Les écoles sénégalaises mobilisées contre le VPH

Au Sénégal, la vaccination contre le papillomavirus est intégrée dans le programme de vaccination de routine depuis octobre 2018, et elle est gratuite. Cette avancée est cruciale dans la lutte contre ce virus, première cause de mortalité par cancer chez les femmes dans le pays. Pour étendre la couverture vaccinale, des séances de vaccination sont maintenant organisées dans le tissu social, notamment dans les écoles, ciblant les filles de 9 à 15 ans.

  • 4 juillet 2024
  • 7 min de lecture
  • par Clémence Cluzel
Kady Diaw, infirmière responsable de la vaccination, injecte la première dose du vaccin contre le VPH à une écolière de 9 ans, dans le quartier de Yoff à Dakar. Crédit : Clémence Cluzel
Kady Diaw, infirmière responsable de la vaccination, injecte la première dose du vaccin contre le VPH à une écolière de 9 ans, dans le quartier de Yoff à Dakar. Crédit : Clémence Cluzel
 

 

Accompagnée de deux collègues et d'une bajenu gox (une marraine de quartier et agent communautaire), Khady Diaw, infirmière responsable de la vaccination au poste de santé Seydina Madione Laye à Yoff, un quartier de Dakar, se dirige vers l'école primaire 2 Diamalaye. À une semaine des grandes vacances estivales, elles viennent effectuer une session de vaccination de routine auprès des jeunes écolières, âgées d'au moins 9 ans. Dans sa glacière, elles ont des seringues et des flacons de Gardasil, un vaccin contre le virus du papillome humain (VPH), principal responsable du cancer du col de l'utérus dans le monde.

L'école 2 a rejoint en 2023 les campagnes de vaccination contre ce cancer, organisées plusieurs fois par an dans les écoles, les institutions religieuses et les structures de santé, visant à étendre la couverture vaccinale dans le pays. « La santé est une priorité, et la vaccination a un impact positif, car elle évite les absences prolongées en raison de maladies », déclare Malick Dieng, directeur de l'école.

Premier pays d’Afrique de l’Ouest à introduire le vaccin contre le VPH dans son programme de vaccination systématique le 31 octobre 2018, le Sénégal a bénéficié du soutien de Gavi, l’Alliance du Vaccin pour ce déploiement.

Dans la salle des professeurs, les quatre femmes commencent leur préparation. Tandis que la bajenu gox déballe les seringues, les infirmières remplissent les petits carnets roses de vaccination avec les noms des fillettes, la date du vaccin et le nombre de doses. Préalablement, Safietou Sy, enseignante en CP, a identifié 50 fillettes réparties du CE1 au CM2 dont les parents ont donné leur autorisation pour la vaccination. « Nous en parlons en classe pour expliquer le vaccin, et nous comptons sur les enfants pour transmettre les informations aux parents », explique-t-elle.

L'équipe composée de trois infirmières et d'une bajenu gox arrivent à l'école 2 de Diamalaye pour la vaccination contre le VPH.
Crédit : Clémence Cluzel

Devant la porte, les élèves de CE1 attendent pour recevoir leur première dose. Le rituel des piqûres commence : certains visages se crispent, des « aïe » s'échappent, et une enfant fond en larmes, refusant la piqûre pendant quelques minutes. À chaque passage, le carnet rose est remis à l'élève, tandis qu'une infirmière complète son registre de vaccination. « Nous notons le numéro de vaccination, le nom, l'adresse et le numéro de téléphone. Le poste de santé transmet ces informations à la bajenu gox, qui peut ensuite effectuer une visite à domicile ou appeler les parents pour la deuxième dose », rapporte l'une des infirmières.

Programme élargi de vaccination

Premier pays d’Afrique de l’Ouest à introduire le vaccin contre le VPH dans son programme de vaccination systématique le 31 octobre 2018, le Sénégal a bénéficié du soutien de Gavi, l’Alliance du Vaccin pour ce déploiement. « Nous avons réalisé une phase test en 2014 dans trois districts, ce qui nous a permis de vacciner environ 50 000 fillettes de 9 ans », explique le Dr Ousseynou Badiane, coordonnateur du programme élargi de vaccination.

Cette phase a ensuite été étendue en ciblant particulièrement les filles scolarisées, grâce à une collaboration entre le ministère de la Santé et celui de l'Éducation. Désormais, les responsables d'établissements scolaires, religieux et les professionnels de la santé travaillent en étroite coopération.

