LES EFFORTS DE L’ÉTHIOPIE POUR ATTEINDRE CHAQUE ENFANT NÉCESSITENT DE TRANSFORMER LA CULTURE DES CHIFFRES

Sœur Sofia Benti commence par vérifier les dates de naissance des enfants et celles de leurs derniers vaccins lors des séances de vaccination dans les communautés d’éleveurs de la région aride d’Afar en Éthiopie.

Pourtant, à mesure que la Sœur se rend dans les tentes des éleveurs éparpillées à travers les plaines poussiéreuses où l’on aperçoit çà et là des bovins, il est rare que les réponses fassent une addition juste.

Semeli Basule pense que l’aîné Sami Hassan a reçu tous ses vaccins. Elema, six mois, a besoin d’autres vaccins, selon elle.

Malheureusement, les fiches de vaccination des deux enfants ont été égarées.

« Nous sommes sûrs qu’Elema a été vaccinée », précise Sœur Benti, responsable de la vaccination dans le woreda* d’Awash Fentale, « Le problème est que, sans fiche, nous ignorons combien de vaccins Sami a reçu. »

Un obstacle décourageant

Les communautés d’éleveurs d’Afar attachent de l’importance aux êtres vivants, et c’est en raison même de cette valeur qu’ils répugnent à révéler leur existence en les comptant. Ainsi, ils ne révèlent pas le nombre de chèvres, de bovins et de chameaux de leurs troupeaux, ne notent pas les dates de naissance et n’ont qu’une idée approximative de leur âge et de celui de leurs enfants.

Pour les agents de santé qui, à l’instar de Sœur Benti, sont déterminés à immuniser les enfants éthiopiens, cet obstacle peut se révéler décourageant.

Malgré une réticence face à la numération, un chiffre est parlant. Aux derniers enregistrements, seuls 23 % des enfants d’Afar avaient été vaccinés contre la diphthérie, le tétanos et la coqueluche – nous sommes loin du taux de couverture de 84 % atteint dans la capitale de la nation, Addis-Abeba.

Des actions deux jours par mois

Le Gouvernement éthiopien reconnait que les programmes de terrain réguliers comme celui d’aujourd’hui constituent le seul moyen d’améliorer les taux de vaccination parmi les enfants des communautés pastorales.

La venue de Sœur Sofia à Mirahot s’inscrit dans le cadre d’activités organisées deux jours par mois au cours desquels infirmières et agents de vulgarisation sanitaire essaieront de vacciner le plus grand nombre possible d’enfants vivant dans les sept kebeles ruraux d’Awash Fentale.

Les programmes comprennent l’acheminement des vaccins par automobile ou par moto au départ et à destination des cliniques éloignées qui disposent de réfrigérateurs pour le stockage des vaccins.

Afin de veiller à ce que les chiffres soient les plus justes possibles, ces programmes nécessitent également de suivre les familles pastorales qui peuvent se déplacer jusqu’à deux fois par an en quête d’eau ou de pâturage.

Campagnes de sensibilisation

Il y a dix ans, il ne suffisait pas de trouver des familles. Sœur Amelework Eshetu devait convaincre les parents que la vaccination n’était pas une forme de contraception – une menace terrible pour la population d’Afar qui espère avoir autant d’enfants que possible afin de les protéger contre des conditions de vie difficiles.

Sœur Eshetu se souvient avoir été chassée d’une famille sous la menace d’un revolver. Elle est parvenue à se rendre chez les voisins de la famille et leur a demandé de convaincre le père de laisser vacciner sa femme enceinte contre le tétanos. Ce vaccin permettrait ainsi d’éviter une maladie mortelle chez le bébé à naître.

Grâce aux campagnes de sensibilisation et aux efforts des agents de vulgarisation sanitaire recrutés dans leur communauté, l’hostilité à l’égard de la vaccination a considérablement diminué à Afar. On constate maintenant une amélioration de l’accès à des données exactes sur la population et les soins de santé.

Contrairement à la population qu’ils desservent, les agents de terrain chargés de la vaccination ne sont pas contre le dénombrement. Grâce à la connaissance approfondie de la communauté, ceux-ci estiment à environ 500 le nombre d’enfants de moins de 12 mois à Awash Fentale. Ils espèrent en immuniser totalement 420 cette année.

