Inondations et insurrection armée n'entravent pas les vaccinateurs dans l’État du Sud-Ouest de la Somalie

Des inondations soudaines ont brièvement interrompu la campagne de vaccination dans certaines parties de l’État du Sud-Ouest de la Somalie. Cependant, grâce à un partenariat spécialisé, la campagne a pu se poursuivre. Voici comment cela a été rendu possible.

  • 18 octobre 2024
  • 6 min de lecture
  • par Chantal McGill ,   Liban Ahmed Sharif ,   George Njenga
L'équipe de sensibilisation READO se tient à l'extérieur du centre communautaire du camp de personnes déplacées de Walaag 1, après avoir terminé la séance de vaccination de ce jour-là. De gauche à droite : Adan Abdirahman Mohamed, Mustaf Hassan Ali, Alinur Yacqub Ibrahim, Ubah Abdulahi Ali, Fadumo Mukhtar Adan et Abdibasid Abdisamad Mohamed.
L'équipe de sensibilisation READO se tient à l'extérieur du centre communautaire du camp de personnes déplacées de Walaag 1, après avoir terminé la séance de vaccination de ce jour-là. De gauche à droite : Adan Abdirahman Mohamed, Mustaf Hassan Ali, Alinur Yacqub Ibrahim, Ubah Abdulahi Ali, Fadumo Mukhtar Adan et Abdibasid Abdisamad Mohamed.
 

 

« Les inondations ont été dévastatrices », se remémore Mustaf Abuka Adan, mobilisateur communautaire pour la vaccination dans cette région. « Je me souviens avoir dû traverser des eaux jusqu’aux genoux juste pour atteindre certains foyers. »

Après une sécheresse historique, la plus grave que la Somalie ait connue depuis des décennies, le sol sec et dur a été balayé par la saison Deyr, la deuxième saison des pluies qui dure d'octobre à décembre, en octobre 2023, provoquant de nouvelles catastrophes. À la fin novembre, les inondations soudaines avaient forcé 750 000 personnes à quitter leurs habitations. Déjà fragilisé par un conflit prolongé, le pays faisait face à une insécurité alimentaire endémique, aggravée par cette nouvelle crise. L’OCHA, l’agence de l'ONU, estime désormais que d'ici juillet 2024, 1,5 million d’enfants de moins de cinq ans seront confrontés à une malnutrition aiguë.

Ces inondations, couplées à la malnutrition, ont accru les risques d’épidémies, rendant la livraison des vaccins aux familles d’autant plus cruciale. « C’était épuisant, mais nous savions que les enfants avaient un besoin urgent de ces vaccins. Malgré les difficultés, voir le soulagement sur les visages des parents à notre arrivée justifiait tous nos efforts », explique Adan, qui travaille avec le programme REACH, dirigé par le Comité International de Secours et financé par Gavi.

 

Zainab Ali holds her grandchild after he received his vaccination. Credit: Gavi/2024/Mohamed Abdihakim Ali
Zainab Ali tient son petit-fils dans ses bras après qu'il ait été vacciné. Crédit : Gavi/2024/Mohamed Abdihakim Ali

Vacciner en période de polycrises

Depuis 2022, dans le cadre d'une initiative ambitieuse pour garantir l’accès aux vaccins dans les zones en conflit ou en crise, REACH s'appuie sur une approche décentralisée. Le programme fait appel à des partenaires locaux, dotés de l'expertise nécessaire pour mener des campagnes de vaccination dans certains des contextes les plus complexes au monde.

L’État du Sud-Ouest de la Somalie en fait partie. Le conflit prolongé entre des groupes armés non étatiques y a empêché le gouvernement de fournir des services de santé essentiels, notamment la vaccination, à certaines communautés. Les déplacements sont souvent limités, et les attaques de groupes armés restent une menace constante. En somme, les inondations de Deyr – loin d’être le seul désastre naturel à frapper le pays récemment – n’ont fait qu’aggraver une situation déjà très difficile.

