Les camps de Borno, autrefois fermés, réouvrent leurs portes pour accueillir les victimes des inondations

Alors que des milliers de personnes dans cet État du nord du Nigeria sont déplacées pour la deuxième fois, les experts affirment qu’il est temps de se concentrer sur le renforcement de la résilience.

  • 17 décembre 2024
  • 9 min de lecture
  • par Jesusegun Alagbe
Dauda Musa, 60 ans, a survécu à Boko Haram. Il affirme qu’il survivra également aux inondations.
Dauda Musa, 60 ans, a survécu à Boko Haram. Il affirme qu’il survivra également aux inondations.
 

 

Dans la nuit du 9 septembre, Musa Bakari, 58 ans, s’est réveillé et a découvert un invité surprise. Son appartement avait été envahi par l’eau, beaucoup d’eau. Il voulait être sûr qu’il ne rêvait pas, alors il a allumé la lumière. Son lit, ses vêtements, ses meubles et ses appareils électroniques étaient tous mouillés.

Dehors, le quartier était calme, alors il a donné l’alerte, réveillant tout le monde. Au milieu de la nuit, ils ont tous emballé les quelques affaires qui pouvaient être sauvées et ont fui.

Au matin, la plupart des quartiers de Maiduguri, la capitale de l’État de Borno, dans le nord-est du Nigeria, avaient été submergés par l’eau, plongeant les habitants dans la panique et le désespoir. Des publications sur les réseaux sociaux ont montré des écoles, des maisons, des terres agricoles, des banques, des hôpitaux et des édifices religieux submergés. Dans certains quartiers de la ville, seuls les toits des bâtiments étaient visibles, émergeant des eaux boueuses.

Musa Bakari et sa famille ont pu s’échapper à temps, mais des milliers de personnes ont été piégées par les eaux de crue jusqu’à ce que les secouristes et les soldats arrivent dans des camions et des canoës pour les récupérer. Mais tout le monde n’a pas pu être secouru immédiatement – certaines victimes ont déclaré être montées dans les arbres et être restées suspendues aux branches pendant des heures.

« Je dormais profondément, mais quelque chose m’a chatouillé et m’a réveillé », se souvient Musa Bakari, un habitant de Fori à Maiduguri, s’adressant à VaccinesWork. « J’ai senti que c’était l’humidité de mon lit. Au début, j’ai pensé que qu’il s’agissait de gouttelettes de pluie, mais quand j’ai regardé à nouveau, j’ai remarqué que l’eau venait d’en dessous. » Plus d’un mois plus tard, Musa Bakari est toujours déplacé, ayant perdu la plupart de ses biens dans les inondations. Il vit maintenant dans le camp de Tashan Bama, l’un des nombreux camps ouverts pour les personnes touchées par les inondations.

« Les inondations nous ont chassés de nos maisons. Ce fut une expérience dévastatrice pour moi et ma famille, car nous avons perdu beaucoup de nos biens, mais au moins nous sommes heureux d’avoir survécu. Nous avons dû marcher pendant environ deux heures pour atteindre le camp », a-t-il déclaré.

Changement climatique, effondrement d’un barrage et dévastation

Selon les autorités gouvernementales, les inondations qui ont frappé l’État de Borno ont été les pires que la ville de Maiduguri ait connues depuis 30 ans. Elles ont été déclenchées à la suite de l’effondrement du barrage d’Alau, situé à Konduga, à quelques kilomètres de la capitale.

Le barrage a été construit entre 1984 et 1986 afin de fournir de l’eau pour l’irrigation et à des fins domestiques aux habitants de Maiduguri, ainsi que pour aider à contrôler les inondations de la rivière Ngadda, qui connaît parfois des apports excessifs provenant des sources d’eau qui remontent vers le vaste lac Tchad.

Selon les autorités, le barrage s’est effondré en raison d’un débordement, à la suite de l’intensification des précipitations due au changement climatique. À la fin du mois de septembre, les inondations avaient fait 37 morts, 58 blessés, plus de 400 000 habitants avaient été déplacés et plus d’un million de personnes avaient été touchées d’une façon ou d’une autre. La prison avait elle aussi été touchée, ce qui a conduit à une évasion, et les dommages causés par les inondations au zoo du parc Sanda Kyarimi ont entraîné la mort ou l’évasion de 80 % des animaux sauvages qui y étaient hébergés.

« Le changement climatique est là pour rester, mais nous pouvons réduire son impact si nous, à savoir le gouvernement et les personnes, prenons les mesures nécessaires. »

- Professeur Abel Adebayo, scientifique spécialiste du changement climatique

Les inondations ne sont pas inhabituelles dans l’État de Borno. Cependant, le phénomène s’aggrave année après année en raison des effets du changement climatique, a déclaré le professeur Abel Adebayo, chercheur spécialiste du changement climatique à l’Université de technologie Modibbo Adama, à Yola, dans l’État d’Adamawa, dans le nord-est du Nigeria.

