Lutter contre les maladies tropicales négligées, un impératif pour l’Afrique

Les maladies tropicales négligées, fréquentes sur le continent africain, sont pourtant évitables et traitables mais continuent à manquer de financement et ne pas être incluses dans les priorités sanitaires. Elles ont aussi été particulièrement affectées par l’épidémie de COVID qui menace les progrès accomplis ces dernières années.

  • 12 décembre 2022
  • 5 min de lecture
  • par Clémence Cluzel
Dr Maïmouna Diop Ly, conseillère principale en matière de santé publique et d’assainissement à Speak Up Africa. Crédit : Dr Maïmouna Diop Ly
Dr Maïmouna Diop Ly, conseillère principale en matière de santé publique et d’assainissement à Speak Up Africa. Crédit : Dr Maïmouna Diop Ly
 

 

Les maladies tropicales négligées (MTN) touchent environ 1,5 milliard de personnes dans le monde, dont plus de 600 millions en Afrique et affectent particulièrement les communautés à faible revenus dans les régions tropicales ou subtropicales. « Elles sont en lien avec le développement socio-économique des pays », rappelle Dr Maïmouna Diop Ly, conseillère principale en matière de santé publique et d’assainissement à Speak Up Africa. 79% des pays africains sont endémiques à au moins 5 MTN. La vingtaine de MTN répertoriées par l’OMS, qui affectent particulièrement les enfants, les femmes et les personnes âgées, sont responsables de plus de 500 000 cas de décès annuels. Pourtant ces maladies sont évitables et traitables. Par manque de financement - seulement 0.6% du financement mondial des soins de santé – et de recherches scientifiques, elles continuent de tuer et causer des dommages irréversibles.

« Ces maladies concernent tous les secteurs : l’assainissement pour un environnement sain et l’accès à l’eau potable, l’éducation pour la prévention et l’adoption de bons comportements, mais aussi le changement climatique qui se répercute sur les populations et leur mode de vie. »

Des maladies diverses

« 49 Etats du continent africain sont concernés par ces affections dues à des agents pathogènes divers et représentent 42% de la charge mondiale des MTN » souligne la Dr Diop Ly. Il s’agit par exemple de l’onchocercose, la filariose lymphatique, le trachome, les schistosomiases et les géo-helminthiases. Difficultés dans la chaine d’approvisionnement avec des retards de distribution dus à la fourniture des médicaments mais aussi à l’acheminement dans les zones reculées, difficultés de stockage…autant de problématiques qui empêchent une bonne prise en charge. « Cela se répercute fortement sur la productivité et le développement de ces zones et communautés déjà touchées par la pauvreté », déplore-t-elle, en insistant sur les conséquences sanitaires, sociales et économiques désastreuses des MTN. Faute d’être traitées à temps, ces MTN sont aussi responsables de séquelles et handicaps irréversibles, tel que la cécité ou des troubles de la mobilité.

Malgré un éventail de morbidités à long terme, les MTN ne font pas parties des priorités des services de santé. A l’inverse du paludisme ou du VIH, il n’existe pas de fonds mondial dédié avec des fonds pour la recherche qui pourraient aboutir à la création d’une offre vaccinale, jusqu’à présent inexistante par manque de moyens et d’intérêt des laboratoires. Difficiles à prévenir, ces maladies nécessitent un suivi et un mapping régulier des zones endémiques pour limiter leur diffusion. Dr Diop Ly milite pour une approche multisectorielle rappelant qu’il s’agit d’une problématique transversale : « ces maladies concernent tous les secteurs : l’assainissement pour un environnement sain et l’accès à l’eau potable, l’éducation pour la prévention et l’adoption de bons comportements, mais aussi le changement climatique qui se répercute sur les populations et leur mode de vie ». Et évidement la résilience des systèmes de santé. « Dès qu’il y a une pandémie, cela se répercute sur les MTN comme ça a été le cas avec Ebola ou la COVID », rapporte Dr Diop Ly. L’épidémie de COVID-19 a mis en lumière les lacunes des systèmes sanitaires du continent.

Répercussions de la COVID et recommandations

Les grands progrès réalisés entre 2015 et 2019 avec pour objectif l’élimination et le contrôle de plusieurs MTN d’ici 2030 sont mis à mal par les répercussions de la COVID. D’après l’étude de The Lancet, intitulée « Evaluer et atténuer les effets indirects potentiels de la COVID sur les programmes de lutte contre 7 MTN » (novembre 2022), l’interruption à partir d’avril 2020 des activités de lutte contre ces MTN, tel que les enquêtes communautaires, la recherche de cas ou encore les campagnes de distribution de médicaments, ont eu une forte incidence, remettant en cause les avancées réalisées. Si les activités ont repris à partir de juillet 2021, une interruption d’un an dans une zone à forte prévalence entrainerait jusqu’à deux à trois ans de retard. La réaffectation du personnel de santé, l’arrêt des activités de suivi, les retards de fourniture de médicaments, les cycles manqués d’administrations massives de traitement, mais aussi les réticences des populations ont aussi freiné les avancées. De nombreux cas de décès indirects ont été causés par la perturbation des activités sanitaires de routine ainsi que les changements de comportement en recherche. Les conséquences pourraient s’avérer plus importantes puisque les séquelles ne sont pas apparentes avant plusieurs années…

Des stratégies existent pour atténuer ces prédictions : la planification avec l’inclusion des MTN comme maladies prioritaires, l’allocation de ressources suffisantes ainsi que des actions de plaidoyer peuvent limiter les dégâts. Des campagnes de masse fréquentes avec distribution de traitements (chimiothérapie préventive) dans les zones à forte prévalence permettraient d’atténuer les effets de la pandémie.« Nos systèmes de santé doivent être plus résilients et performants, il faut intégrer les MTN dans les stratégies de planification, mobiliser des ressources domestiques pour financer cette lutte, avoir une recherche dynamique et créer un mécanisme de coordination » détaille -t-elle, insistant sur le fait que le suivi est fondamental mais qu’il faut également renforcer les ressources humaines. Le coût des médicaments et leur disponibilité doivent également être revus. Dr Diop Ly pointe également un autre volet : la prise en charge des séquelles. « La question de la couverture sanitaire universelle se pose plus que jamais » conclut-elle.

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