui avait survécu à la variole mais en était restée partiellement défigurée, écrit dans une de ses lettres. « Je vais vous dire une chose qui, j'en suis sûre, vous fera souhaiter être ici », écrit-elle, en guise de préambule à une description de la variolisation qui, s'extasie-t-elle, rend la redoutable variole – « si mortelle et fréquente chez nous » – tout à fait « anodine » chez les Turcs. Son fils est inoculé un an plus tard. En 1721, elle ramène la variolisation dans son pays, faisant connaître cette pratique à l'aristocratie et à ses médecins. À la fin du milieu du siècle, l'inoculation de la variole était plus ou moins courante en Grande-Bretagne.

Une alternative plus sûre : la Vaccine, rencontre avec Edward Jenner

La variolisation se pratique en routine, mais cette pratique est toujours risquée. Une famille de cliniciens-scientifiques, les Sutton, mettent au point une nouvelle technique d’inoculation (en pratiquant une petite incision à l’aide d’une lancette) qui devient la pratique de référence : avec elle, le risque de décès est dix fois moindre – mais il reste toutefois élevé avec un décès sur 500 personnes ainsi traitées. En outre, chaque exposition délibérée à la matière variolique risque de déclencher une nouvelle épidémie de variole : la technique de variolisation est beaucoup plus sûre que la contagion par voie aérienne, mais elle fait appel à l'agent pathogène lui-même, intact et potentiellement mortel.

Or, il se trouve que l’agent responsable de la variole avait un ‘‘cousin’’ beaucoup plus "gentil". On ignore depuis combien de temps certains paysans éleveurs de vaches laitières avaient reconnu que l'infection par la variole bovine (cowpox en anglais) – maladie virale bénigne, courante chez les valets de ferme qui traient les vaches et se contaminent au contact des pustules des pis, contamination favorisée par la présence de coupures sur les mains – pouvait prévenir de la variole.

Par ailleurs médecins de campagne chargés des inoculations restaient parfois perplexes face à des groupes de patients sur lesquels des inoculations répétées de matière antivariolique ne réussissaient pas à faire apparaître la moindre pustule ; ils se peut qu’ils aient établi empiriquement un lien avec des épidémies antérieures de variole bovine.

C’est un médecin, Edward Jenner, qui va se charger de démêler les faits réels et les faits anecdotiques, et de faire le lien avec la variolisation. Le terme de "variole des vaches" était en fait attribué à au moins trois maladies différentes, dont deux n'offraient à la personne atteinte aucune protection future contre la variole. Jenner a appris à distinguer la "fausse variole bovine" de la maladie causée par une infection par ce qu'il a appelé "Variolae vaccinae", c’est-à-dire variole de la vache (ou vaccine). La véritable infection par la variole bovine, il a pu s'en convaincre, était corrélée à la résistance à la variole.

En 1796, une jeune trayeuse, du nom de Sarah Nelmes, présente une pustule de variole de vache si caractéristique que Jenner en fait un croquis pour l'inclure dans ses recherches. Le 14 mai, il prélève du pus sur les mains de Sarah Nelmes et l’inocule, par scarification, au fils de son jardinier , « un garçon en bonne santé, âgé d'environ huit ans », qui n’a jamais eu la variole. Une semaine plus tard, le garçon, du nom de James Phipps, développe de légers symptômes, puis se rétablit.

Jenner décrit ainsi la suite de son expérience : « Afin de vérifier si le garçon, après avoir ressenti une si légère affection du système due au virus de la variole de la vache*, était à l'abri de la contagion de la variole, on lui a inoculé le 1er juillet suivant de la matière variolique... aucune maladie ne s’est ensuivie ». Quelques mois plus tard, Jenner inocule à nouveau à Phipps du pus variolique - et là encore, le garçon ne montre aucun signe d'infection. La première vaccination de Jenner est un succès.

Jenner poursuit ses essais, le succès se confirme. En dépit de la méfiance initiale des médecins et d'une logistique délicate - ce type de vaccin ne pouvait pas être transporté, et son déploiement exigeait une course de relais de bras à bras - la vaccination se répand sur tous les continents. En 1801, Jenner pouvait écrire : « Le nombre de ceux qui ont partagé le bénéfice de l’inoculation à travers l’Europe et dans d’autres pays du globe est incalculable, et l’évidence est à présent trop grande pour nier que l’anéantissement de la variole, fléau le plus effroyable du genre humain, doit être l’aboutissement de cette pratique ».

* À l'époque, le mot "virus" désignait simplement une substance ressemblant à du pus. Le sens moderne, faisant référence à des agents infectieux submicroscopiques, et notre compréhension des virus ne sont apparus que plusieurs décennies plus tard.


1. https://www.jstor.org/stable/3491675?seq=1&cid=pdf-reference

2. Les affirmations reposant sur des traces écrites qui auraient été retrouvées dans les anciens textes védiques, selon lesquelles les racines de la vaccination seraient plus profondes, sont contestées : https://www.academia.edu/451964/_A_Pious_Fraud_The_Indian_Claims_for_pre_Jennerian_Smallpox_Vaccination

Voir également :

L’aventure de la vaccination. Sous la direction de Anne-Marie Moulin, Paris, Fayard – Penser la médecine. 1996, 498 pages.

Sur la variolisation : Inoculations, processions religieuses et quarantaines : Configurations socio-techniques des varioles en Amérique latine : fonctionnement et circulation des connaissances entre l’Europe, l’Afrique et l’Amérique au XVIIIe siècle (Revue d'anthropologie des connaissances)