« Les catastrophes environnementales à l’instar des [récentes] inondations sont le résultat du changement climatique, et il existe deux réponses au phénomène : soit nous pouvons l’atténuer, soit nous devons nous y adapter. L’atténuation permet d’empêcher qu’un événement ne se produise ou en minimise les effets, mais lorsqu’un événement se produit effectivement, il faut chercher des moyens de s’adapter », a déclaré Abel Adebayo.

« Il existe toutefois une composante humaine dans de tels événements. Par exemple, les projets autour des berges des rivières ou des plaines inondables sont désormais monnaie courante. Il est choquant de voir que des bâtiments résidentiels et commerciaux sont construits autour des plaines inondables. De plus, dans de nombreux centres urbains du Nigeria, les égouts sont obstrués et ne sont pas correctement entretenus par les ménages et les communautés. La déforestation aveugle présente également un réel problème : les arbres situés le long des berges des rivières et dans les forêts sont abattus pour ouvrir la voie au développement immobilier ou à la production de charbon de bois. Ce sont des activités humaines qui aggravent ou déclenchent les catastrophes liées au changement climatique. »

À nouveau déplacés

L’État de Borno, épicentre de l’insurrection de Boko Haram dans le nord du Nigeria, est parsemé de camps de personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays depuis des années. Mais en 2019, le gouverneur de l’État, Babagana Zulum, a commencé à fermer des camps et à encourager les habitants à rentrer chez eux. Seuls quatre camps auraient été maintenus en activité.

L’objectif était de redorer l’image de l’État de Borno, en la faisant passer de celle d’un lieu meurtri par les conflits à celle d’un centre de développement économique et social. Babagana Zulum a confié qu’il craignait que les camps ne deviennent des bidonvilles permanents.

Cependant, lorsque la dernière catastrophe a frappé, le gouvernement de l’État a été obligé de réouvrir des camps qui avaient été fermés pour accueillir une nouvelle vague de résidents déplacés – cette fois chassés de leurs foyers par un autre type de menace.

Musa Bakari fait partie des centaines de milliers de personnes qui entament un deuxième séjour dans un camp de personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays.

« Je n’arrive pas à me faire à l’idée que cela arrive à nouveau. Cela me rappelle les tristes souvenirs de ma vie en tant que personne déplacée à l’intérieur de mon propre pays à Dalori pour échapper aux horreurs de Boko Haram. Je n’aurais jamais imaginé me retrouver à nouveau dans un camp de personnes déplacées, mais les inondations ont ravivé les souvenirs de Boko Haram. Je ne souhaite pas rester ici longtemps, mais ayant perdu la plupart de mes biens à cause des inondations, mes espoirs semblent anéantis », a déclaré Musa Bakari. « Mais je sais que nous rebondirons comme nous l’avons fait après Boko Haram », a-t-il ajouté.

« Vivre et travailler dans le camp n’est pas quelque chose qui me procure de la joie parce que je le perçois peut-être comme un symbole d’impuissance », a poursuivi Musa. « Certains d’entre nous essayaient de reprendre leur vie en main après s’être réinstallés. Je ne m’attendais pas à retourner dans un camp. C’est frustrant de vivre une telle situation. Beaucoup de personnes ici étaient comme moi. Elles étaient en train de reprendre leur vie en mains, mais les inondations les ont laissées une fois de plus dévastées. »

Bukar Babagana, 40 ans, agent de sécurité au camp de Tashan Bama, est également déçu de devoir à nouveau ouvrir un chapitre qu’il croyait clos.

« Nous venions tout juste de nous réinstaller dans nos communautés et personne ne s’attendait à revenir vivre ou travailler dans un camp de personnes déplacées. Mais nous sommes là. Mon travail consiste à protéger la vie et les biens des personnes. Bien que ce ne soit pas ce que nous voulions, je crois que cette phase se terminera rapidement et ne se prolongera pas, comme ce fut le cas avec l’insurrection de Boko Haram lorsque nous avons vécu dans des camps pendant des années », a-t-il déclaré à VaccinesWork.

Daudu Musa, 60 ans, a qualifié « d’inimaginable » le fait de se retrouver à nouveau dans un camp de personnes déplacées.

« La situation est pathétique. Imaginez que vous quittiez votre maison et vos biens en raison de circonstances imprévues, des inondations par exemple, pour vous retrouver dans un endroit qui n’est pas confortable. Cela fait plus d’un mois que je suis dans ce camp, sans espoir de rentrer chez moi, car j’ai perdu tout ce que je possédais à cause des inondations. La question que je ne cesse de me poser est la suivante : par où vais-je commencer ? » raconte-t-il. « Toutefois, en réfléchissant à la façon dont nous avons survécu à Boko Haram et reconstruit nos vies, j’ai bon espoir que nous les reconstruirons à nouveau après cet épisode. »

Hawau Idris, 45 ans, une habitante du vieux Maiduguri, a également déclaré à VaccinesWork qu’elle se sentait « mal à l’aise » dans le camp. « Parfois, je reste des jours sans aller aux toilettes parce que j'ai peur de contracter des infections », a-t-elle expliqué. « Je reste optimiste, cependant, et je pense que les choses reviendront à la normale et que nous quitterons à nouveau ce camp pour reprendre le cours de notre vie. »

Hauwa Idris, 45, can't wait to return to her normal life.
Hauwa Idris, 45 ans, a hâte de reprendre une vie normale.