Néanmoins, en novembre et décembre 2023, deux partenaires de REACH ont réussi à surmonter ces défis dans le cadre d’une campagne de vaccination de rattrapage, atteignant et même dépassant leurs objectifs de vaccination.

QUI : GREDO (Gargaar Relief Development Organization), partenaire de REACH
OÙ : Bardale, Burhakaba, Dinsor, Elbarde, Yeed
QUAND : Novembre 2023
QUELS VACCINS ? 4 191 doses de la première dose du vaccin pentavalent (qui protège contre la diphtérie, le tétanos, la coqueluche, l'hépatite B et Haemophilus influenzae de type b), appelé Penta 1 ; 2 987 doses de Penta 3 ; 3 549 doses de la première dose du vaccin contre la rougeole (MCV1) ; 1 097 doses de MCV2.

 

READO staff navigate through Walaag 1 IDP camp on their way to the outreach facility to begin the vaccination process. Credit: Gavi/2024/Mohamed Abdihakim Ali
Le personnel de READO traverse le camp de déplacés de Walaag 1 en route vers le centre de vaccination pour commencer le processus de vaccination. Crédit : Gavi/2024/Mohamed Abdihakim Ali

 

QUI : READO (Rural Education and Agricultural Development Organization), partenaire de REACH
OÙ : Baidoa (111 % de l'objectif atteint) ; Awdinle (198 % de l'objectif atteint) ; Hudur (125 % de l'objectif atteint)
QUAND : D'octobre à décembre 2024
QUELS VACCINS ? 6 289 doses de Penta 1; 6 106 doses de Penta 3
5 809 doses de vaccin contre la rougeole

Comment s’organiser

Collecte d’informations : Dès le début du mois d’août 2023, la Somali Water and Land Information Management avait émis un avertissement d’inondation au groupe de santé humanitaire de l’OMS, basé sur des prévisions météorologiques. Ces prévisions annonçaient un niveau de destruction lié aux inondations jamais observé depuis 1997.

En réponse, REACH a collaboré avec le groupe de santé humanitaire, le bureau somalien des affaires humanitaires, le ministère de la Santé et les leaders communautaires pour évaluer la situation. Ensemble, ils ont élaboré un plan de gestion des risques avec leurs partenaires locaux, notamment READO, GREDO et SHACDO (Shabelle Community Development Organization), pour assurer la continuité des services de vaccination.

Une bonne préparation, clé du succès : La coordination, le prépositionnement des fournitures et la mobilisation communautaire ont joué un rôle crucial dans la résilience des services de vaccination face aux perturbations.

Grâce à diverses activités de préparation, REACH a pu poursuivre ses efforts de vaccination, même dans les zones les plus touchées par les inondations :

  • Coordination avec le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations Unies (OCHA) et le Programme alimentaire mondial (PAM) pour acquérir des fournitures destinées à des cliniques mobiles supplémentaires.
  • Prépositionnement stratégique des fournitures de vaccination et des équipements médicaux essentiels dans des zones en altitude pour échapper aux inondations.
  • Renforcement de la chaîne du froid : REACH a acheté et déployé des réfrigérateurs/congélateurs solaires à entraînement direct afin de garantir la viabilité des vaccins pendant le stockage et le transport, en collaboration avec les agences somaliennes de gestion de la chaîne du froid.
  • Mobilisation de véhicules adaptés : Des véhicules tout-terrain supplémentaires ont été mis en service, capables de circuler sur des terrains inondés pour transporter les fournitures et aider les communautés vulnérables.
  • Sensibilisation communautaire : Des campagnes de sensibilisation, comprenant des séances d'éducation sanitaire, des réunions communautaires, des campagnes de porte-à-porte et des messages radio, ont été organisées pour informer les parents et les soignants des risques d’inondation et des nouveaux emplacements des cliniques mobiles. « Il était crucial de garder les communautés informées, surtout lorsque nous devions changer les lieux habituels de vaccination », explique Adan, mobilisateur communautaire. « Nous avons énormément compté sur les leaders locaux et les émissions de radio pour transmettre l'information, permettant ainsi aux familles de savoir où et quand amener leurs enfants pour se faire vacciner. »

Mise en œuvre du plan : Les inondations ont causé d’importantes destructions dans les zones d’intervention de REACH, endommageant des infrastructures clés telles que les routes, les ponts et les établissements de santé. La situation, déjà grave à cause de la sécheresse prolongée, a encore été exacerbée, aggravant l’insécurité alimentaire et forçant de nombreux déplacements.