*Un woreda est une subdivision administrative de troisième niveau en Éthiopie. Les woredas se composent de plusieurs divisions (kebele), ou associations de quartier, qui sont la plus petite unité de gouvernement local en Éthiopie.

Soeur Sofia se rend à Mirahot pour immuniser le plus grand nombre possible d'enfants à vacciner dans les sept kébélés ruraux

Sister Sofia Benti

 

NOM : Sœur Sofia Benti
PROFESSION: infirmière responsable de la vaccination dans le woreda* d’Awash Fentale
EXPÉRIENCE: campagne de deux jours par mois pour immuniser le plus grand nombre possible d’enfants à vacciner vivant dans les sept kebeles ruraux d’Awash Fentale. Il est nécessaire pour cela de suivre les familles pastorales qui peuvent se déplacer jusqu’à deux par ans en quête d’eau et de pâturages.
PRINCIPAL DÉFI : établir des calendriers de vaccination dans les communautés d’éleveurs de la région d’Afar, où les parents n’ont qu’une idée approximative de leur âge et de celui de leurs enfants.
LIEU : woreda* Awash Fentale
POPULATION: 16,600 habitants

Kenya

Points forts

Le Gouvernement s’est fermement engagé à améliorer la couverture vaccinale après une enquête récente montrant que les chiffres sont plus bas que ceux relevés auparavant.

Points faibles

De fortes disparités entre zones urbaines et rurales quant à l’accès global aux soins de santé ; population très diverse, plus de 80 langues parlées ; faible niveau d’instruction.

Résumé

En Éthiopie rurale, compter les vies équivaut à révéler leur existence, c’est pourquoi les communautés n’ont qu’une idée approximative de l’âge de leurs enfants. Pour ceux qui sont déterminés à immuniser les enfants éthiopiens, cet obstacle peut se révéler décourageant.

Les agents de terrain à l’instar de Sœur Sofia Benti dans l’État d’Afar – recrutée dans le cadre d’une nouvelle initiative du gouvernement visant à élargir la vaccination dans les communautés d’éleveurs – trouvent des moyens de faire évoluer cette vision des nombres afin d’atteindre chaque enfant.

Points forts

Le Gouvernement s’est fermement engagé à améliorer la couverture vaccinale après une enquête récente montrant que les chiffres sont plus bas que ceux relevés auparavant.

Points faibles

De fortes disparités entre zones urbaines et rurales quant à l’accès global aux soins de santé ; population très diverse, plus de 80 langues parlées ; faible niveau d’instruction.

Résumé

En Éthiopie rurale, compter les vies équivaut à révéler leur existence, c’est pourquoi les communautés n’ont qu’une idée approximative de l’âge de leurs enfants. Pour ceux qui sont déterminés à immuniser les enfants éthiopiens, cet obstacle peut se révéler décourageant.

Les agents de terrain à l’instar de Sœur Sofia Benti dans l’État d’Afar – recrutée dans le cadre d’une nouvelle initiative du gouvernement visant à élargir la vaccination dans les communautés d’éleveurs – trouvent des moyens de faire évoluer cette vision des nombres afin d’atteindre chaque enfant.

Questions&Réponses

Dr Kurkie Abdissa, Directeur de la promotion de la santé urbaine et de la prévention des maladies et Coordinateur national de la santé maternelle et infantile et des services de vaccination en Éthiopie

Q Suite à une révision récente du Gouvernement éthiopien et des partenaires, les chiffres de la couverture vaccinale passent de 80 à 65,7 %. Quelles répercussions ce changement a-t-il eu sur le système de santé ?

Dr Abdissa: dès que nous avons pris conscience de la faible couverture – après l’étude que vous avez mentionnée et aussi du fait de l’émergence de flambées épidémiques, une autre preuve – nous avons redynamisé l’ensemble de notre programme de vaccination du niveau central aux niveaux régional, du woreda* et même du kebele*. Nous améliorons également le système de la chaîne du froid à mesure que nous introduisons de nouveaux vaccins.

L’Éthiopie est un grand pays ayant une population très diverse et des problèmes géographiques mais aussi d’équité. Certaines zones et régions avaient une faible couverture. Il fallait donc construire davantage d’hôpitaux, de cliniques, de centres de santé, les équiper ensuite en matériel médical et en fournitures, puis former notre personnel.
 