Aide d’urgence

Depuis septembre, plusieurs organisations humanitaires locales et internationales, les pouvoirs publics aux niveaux fédéral et de l’État, des pays étrangers, l’armée, les entreprises et les particuliers se sont montrés à la hauteur de la situation en apportant une aide alimentaire et d’autres formes de soutien matériel aux victimes des inondations.

Le Bureau des Nations Unies pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA, pour Office for the Coordination of Humanitarian Affairs) a toutefois déclaré dans un rapport d’évaluation que l’insuffisance des fonds limitait l’ampleur du soutien apporté. En date du 29 octobre, l’OCHA a déclaré que la réponse aux inondations et le Plan d’intervention humanitaire pour le nord-est du Nigéria restaient massivement sous-financés, affirmant que le plan avait reçu environ 517 millions de dollars US sur les 926 millions de dollars US nécessaires.

« À long terme, il est essentiel de s’attaquer également aux causes sous-jacentes de la vulnérabilité et d’aider à renforcer la résilience [des populations] face aux chocs climatiques, par exemple en investissant dans des systèmes d’alerte précoce, en renforçant les infrastructures vieillissantes et en limitant la construction dans les zones sujettes aux inondations », a déclaré Zinta Zommers, responsable des sciences et de la pratique climatiques à l’OCHA, dans le rapport.

Contrôler les épidémies

La santé publique est l’un des principaux aspects de l’adaptation climatique, à savoir du renforcement de la résilience. Les camps sont des environnements propices aux épidémies, et ce risque est d’autant plus élevé en cas d’inondations, qui sont susceptibles d’entraîner la transmission de maladies d’origine hydrique et vectorielle.

Pour compliquer les choses, les infrastructures de soins de santé vitales ont été touchées. À Borno, l’entrepôt frigorifique de l’État – un point de transit vital pour les vaccins entrant dans l’État – a été inondé dans la nuit du 10 septembre. Plus de 25 établissements de soins de santé primaires ont été endommagés et ont été contraints de suspendre leurs services.

Mais face aux épidémies qui menaçaient, des organisations locales et internationales comme l’UNICEF et l’OMS ont travaillé rapidement pour fournir des vaccins aux plus vulnérables. Le 19 septembre, l’UNICEF était en mesure d’annoncer que les services de vaccination, assurés par une alliance diversifiée de partenaires, étaient opérationnels dans onze camps, avec 1,1 million de doses de vaccins d’ores et déjà distribuées pour se protéger contre une propagation diverse d’agents pathogènes.

Dauda Muhammad, responsable de la gestion des catastrophes au sein de la Croix-Rouge au Nigeria – un important fournisseur de secours médical dans les camps de personnes déplacées de Borno – a déclaré à VaccinesWork : « Les populations sont confrontées à de nombreux défis, en particulier à des problèmes de santé. Elles sont exposées à des maladies à la suite des inondations, et c’est la raison pour laquelle nous avons déployé notre personnel de santé dans différents camps pour fournir des services médicaux aux personnes déplacées. »

Le choléra est un exemple d’une telle maladie, et les cas ont augmenté dans les États du nord de Borno, d’Adamawa, de Jigawa, de Yobe et de Kano depuis les inondations. Mais l’UNICEF a indiqué avoir livré plus de 600 000 doses de vaccins contre le choléra financés par Gavi au gouvernement de l’État de Borno pour atténuer cette propagation, en particulier dans les camps de personnes déplacées.

Prévenir les futures inondations

Abel Adebayo, scientifique spécialiste du changement climatique à l’Université de technologie Modibbo Adama de Yola, a déclaré qu’il était temps d’agir pour minimiser les effets des catastrophes liées au changement climatique telles que les inondations.

« Chaque année, l’Agence des services hydrologiques du Nigeria (NIHSA, pour Nigeria Hydrological Services Agency) prévoit des événements tels que des inondations pour chaque zone du gouvernement local du pays, et les prévisions ont toujours été exactes dans une large mesure. Grâce à ces informations, chaque gouvernement local ou au niveau de l’État a la possibilité de se préparer à l’avance pour prévenir ou minimiser les inondations », a déclaré Abel Adebayo.

« En ce qui concerne les inondations, l’intégrité des barrages devrait être vérifiée régulièrement, et de nouveaux barrages devraient être construits pour retenir l’excès d’eau et empêcher l’inondation des maisons. Par exemple, si le barrage d’Alau avait été correctement entretenu, les effets de l’inondation de Borno n’auraient pas été dramatiques. Le changement climatique s’est installé, mais nous pouvons réduire son impact si nous, à savoir le gouvernement et les personnes, prenons les mesures nécessaires. »