Noma au Sénégal : combattre la maladie qui menace la vie des enfants vulnérables

Maladie gangréneuse de la bouche et du visage, le noma fait des ravages chez les enfants vivant dans l’extrême pauvreté, surtout en Afrique subsaharienne. Défigurés, les survivants subissent une forte stigmatisation. Pourtant, lorsqu'elle est diagnostiquée précocement, le noma peut facilement être enrayé.

  • 18 août 2023
  • 5 min de lecture
  • par Clémence Cluzel
Aisha A., une jeune survivante de 6 ans du noma,aux côtés de sa mère Hauwa dans le service postopératoire de l'Hôpital Noma de Sokoto, au Nigeria. Crédit : Fabrice Caterini/Inediz
Aisha A., une jeune survivante de 6 ans du noma,aux côtés de sa mère Hauwa dans le service postopératoire de l'Hôpital Noma de Sokoto, au Nigeria. Crédit : Fabrice Caterini/Inediz
 

 

Alors qu’il a trois ans, un abcès se forme dans la bouche de Boubacar Cissé. Malgré le suivi et les soins prodigués pendant deux ans à l’hôpital de Ziguinchor (sud du Sénégal), la maladie empire jusqu’à former un trou dans sa joue. « Les médecins de Dakar que nous avons consultés ne pouvaient pas l’opérer à cause du plateau technique pas assez performant et du manque de spécialistes », rapporte Lamine Cissé, son grand frère. L’enfant est abattu et désespéré. À cause de son trou béant et de sa mâchoire soudée, il peine à s’exprimer et à s’alimenter. Jamais scolarisé, il reste à l’écart des enfants de son âge et sort peu… Dix ans passent avant que la famille puisse enfin mettre un nom sur cette maladie : le noma.

Qu’est-ce que le noma ?

Maladie nécrosante, le noma (du terme grec qui signifie "dévorer") débute par une lésion aux gencives qui se propage rapidement, « grignotant » les tissus du visage. Présente en Afrique subsaharienne, dont le Sénégal, cette infection « est un indicatif de développement, directement lié à la pauvreté », souligne la Dr Codou Badiane, cheffe de la division santé bucco-dentaire du Ministère de la Santé et de l’Action Sociale du Sénégal. La maladie affecte les enfants de 2 à 6 ans souffrant de malnutrition, de manque d’accès aux soins, d’une mauvaise hygiène buccale, de vaccinations incomplètes voire d’absence de vaccination, et d’un système immunitaire affaibli. « Les gens meurent du noma parce que les connaissances sur la maladie et la manière de la détecter sont limitées.

Il n'existe aucune autre maladie infectieuse qui tue autant de personnes, aussi rapidement », déplore Mark Sherlock, conseiller sanitaire chez Médecins Sans Frontières (MSF) pour le Nigeria. Jusqu’à 90 % des enfants atteints du noma décèdent dans les deux premières semaines en l’absence de tout traitement antibiotique. Cela alors même que si la détection se fait précocement, la maladie peut rapidement être stoppée. « L’inflammation peut être prise en charge avec des soins de santé primaires comme la prise d’antibiotiques, peu coûteux et disponibles dans les districts de santé. Au Sénégal, un programme de protection sanitaire permet l’accès gratuit aux soins et médicaments jusqu’à 5 ans », développe la Dr Badiane.

La maladie affecte les enfants de 2 à 6 ans souffrant de malnutrition, de manque d’accès aux soins, d’une mauvaise hygiène buccale, de vaccinations incomplètes voire d’absence de vaccination, et d’un système immunitaire affaibli.

La maladie laisse aussi de graves séquelles fonctionnelles – manger, parler et respirer devient difficile – mais aussi esthétiques. Défiguré, le visage des survivants nécessite une chirurgie reconstructrice, très coûteuse. « Les survivants vivent avec de terribles lésions défigurantes, handicapantes, et doivent faire face à la stigmatisation, faute de prise en charge rapide », appuie la Dr Badiane.