Les écoles ont été spécifiquement ciblées car elles facilitent les rassemblements, permettant ainsi une couverture vaccinale plus large. « Plus les enfants sont vaccinées tôt, plus le vaccin est efficace, conformément aux recommandations de l'OMS. L'objectif est d'assurer une prévention primaire en protégeant les enfants avant qu'ils ne soient exposés au virus HPV », souligne-t-il. Ainsi, le programme de vaccination vise les filles de 9 à 15 ans (avec une possibilité de rattrapage) et se compose de deux doses administrées à six mois d'intervalle minimum.

Au Sénégal, le cancer du col de l'utérus est une tragédie, étant la principale cause de décès par cancer chez les femmes. Chaque année, plus de 1 200 femmes succombent à cette maladie dans le pays, plaçant le Sénégal parmi les 20 pays ayant les taux de ce cancer les plus élevés au monde.

En 2019, la couverture vaccinale pour la première dose s'élevait à 93 % sur le territoire, malgré l'apparition précoce d'obstacles. « Le lobby anti-vaccin a eu un impact sur la perception des gens, et nous avons été confrontés à une campagne de désinformation », explique le Dr Badiane.

Le Dr Badiane insiste : « Une femme infectée par le virus développe généralement un cancer environ 20 ans plus tard. La mortalité associée est très élevée ». Environ 30 % des décès par cancer au Sénégal sont imputables au cancer du col de l'utérus (chiffres de 2022). Pourtant, ce cancer est évitable avec un dépistage précoce et une vaccination préventive.

En intégrant ce vaccin dans son programme élargi de vaccination, le gouvernement sénégalais en a bien saisi l'importance. « Nous visons les objectifs de l'OMS pour 2030, soit une couverture vaccinale de 90 % contre le VPH, un taux de dépistage de 70 % et un taux de traitement de 90 % », ajoute le Dr Badiane.

Des réticences persistantes

En 2019, la couverture vaccinale pour la première dose s'élevait à 93 % sur le territoire, malgré l'apparition précoce d'obstacles. « Le lobby anti-vaccin a eu un impact sur la perception des gens, et nous avons été confrontés à une campagne de désinformation », explique le Dr Badiane.

Rokhaya Barro Mbengue, responsable du poste de santé Seydina Madione Laye à Yoff, se souvient des rumeurs amplifiées sur les réseaux sociaux en 2020 : les vaccins pourraient réduire ou empêcher la fertilité, ils ne seraient pas sûrs... La période de la COVID-19 a exacerbé la méfiance et interrompu la vaccination contre le VPH. « Certains directeurs d'école refusaient d'organiser des séances de vaccination », rappelle-t-elle.

Initialement, aucune autorisation parentale n'était requise pour vacciner les élèves, ce qui a contribué à tendre davantage les relations au sein des communautés. Face à une opposition croissante, de nombreuses initiatives ont été lancées depuis octobre 2022 pour relancer la vaccination. Désormais, le consentement des parents est nécessaire pour les vaccinations dans les établissements scolaires.

Avant la vaccination des fillettes, l'équipe prépare les carnets de vaccination ainsi que les vaccins à injecter.
Crédit : Clémence Cluzel

Malgré cela, les réticences persistent : en 2022, la couverture pour la première dose n'a pas dépassé 50 %. Sur 80 demandes soumises, Mme Sy a essuyé 30 refus avant la séance de vaccination. Khady Diaw se rappelle avoir vacciné une fillette de 10 ans, informée sur le vaccin et avec l'accord de sa mère, malgré l'opposition de son père. La fillette a dû cacher son carnet de vaccination par la suite. « Il faut beaucoup de temps pour obtenir les autorisations parentales, ce qui retarde la vaccination et complique l'administration de la deuxième dose », précise-t-elle.

À l'école 2, la plupart des filles nécessitant une deuxième dose doivent attendre jusqu'à mi-juillet pour respecter l'intervalle de six mois entre les doses. Cela coïncide souvent avec les vacances scolaires et les examens, ce qui rend l'organisation très complexe. « Nous essayons surtout de garantir la vaccination de la première dose avant les vacances. Les filles pourront recevoir la deuxième dose à la rentrée », explique l'infirmière.

Pour les élèves qui passeront au collège l'année suivante dans un autre établissement, il existe un risque élevé de ne pas être entièrement vaccinées. L'intervalle de six mois entre les doses constitue donc un obstacle majeur à l'achèvement du schéma de vaccination complet.

En 2022, la couverture vaccinale pour le VPH était estimée à 25 % selon l'OMS et l'UNICEF. « Il est difficile de suivre les enfants vaccinés : beaucoup oublient, et les mouvements de population compliquent le suivi, tout comme les enfants qui quittent l'école », explique Mme Barro Mbengue. Les agents communautaires, les bajenu gox, jouent alors un rôle crucial pour assurer un suivi efficace.


Suivez l'autrice sur Twitter : @ClemenceCluzel