Ralentie par la pandémie, la lutte contre la tuberculose s’intensifie au Cameroun

Le ministre de la Santé du pays a déclaré que le moment est venu de se consacrer à nouveau à la lutte contre la tuberculose, avec le contrôle progressif de l’évolution de la pandémie de COVID-19. Avec l’appui des agents de relais communautaires, cette opération se déploie dans un contexte marqué d’inquiétudes. Le ministre de la santé publique redoute la duplication des 22 000 cas de tuberculose existants.

  • 12 mai 2022
  • 6 min de lecture
  • par Nalova Akua
Damien Tekou dans un laboratoire de référence pour déposer les échantillons. Crédit: Damien Tekou
Damien Tekou dans un laboratoire de référence pour déposer les échantillons. Crédit: Damien Tekou
 

 

Les héros méconnus de la lutte contre la tuberculose

Les activités quotidiennes de Damien Tekou, 38 ans, commencent à 7h30 du lundi au vendredi. Après avoir mis son casque et un badge, Tekou attache une glacière à sa moto, puis se met au travail. Il le fait depuis 2016. Tekou est motocycliste à Douala, capitale de la région du Littoral au Cameroun. Contrairement à de nombreux autres motocyclistes de la ville, il ne transporte pas de personnes.

« J’effectue le transport des échantillons de crachat, d'urine, de sang ou du pus. Ces échantillons vont être analysés au laboratoire de référence. Les analyses permettent de déterminer si le malade est infecté par le mycobacterium de la tuberculose. J’achemine aussi les résultats des échantillons dans les centres sanitaires », raconte ce père de deux enfants.

Damien Tekou est agent de relais chargé du transport des prélèvements au Groupe Technique de lutte contre la tuberculose dans la Région du Littoral Cameroun.

Pour cet ancien capitaine de l'équipe nationale de cyclisme du Cameroun, ce travail présente plusieurs avantages : « Il facilite la tâche au patient qui est déjà mal en point. Il limite le risque de propagation de la maladie (dans le taxi par exemple, il va tousser), et du mycobacterium de tuberculose », explique-il.

La pandémie a affaibli les stratégies de réponse du pays. De plus, elle accroit le risque de compromettre les progrès réalisés pour éradiquer la tuberculose au Cameroun.

Il fait partie d’une centaine d’agents répartis dans les 10 régions du pays. Ils veillent à la mise en œuvre et à l'application des stratégies de la lutte contre la tuberculose.

L'incidence de la tuberculose au Cameroun en 2021 était d'environ 174 nouveaux cas pour 100 000 habitants. Selon le ministre de la Santé publique du pays, le Dr Malachie Manaouda, la moyenne absolue est de 46 000 nouveaux cas attendus. La mortalité autour de la tuberculose est de 29 cas pour 100 000 habitants. 1189 enfants ont contracté la tuberculose, soit 5,2% des cas notifiés.

Continuer la lutte pendant la pandémie

Le Dr Manaouda s’est exprimé le 24 mars dernier lors d'une conférence de presse tenue à l'occasion de la célébration de la Journée mondiale de la tuberculose, où il a parlé de l’impact de la pandémie de COVID-19 dans la lutte contre la maladie.

Le ministre de la Santé publique observe que la pandémie a affaibli les stratégies de réponse du pays. De plus, elle accroit le risque de compromettre les progrès réalisés pour éradiquer la tuberculose au Cameroun.

« Les ressources nationales ont été réorientées afin de subvenir aux besoins urgents de l'économie profondément touchée, entraînant une réduction de la marge budgétaire nécessaire à des investissements massifs et durables dans le secteur de la santé publique », a-t-il déclaré. Il a cependant élaboré des mesures visant à atténuer l’impact de la pandémie sur la lutte contre la tuberculose.

« Il s’agit, entre autres, de l’intensification de la recherche sur la tuberculose – cette action fait d’ailleurs intervenir la référence de tous les cas présumés de tuberculose et le transport d’échantillons de crachat vers des laboratoires pour un diagnostic rapide », expose-t-il. « Il y a également la prévention de la tuberculose chez les enfants de moins de 5 ans et les personnes vivant avec le VIH ».

