Questions-réponses : Preventable

Preventable de la professeure Devi Sridhar est un tour d’horizon complet de la pandémie de COVID-19 – ce que nous avons bien fait et, plus important encore, ce que nous avons mal fait. VaccinesWork a parlé à l’autrice des leçons que nous devrions tirer des deux dernières années.

  • 25 avril 2022
  • 9 min de lecture
  • par Assa Samaké-Roman
Page de couverture de "Preventable"
Page de couverture de "Preventable"
 

 

Preventable (Penguin, 2022) est l'un des livres les plus attendus de ce printemps. La professeure Devi Sridhar, titulaire de la chaire de santé publique mondiale à l'Université d'Édimbourg, raconte l'histoire captivante, souvent tragique, de la pandémie de COVID-19, détaillant les succès et les défis rencontrés par les pays du monde entier. Au final, il y a de l'espoir : que nous puissions apprendre de nos erreurs et être mieux préparés lorsque la prochaine pandémie nous frappera.

Il y a une certaine complaisance qui consiste à dire « on n’arrête pas de crier au loup », mais maintenant qu'on a vu que c'est arrivé, je pense qu'on fera mieux la prochaine fois.

Professor Devi Sridhar
Professor Devi Sridhar

Quelle a été la genèse du livre ?

J'étais en train d'écrire un livre avant que le COVID-19 ne frappe. Je voulais écrire sur le monde de la santé animale et la santé humaine. Il y a tellement de choses qui menacent les humains, qu'il s'agisse de la résistance antimicrobienne ou de nouveaux agents pathogènes comme Zika ou la polio, qui proviennent de notre relation avec le règne animal. Puis le COVID-19 est arrivé et tout a été mis sur pause. Donc, je l'ai d'abord converti en un livre académique sur la pandémie, pour les étudiants et les chercheurs, mais ensuite, à mesure que l'intérêt du public grandissait, j'ai pensé que j'essaierais de l'écrire, si je le pouvais, pour le grand public afin que tout le monde puisse comprendre.

Espérons que dans 10 ans, les gens pourront le lire et comprendre ce que nous avons vécu, ce qui s'est passé au cours de ces deux dernières années, ce que différents pays ont fait, comme une documentation de ce qui s'est passé et pourquoi.

Est-il trop tôt pour écrire sur la pandémie, alors que nous la vivons encore ?

Il va y avoir toute une panoplie d'analyses qui sortiront, certaines sont sorties au bout de quelques mois, au bout de quelques années. Le livre nous emmène jusqu'à Omicron, mais aussi aux inégalités vaccinales qu'on a vues alors que de nombreux pays sont laissés de côté, et là où ça se termine vraiment, c'est que cela devient un problème de santé mondiale traditionnel où le monde riche semble avoir laissé la pandémie derrière lui, en utilisant beaucoup de technologies, à travers l'oxygène des hôpitaux, les antiviraux, les vaccins, alors que les pays pauvres sont laissés pour compte parce qu'ils ne sont pas en mesure d'accéder à ceux-ci. C'est l'histoire de la santé mondiale : pensez à la rougeole, pensez à toute une série de maladies. Ce n’est pas qu’avec le COVID.

C'est ma vision de la situation dans laquelle nous sommes actuellement. Mais je suis assez préoccupée par ce que je vois comme le monde riche qui passe à autre chose, comme nous le faisons pour tant de choses, alors qu'il existe une gamme de maladies qui affectent les personnes partout dans le monde auxquelles nous ne pensons tout simplement jamais ici : le paludisme, la tuberculose, le VIH sont des problèmes de santé énormes.

Souffrons-nous d'une perte de mémoire collective en ce qui concerne les pandémies et comment s'y préparer ?

Tout le premier chapitre du livre explique pourquoi nous avons vu cette pandémie arriver et comment nous avons beaucoup d'événements pathologiques. Mais la plupart d'entre eux, comme le MERS, sont contenus au niveau régional ou national. Même le SRAS était limité en termes de dévastation : il n'a pas affecté toutes les parties du monde comme l'a fait le COVID-19. Le SRAS a eu des effets assez graves sur l'Asie de l'Est, mais il n'a pas causé de dévastation au Canada, ni aux États-Unis, ni dans toute l'Afrique. Des endroits qui ont été durement touchés dans le passé, comme la Corée du Sud a été touchée par le MERS ou Hong Kong a été touché par le SRAS, ont plutôt bien réagi parce qu'ils ont compris ce qui allait arriver.