Nous sommes maintenant dotés d’un type de structure très exemplaire, et chaque kebele dispose de deux femmes agents de vulgarisation sanitaire – des femmes recrutées au niveau local et reliées à leur communauté par une langue et une culture communes. Cette équipe dédiée à la santé constitue un dispositif très important pour lever les obstacles liés à la culture, aux normes et aux valeurs sur le plan de la demande.

Q la couverture est beaucoup plus faible dans les zones rurales que dans les zones urbaines et plus faible encore dans les zones où vivent des éleveurs. Comment le Ministère de la santé comble-t-il cet écart ?

Dr Abdissa: notre politique s’inscrit dans le cadre d’un engagement à atteindre des communautés auparavant non desservies en Éthiopie par un système décentralisé. L’Éthiopie se divise en États et en régions qui à leur niveau sont en mesure de remédier au problème d’équité. Nous fournissons à ces régions une assistance spéciale de façon que celles-ci recrutent leurs agents de vulgarisation sanitaire, construisent leurs systèmes de santé et améliorent leur participation au système de santé national.

Nous avons mis au point une démarche spéciale pour les régions pastorales : nous utilisons non seulement des postes permanents mais aussi un service mobile. Ce système convient mieux, car certaines communautés pastorales se déplacent à chaque saison, et il faut donc les suivre et s’assurer que les enfants reçoivent les antigènes dont ils ont besoin.

Nous avons élaboré une autre procédure, la planification au niveau du woreda, afin de remédier au problème d’équité. Les représentants du woreda s’asseyent pour débattre et s’accorder sur les mesures à prendre l’année suivante. Par conséquent, le conseil du kebele ou division a la possibilité de s’asseoir avec les membres des bureaux de la santé pour débattre et se mettre d’accord sur les objectifs, veillant ainsi à la suffisance du budget alloué.

Q Comment les vaccins sont-ils acheminés du Ministère de la santé aux kebele les plus reculés ?

Dr Abdissa: notre Agence d’approvisionnement en produits pharmaceutiques (AAPP), branche du Ministère, possède une plate-forme centrale et dix-sept plates-formes régionales. L’Agence distribue les vaccins et veille au bon déroulement du système de la chaîne du froid, des plates-formes nationales aux plates-formes centrales et régionales, et des plates-formes régionales aux woredas. Nous établissons une liste des woredas et des enfants à vacciner que nous lui donnons. Celle-ci distribue ensuite les vaccins et d’autres fournitures – si le vaccin est injectable, un réceptacle de sécurité, une seringue et des lignes directrices sont fournis. Voilà comment nous sommes en mesure de distribuer les vaccins dans tout le pays.

Q Quelle contribution à la vaccination GAVI Alliance a-t-elle apportée en Éthiopie ?

Dr Abdissa: GAVI est l’un des exemples les plus merveilleux de partenariat public-privé innovant. Son aide en faveur de l’Éthiopie est énorme, en particulier l’aide que nous avons reçue pour introduire de nouveaux vaccins – des vaccins d’importance vitale comme le DTC3 (diphthérie-tétanos-coqueluche), le pentavalent et celui contre le pneumocoque.

Il y a également un nouveau type de soutien que nous avons reçu cette année – un soutien destiné aux activités de vaccination supplémentaires. Si la couverture vaccinale diminue, nous pouvons dorénavant l’accroître par une campagne. Le soutien global de GAVI nous aide à sauver des vies.

Q Quels nouveaux vaccins GAVI aide-t-elle l’Éthiopie à introduire ?

Dr Abdissa: Nous prévoyons d’introduire le vaccin antirotavirus et de mener une campagne contre la méningite A avant la fin de l’année. La diarrhée est potentiellement mortelle chez les bébés et les très jeunes enfants ; le rotavirus provoque 30 à 40 % des cas de diarrhée.

*Un woreda est une subdivision administrative de troisième niveau en Éthiopie. Les woredas se composent de plusieurs divisions (kebele), ou associations de quartier, qui sont la plus petite unité de gouvernement local en Éthiopie.

Last updated: 24 Nov 2019

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