Une technicienne au laboratoire de référence dans la région du Littoral du Cameroun prépare des échantillons pour une éventuelle analyse. Crédit: Damien Tekou
Une technicienne au laboratoire de référence dans la région du Littoral du Cameroun prépare des échantillons pour une éventuelle analyse.
Crédit: Damien Tekou

Le projet CETA (Contribuer à l’Elimination de la Tuberculose en Afrique) joue également un rôle majeur. Il s’agit d’un projet qui s’étend sur une période de 5 ans (2019-2024), actuellement mis en œuvre dans huit pays africains (Cameroun, Bénin, Burkina Faso, Guinée, Niger, République Centrafricaine, Sénégal et Togo).

Les trois objectifs spécifiques de ce projet sont : améliorer le dépistage et la prévention de la tuberculose ; améliorer l’offre de soins en l’intégrant davantage au système de santé ; et renforcer la gouvernance des programmes nationaux de lutte contre la tuberculose.

Retour positif des patients

Il faut un délai maximum de 72 heures aux patients pour savoir s'ils sont testés positifs ou non à la tuberculose.

« Souvent, quand on arrive avec le résultat, et que peut-être ce résultat est négatif, les patients sont vraiment fiers. Cette situation est comparable à un élève qui attendait son bulletin après une année scolaire », se rappelle Tekou.

« C’est vrai que mon travail me permet de pouvoir nourrir ma petite famille. Mais c’est aussi une joie de savoir que l’activité que je mène est vraiment importante et capitale pour le dépistage et le suivi rapide des patients. Parfois, quand je vois l’état dans lequel ils sont, je ressens tellement de douleur pour eux ».

« Avec le concours de ces agents de relais communautaires, nous entrons plus rapidement en contact de nos résultats. Et là, on peut savoir si nous sommes déclarés positifs ou négatifs, ensuite, prendre directement le traitement ».

Clarisse Kenmogne, une patiente à Douala qui souffrait d’infections pulmonaires, confirme le rôle capital des agents de relais communautaires.

« Grâce aux concours des agents de relais communautaires, j’ai pu avoir mon résultat après avoir déposé mes crachats » a-t-elle confirmé. « Vraiment, je suis très satisfaite de la rapidité. Car généralement, quand on dépose dans les centres, on nous fait trainer, on nous fait passer par de multiples protocoles. Mais grâce à eux, j’ai pu avoir mes résultats à temps. Je n’ai même pas déboursé un seule centime » se réjouit-elle, quelques minutes après avoir obtenu ses résultats des mains des médecins.

Clarisse Kenmogne garde tout de même un mauvais souvenir des pratiques anciennes. Elle se souvient de la longue période d’attente des résultats des examens, aux conséquences irréversibles. « Beaucoup d'entre nous décédaient », déplore-t-elle.

« Mais avec le concours de ces agents de relais communautaires, nous entrons plus rapidement en contact de nos résultats. Et là, on peut savoir si nous sommes déclarés positifs ou négatifs, ensuite, prendre directement le traitement ».

Selon le Dr Goupeyou Wandji Irène Adeline, Coordonnatrice du Groupe Technique Régional de lutte contre la Tuberculose dans Littoral Cameroun, des mentors sont déployés sur le terrain pour assurer le suivi de transport des échantillons.

« Lorsque le résultat est positif, le mentor rattache le patient à un Centre de diagnostic et de traitement de la tuberculose (CDT) et suit le patient jusqu’à la fin de son traitement », a-t-elle expliqué.

« Le transport des échantillons a un impact positif dans la lutte contre la tuberculose. Par exemple, les patients ne se déplacent plus vers un CDT pour subir un test car il peut être prélevé partout, l’échantillon est acheminé vers un laboratoire ; le test est fait gratuitement et les patients présentant une tuberculose reçoivent gratuitement les médicaments », énumère le Dr Goupeyou Wandji.

« Cette stratégie permet de limiter l’une des difficultés d’accès aux soins qui est la barrière financière ».

Elle ajoute : « Le Cameroun consent de moyens financiers importants pour l’achat et la mise à disposition gratuite des médicaments et pour l’acquisition des appareils pour le diagnostic moléculaire de la TB, tels que les appareils GeneXpert et les machines TB LAMP ».

Aujourd'hui, le pays dispose de 34 machines de GeneXpert et 37 machines TB LAMP pour le diagnostic moléculaire.

« Avec l’appui des partenaires, nous pouvons aller plus loin dans la lutte contre cette maladie. Malheureusement, peu de partenaires s’intéressent à la TB », a conclu le Dr Goupeyou.

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