En Afrique, je parle du Sénégal, parce qu'ils avaient de si bonnes structures de santé publique pour répondre à Ebola ou à la poliomyélite. Ils ont juste eu à les convertir en structures pour lutter contre le COVID.

Aux États-Unis, en Grande-Bretagne et dans toute l'Europe, cette mémoire est si courte, puisque nous venons de la vivre. Donc, je pense que c'est différent maintenant parce que le dernier événement équivalent est probablement 1918, et ce souvenir est révolu depuis longtemps. Plus récemment, la grippe porcine était une sorte de quasi-accident parce qu'il y avait toutes les projections selon lesquelles ce serait une pandémie de niveau six qui causerait beaucoup de décès - et cela ne s'est pas produit.

Il y a une certaine complaisance qui consiste à dire « on n’arrête pas de crier au loup », mais maintenant qu'on a vu que c'est arrivé, je pense qu'on fera mieux la prochaine fois. Je pense qu'il y a beaucoup de compréhension maintenant de ce qui peut arriver si on n’est pas prêt.

J'espère donc que cela renouvellera l'urgence de la raison pour laquelle nous faisons la vaccination et pourquoi nous devons la faire dans toutes les régions du monde, car c'est un outil si important.

Dans les pays riches, on a le sentiment que la pandémie est derrière nous. Est-ce que cela va poser problème, du point de vue de la santé mondiale ?

70% d'accès aux vaccins est un objectif que l'Organisation mondiale de la santé (OMS) a déclaré, nous devrions y travailler. Je suis inquiète à l'idée que nous nous arrêtions simplement parce que cela ne ne nous concerne plus trop, au lieu de réaliser que le moment est venu, maintenant que nous avons de la marge de manœuvre, de commencer à interagir avec d'autres parties du monde et de penser également à des choses comme la capacité de fabrication régionale.

Je pense que c'est le genre de conversations que nous devons avoir, au lieu de nous appuyer constamment sur un modèle de charité, qui, nous le savons, a échoué d'une certaine manière, en tant que modèle, parce que les pays riches se sont simplement appropriés de plus en plus l'approvisionnement des doses, surtout lorsque des variants sont arrivées et qu’ils ont dit que nous avions besoin de doses de rappel – et maintenant il semble que nous ayons probablement besoin de rappels en continu. Se contenter d'attendre que cela soit terminé, puis de donner des doses ne sera pas, je pense, une bonne voie à suivre : nous devons penser plus large.

Comment qualifieriez-vous la coopération internationale pendant cette crise sanitaire ?

Je pense qu’elle a été excellente entre les scientifiques et assez médiocre entre les gouvernements. Nous avons vu qu'une grande partie des progrès que nous avons réalisés, en particulier sur le plan scientifique, l'ont été grâce à la collaboration : des scientifiques chinois, travaillant avec des scientifiques australiens, avec des Américains, avec des scientifiques écossais, pour obtenir les produits pour nous tester, pour développer les vaccins. Même dans la course pour un vaccin, ils savaient qu'un seul ne suffirait pas, donc la question n'était pas qui serait le premier à le créer, c'était combien pouvons-nous en avoir.

D'un autre côté, nous avons vu des gouvernements se diviser, sur les équipements de protection, lorsque les États-Unis ont volé des respirateurs en route vers la Barbade ou ont essayé d'acheter tous les droits de propriété intellectuelle pour le Remdesivir et toute l'approvisionnement. On a donc vu des pays se replier sur eux-mêmes et dire : nous allons prendre soin de nous et de notre peuple, ce qui a été un pas en arrière par rapport à la coopération internationale, qu'il s'agisse de l’acquisition de différents produits ou même de la stratégie de réponse à la pandémie. Chaque pays est parti seul et a essayé de faire son propre truc.

Espérez-vous que cette étape de la pandémie sera l'occasion de célébrer la vaccination en général ?