Rabiu, un survivant du noma âgé de 20 ans et originaire de Raba, dans l'État de Sokoto au Nigeria, joue aux fléchettes dans la cour de l'Hôpital Noma de Sokoto. "C'est la première fois que je viens dans cet hôpital. Au début, j'ai refusé, mais ma grande sœur m'a poussé et m'a amené ici", explique-t-il. Il est venu avec son frère Bello, qui se souvient : "Il a commencé à prendre des remèdes à base de plantes à la maison. Son visage avait un furoncle, et un morceau de métal chauffé a été utilisé pour percer le furoncle. La plaie a été retirée et a guéri. Deux autres sont apparus et la même chose a été faite." Nous sommes le 4 mai 2023.
Rabiu, un survivant du noma âgé de 20 ans et originaire de Raba, dans l'État de Sokoto au Nigeria, joue aux fléchettes dans la cour de l'Hôpital Noma de Sokoto. 
Crédit : Fabrice Caterini/Inediz 

Si le plateau technique et le personnel qualifié pour ces reconstructions font défaut au Sénégal, des centres de prise en charge du noma existent au Niger, au Burkina Faso, au Nigéria (MSF a ouvert un centre à Sokoto) et en Guinée-Bissau. C’est dans ce dernier que Boubacar Cissé a pu être opéré grâce à un mécénat instauré par l’ONG allemande Hilfsaktion Noma e.v. depuis 2012. « L’opération a changé son visage et sa vie. Il a retrouvé une vie sociale », applaudit Lamine Cissé en parlant de son frère désormais âgé de 21 ans. Depuis 2018, le ministère de l’Action Sociale et de la Santé sénégalais accompagne une douzaine de malades par an dans la prise en charge sanitaire.

Renforcer, prévenir et sensibiliser

Problème de santé publique depuis 1994 selon l’OMS, un programme de lutte contre le noma a été instauré au Sénégal avec l’adoption d’un plan d’action annuel dès 2006, axé sur la formation, la sensibilisation des populations et des professionnels de santé, la recherche et l’accompagnement des malades. « Les signes de la maladie étaient connus mais pas le nom. Les capacités des professionnels mais aussi des acteurs communautaires en contact direct avec les communautés isolées devaient être renforcées », soutient Dr Badiane. Si les mentalités évoluent, certains continuent encore d’associer cette maladie bactérienne infectieuse à de la sorcellerie.

Selon l’OMS, 140 000 nouveaux cas sont estimés annuellement dans le monde. Mais ce chiffre datant de 1998 est loin de refléter la réalité et souligne surtout le peu d’intérêt pour cette maladie. « Nous avons besoin de chiffres pour constater l’ampleur du noma dans le pays et ne pas piloter à vide. Nous nous sommes aperçus que les zones de forte prévalence coïncidaient avec celles de malnutrition sévère au centre, au Nord (Matam) et au Sud (Kolda, Sedhiou, Tambacounda) du pays », plaide Dr Codou Badiane. En 2000, une centaine de cas a été recensée au Sénégal.

À la demande du Nigéria où la maladie est endémique, soutenue par MSF et 31 pays, une demande d’inscription du noma parmi les maladies tropicales négligées (MTN) a été entreprise. « Il faut renforcer la recherche car beaucoup d’incertitudes sur le noma demeurent, jusqu’à son origine même. En comprenant mieux la maladie, on pourrait mieux la combattre », souligne le Dr Vincent Dossou Sodjinou, représentant par intérim de l’OMS au Sénégal qui appelle à un renforcement des programmes nationaux de santé bucco-dentaire, ainsi qu'à la couverture de santé universelle. Toujours très impliqué pour faire connaître le noma, Lamine s’est donné une nouvelle mission : créer une association de soutien et d’aide aux malades et à leur famille.


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