Le Kenya se prépare pour la prochaine pandémie

Entre difficultés de recrutement et prix des machines, la première usine de fabrication de vaccins du pays d’Afrique de l’Est voit doucement le jour. Dans le viseur du gouvernement : l’indépendance sanitaire, la réduction des frais liés à l’importation des produits de santé et la création d’emplois en devenant un hub biotechnique pour la région.

  • 22 septembre 2023
  • 6 min de lecture
  • par Claudia Lacave
Michael Lusiola, directeur général de Biovax. Crédit : Claudia Lacave / Hans Lucas
Michael Lusiola, directeur général de Biovax. Crédit : Claudia Lacave / Hans Lucas
 

 

La COVID-19 a eu cela de bon qu’il a révélé la dangereuse inégalité de production des produits de santé à travers le monde et notamment, des vaccins. En Afrique, la part de la population ayant reçu deux doses contre la maladie est estimée à 51,8% et la pandémie a été ponctuée par des demandes d’approvisionnement désespérées, d’où la création du dispositif COVAX.

Le constat a poussé plusieurs pays du continent à réagir et à construire leur propre capacité industrielle vaccinale, comme le Kenya. Biovax est une entreprise d’Etat dont le mandat est de fabriquer et commercialiser des vaccins, des produits thérapeutiques et de diagnostic. Michael Lusiola, son directeur général depuis juin 2022, était précédemment directeur Recherche et Développement en immuno-oncologie pour le laboratoire britannique AstraZeneca. Il revient depuis Nairobi sur l’importance d’un tel projet et les défis auxquels il fait face.

Biovax a été lancée en septembre 2021. Où en est-on aujourd’hui ?

Nous serons prêts aux alentours de 2025-2026. Pour le moment, nous sommes en train d'aménager les locaux. Nous possédons tous les entrepôts qui vont jusqu’à la route, un total de 20 000 m², mais nous commençons par une première installation de production de 5 000 m² de remplissage et finition.

Cela met du temps pour obtenir les machines et les équipements mais nous avons mis en place une stratégie pour assurer notre approvisionnement au fur et à mesure que nous nous développons.

Une usine de remplissage et finition, qui consiste à préparer les doses de vaccin à partir de volumes de solution chimique, nécessite tout de même un approvisionnement en produits primaires. Est-ce que cela va résoudre le problème des pénuries en cas de crise sanitaire mondiale ?

L'un des problèmes rencontrés pendant la pandémie de COVID-19 est que les grands fabricants disposaient des formulations [ensemble d'un ou plusieurs principes actifs et d'excipients qui entrent dans la composition du médicament], mais qu'ils n'avaient pas la capacité de les mettre en flacon sur le continent. AstraZeneca avait par exemple de grands volumes en vrac mais l’entreprise a dû chercher beaucoup de nouveaux contrats avec des organismes de remplissage et finition.

« Avoir la capacité de produire le sérum pour la prochaine pandémie, d’adapter les machines en cas de nouvelle crise, est une priorité. »

C'est une partie du problème. Bien sûr, nous devons créer des formulations ici, c'est ce qu'on appelle les activités en amont. Mais parce que nous n’avons jamais fait cela, nous voulons commencer avec les activités d’aval avant de développer des compétences.

Entre 80% et 94% des médicaments et produits pharmaceutiques en Afrique sont importés ; ce ratio est de 70% pour le Kenya. En quoi est-ce important de produire localement ?

Nous sommes particulièrement conscients de la fin du programme d’immunisation de Gavi en 2027. C’est pourquoi le gouvernement est très favorable à renforcer les capacités internes pour que, quand Gavi se retirera, nous ayons mis en place un plan.

Bien sûr, il est question de pandémies, de prévention, de réaction et de renforcement de la résilience du système de santé. Ainsi, lorsque la prochaine maladie surviendra, nous aurons au moins quelque chose sur place au Kenya, en Afrique de l'Est. D’autres pays africains font pareil, avec par exemple l’Institut Pasteur au Sénégal, ou Biovac en Afrique du Sud.