« Lorsque les inondations ont commencé, nous avons reçu des instructions pour modifier nos itinéraires et horaires habituels car de nombreuses routes étaient devenues impraticables », explique Adan. « Nous avons dû nous adapter rapidement, trouver des itinéraires alternatifs, et parfois même utiliser des bateaux pour atteindre les zones les plus isolées. »

A child, held by his mother Amino Sidow, watches as the vaccinator prepares a dose. Credit: Gavi/2024/Mohamed Abdihakim Ali
Un enfant, tenu par sa mère Amino Sidow, regarde le vaccinateur préparer une dose. Crédit : Gavi/2024/Mohamed Abdihakim Ali

La sécurité a constitué une préoccupation majeure pendant cette période. « Dans certaines zones, nous avons dû obtenir une autorisation spéciale des autorités locales pour y pénétrer, car elles s’inquiétaient pour notre sécurité ainsi que du risque de propagation des maladies. Nous nous sommes également coordonnés étroitement avec d’autres organisations humanitaires pour éviter les doublons. Les inondations ont accentué les risques, notamment à travers les maladies d’origine hydrique et des structures instables. La contamination des sources d’eau a encore aggravé la situation, avec des épidémies de diarrhée aqueuse aiguë et de paludisme qui ont émergé. »

Dans certains cas, la décision la plus prudente était de faire une pause. En octobre, lorsque les inondations soudaines ont débuté, les activités de vaccination de REACH ont été suspendues pendant deux semaines dans certaines zones, tandis qu’elles se sont poursuivies dans d’autres, tout au long de la crise. REACH attribue sa capacité à maintenir des services de vaccination complets dans les zones d’intervention aux initiatives suivantes :

  • Une coordination continue avec le groupe de santé de l’OMS et l’UNICEF, permettant un accès régulier aux fournitures de vaccination.
  • La mise en place d’un système de protocole classifié pour identifier les sites et lieux sécurisés – cartographiant les itinéraires, distances, et chemins jusqu’aux endroits sûrs les plus proches, ainsi que les types d’assistance disponibles. Ce protocole a permis de connecter le personnel de REACH et les communautés aux services essentiels et à la sécurité.
  • La distribution d’une aide financière inconditionnelle et de kits d’hygiène, en complément de la vaccination, pour aider les ménages les plus vulnérables.
  • L’offre de soins de santé primaires en parallèle de la vaccination a renforcé la qualité globale des services de santé. Dans certaines zones, le personnel de première ligne de REACH a fourni des soins médicaux essentiels via son partenaire local SHACDO. Dans d'autres, il a collaboré avec d’autres ONG pour offrir des services sur les mêmes sites via son partenaire local READO.

Liban Ahmed Sharif, coordinateur du projet REACH en Somalie, a déclaré que cette expérience au sein du ZIP, partenariat humanitaire de Gavi, démontre la faisabilité d'une vaccination complète en situation de crise humanitaire, même en cas de chocs supplémentaires. Il s’agit d’un modèle viable pour assurer la continuité des services de vaccination dans d’autres contextes de crise.


Auteurs

Chantal McGill 
Cheffe de projet et d’apprentissage, CORE Group

Liban Ahmed Sharif 
Coordonnateur du projet REACH Somalie, International Rescue Committee

George Njenga
Coordonnateur principal de la communication, du plaidoyer et des politiques de REACH, International Rescue Committee