J'espère que oui, car, au moins, je pense que cela attire l'attention sur la raison pour laquelle nous vaccinons, c'est-à-dire pour empêcher les gens de tomber malades et de mourir. Je pense que nous avons oublié cela dans les pays riches. On l’a vu avec la baisse des taux de vaccination contre la rougeole, non pas à cause de l'offre mais à cause de cette idée d'hésitation : les gens pensent qu'ils ne voient pas la rougeole, alors pourquoi avons-nous besoin de nous vacciner contre quelque chose d’invisible ?

J'espère donc que cela renouvellera l'urgence de la raison pour laquelle nous faisons la vaccination et pourquoi nous devons la faire dans toutes les régions du monde, car c'est un outil si important. Mais aussi, et j'essaie de le faire dans mon livre, en expliquant ce qu'est un vaccin. Je pense que beaucoup de gens n'y ont pas pensé : c'est presque comme un entraînement avant la bataille.

Tout le monde aura une opinion sur vous sortez du lot, mais vous ne pouvez pas vous définir en fonction d'eux. Vous vous définissez en fonction du travail que vous faites et de ce en quoi vous croyez.

Mais en même temps, il y a un désir profond de parler d’autre chose que de la santé. Il y a d'autres problèmes urgents, qu'il s'agisse de conflits ou de changements climatiques. Je me demande, parfois, si la santé va simplement reprendre une place d’arrière-plan et les gens oublieront à quel point la vaccination est importante en tant qu'outil principal pour sauver des vies. Les vaccins ont des effets secondaires très rares, mais les effets secondaires d'une maladie sont bien pires.

Pendant la pandémie, vous avez non seulement conseillé les gouvernements, mais vous vous êtes mise en avant, sur les réseaux sociaux, pour éduquer les gens sur la santé publique. Comment s'est passée cette expérience pour vous ?

Au début, il y avait le choix de se mettre en avant ou en retrait, et j'ai choisi de me mettre en avant. Je ne le regrette pas, je pense que c'était un rôle important à jouer, car il y avait tellement d'informations et les gens étaient vraiment confus, alors j'espère que j'ai joué un rôle utile. Mais, bien sûr, dès que vous vous mettez en avant et que votre tête dépasse, vous recevez beaucoup de coups.

Ce n’est pas arrangé par ma franchise, mon sens de l’humour qui ne se transmet pas toujours bien, car bien sûr cela dérange parfois les gens qui ne comprennent. Tout le monde aura une opinion sur vous sortez du lot, mais vous ne pouvez pas vous définir en fonction d'eux. Vous vous définissez en fonction du travail que vous faites et de ce en quoi vous croyez.

Quand je me trompe, je lève la main et le dis. Je parle dans le livre des cas où je me suis trompée, en essayant d'expliquer aux gens à différents moments ce que nous savions et pourquoi nous essayions de prendre certaines décisions à chaque moment. Nous sommes tous humains, nous ne sommes pas des héros, nous ne sommes pas des méchants, nous ne sommes que des personnes et nous essayons de faire de notre mieux. C'est aussi ce que le livre fait à différents moments, pour expliquer à quel point ces problèmes étaient difficiles et comment il n'y avait pas de bonne réponse, juste des compromis.

Qu'est-ce qui vous donne de l'espoir pour l'avenir ?

Je pense aux progrès scientifiques et combien ont été réalisés en si peu de temps. Je me souviens avoir dit au début : imaginez que nous ayons ces tests rapides et que les gens puissent savoir en 10 minutes s'ils sont infectieux. Les gens disaient que c'était de la science-fiction. Et voilà, nous y sommes arrivés, et ils sont incroyablement efficaces pour trouver des personnes contagieuses et obtenir vos résultats rapidement. Les humains ont fait ça !

Et les vaccins aussi. Pensez à la rapidité avec laquelle ils ont été testés pour leur innocuité et leur efficacité, comment ils ont testé différentes doses et combinaisons pour trouver la meilleure, comment ils l'ont fait et l'ont rendu public en moins d'un an. Pour les antiviraux et les autres traitements à l'hôpital, ils soumettaient les gens à des essais en quelques jours pour comprendre ce qui fonctionnait, au lieu de tout leur donner, et examinaient également différentes pilules, pour dire comment empêcher les gens de passer d'une forme bénigne à une forme grave.