Le premier entrepôt de Biovax, qui accueillera la production d'ici 2025-2026.
Crédit : Claudia Lacave / Hans Lucas

Quand on parle de couverture sanitaire universelle, cela signifie être autonome en matière de vaccins pour les programmes de primo-vaccination, être en mesure d'assurer la sécurité des produits de santé, avoir accès à des médicaments abordables et de haute qualité pour l'ensemble de la population. Ensuite, la bio fabrication et la création de cette expertise sur le continent permettent aussi de contrôler les dépenses de santé car vous n’êtes plus dépendant des importations et cela offre des possibilités d'emploi. Donc ce qui est important pour l’Afrique, ce sont ces trois aspects : les soins de santé, l'industrie manufacturière locale et la biotechnologie.

Le ministère de la Santé avait annoncé un début de production au printemps 2022. Quels ont été et quels sont encore les défis ?

Il peut y avoir beaucoup de raisons à ce délai, comme une simple question de planification, de recherche de soutiens financiers ou d'assistance. Il peut s'agir de développer des collaborations avec des partenaires également, toutes ces choses demandent du temps.

Aujourd’hui nous avons trois principaux défis : financiers, techniques et légaux. Il est très coûteux d'installer les machines et les équipements mais nous avons la chance que le gouvernement nous soutienne et il veille de près à ce que nous soyons financés par d’autres partenaires de développement. Ensuite, en matière de compétences et de capacités techniques, nous avons des défis d’amélioration des compétences et de développement de la main-d'œuvre dans la fabrication des vaccins, le processus lui-même est très complexe.

Ces techniciens sont disponibles localement mais difficiles à trouver. Ils peuvent être occupés ailleurs, à l’Institut de recherche médicale du Kenya (KEMRI) par exemple. Pour l'instant, nous formons, nous recrutons, nous développons l'organisation pour qu'il n'y ait pas seulement les machines, mais aussi les personnes qui les utilisent. Nous travaillons avec d’importants acteurs dans la formation comme l’Institut international des vaccins (IVI) en Corée du Sud et le programme de transfert de technologie de l'OMS géré par Afrigen en Afrique du Sud.

La dernière partie concerne les exigences réglementaires car les vaccins nécessitent un niveau de standards très élevé. Nous travaillons avec le laboratoire Moderna, qui installe sa propre usine de fabrication au Kenya, à l’établissement d’un écosystème local de production. Nous voulons que nos installations soient conformes aux Bonnes pratiques de fabrication (BPF) de la Commission européenne.

Quels seront les produits prioritaires de l’usine ?

Nous voulons investir dans le développement des vaccins contre la pneumonie, grippe, diphtérie, coqueluche, tétanos et hépatite, pour les programmes de vaccination primaire. L’OMS recommande 11 injections pour l'immunisation des enfants et des mères dans la région. Nous ne pourrons peut-être pas les réaliser tous, mais nous en réaliserons quelques-uns. Ensuite celui contre les virus HPV, pour prévenir les cancers du col de l'utérus chez les adolescentes. À l’avenir nous serons en mesure de réaliser ceux contre la COVID-19, le paludisme, le VIH et la tuberculose, mais pas en premier lieu.

Quels succès avez-vous obtenus et quels défis rencontrez-vous dans l'accomplissement de votre mission ?

En ce qui concerne les succès, les personnes sensibilisées me demandent de leur indiquer l'adresse du centre de vaccination le plus proche afin qu'elles puissent recevoir leurs doses. Les indécis souhaitent se faire vacciner seulement après avoir été sensibilisés. Beaucoup ignoraient les avantages d'être complètement vaccinés. Les sensibilisations leur ont apporté les informations nécessaires.

Le vaccin contre la COVID n’est pas une priorité, mais celui contre la maladie X, l’est. Avoir la capacité de produire le sérum pour la prochaine pandémie, d’adapter les machines en cas de nouvelle crise, est une priorité. Nous voulons aussi fabriquer d’autres produits médicaux comme de l’insuline, des anticorps monoclonaux, des anti-venins et des kits de diagnostic pour différentes maladies. Ils ne sont pas fabriqués au Kenya pour le moment, mais le KEMRI effectue des recherches sur bon nombre de ces produits. Nous pourrons ainsi industrialiser les recherches locales.


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