Pour une souveraineté vaccinale en Afrique : l’Institut Pasteur de Dakar monte au créneau

L’Institut Pasteur de Dakar a annoncé la production prochaine de vaccins contre la rougeole et la rubéole, pour fournir le continent en vaccins abordables et permettre un meilleur accès. Avec la COVID-19 et le difficile approvisionnement en vaccins, la question de la souveraineté vaccinale est plus que jamais d’actualité et encourage les initiatives dans ce sens en Afrique.

  • 5 décembre 2022
  • 5 min de lecture
  • par Clémence Cluzel
Une scientifique au laboratoire de l'Institut Pasteur de Dakar. Crédit : Gates Archive / Carmen Abd Ali
Une scientifique au laboratoire de l'Institut Pasteur de Dakar. Crédit : Gates Archive / Carmen Abd Ali
 

 

En octobre, l’Institut Pasteur de Dakar (IPD) au Sénégal annonçait la mise en place prochaine d’un nouveau programme de production du vaccin contre la rubéole et la rougeole. Les doses produites serviront lors de campagnes de vaccination systématiques sur le continent – et dans le monde – ainsi qu’en cas de flambées épidémiques. Une nécessité, d’autant qu’on observe une nouvelle épidémie mondiale de rougeole et rubéole, résultant des retards et arrêts des campagnes de vaccination dus à la COVID-19. Entre janvier et mars 2022, il y a ainsi eu une hausse de 400% de cas sur le continent africain. « Il n'y a que deux producteurs mondiaux du vaccin. A cela s’ajoute la forte demande, qui provoque la rupture des stocks. En fabriquant ce vaccin, l’IPD deviendrait le troisième producteur, le premier en Afrique. Au-delà d’un meilleur accès, le coût du vaccin diminuerait également » rapporte la Dr Marie-Angélique Sene, en charge de développer ce vaccin au sein de l’IPD.

Dr Amadou Alpha Sall
Dr Amadou Alpha Sall
Crédit : Gates Archive / Carmen Abd Ali

Pour le Dr Amadou Alpha Sall, administrateur général de l’IPD, « en fabriquant des vaccins et des diagnostics abordables contre la rougeole et la rubéole en Afrique, la région fera un pas de plus vers un paysage de fabrication diversifié pour la préparation aux épidémies et l’amélioration de la chaîne d’approvisionnement en vaccins essentiels pour la vaccination systématique ».

Une expertise acquise avec la fièvre jaune

Fondé en 1896, l’IPD possède une expertise mondialement reconnue avec la découverte de la fièvre jaune (en 1927) et la production dès 1937 d’un vaccin, faisant de cet institut l’un des quatre producteurs mondiaux certifiés par l’OMS. Mais le nombre de doses produites restent là encore insuffisant face à la forte demande et à la recrudescence de la maladie. Le projet AfricAmaril ambitionne ainsi d’augmenter la capacité de production pour combler le déficit : de 5 à 8 millions de doses annuelles produites, la production doit être multipliée par 3 à 6 fois à compter de 2024. Un objectif qui s’inscrit dans le vaste programme de l’institut lancé en 2021 : un vaccinopole, situé à Diamniadio (environ 30km de Dakar).

« La COVID a accéléré les réflexions sur la sécurité sanitaire du continent. Nous avons besoin de développer notre capacité locale pour nos besoins domestiques. La souveraineté vaccinale est essentielle car le manque de vaccin réduit le développement de nos pays et se répercute sur le capital humain. »

Le projet MADIBA (Manufacturing in Africa for Disease Immunization and Building Autonomy) doit ainsi produire des vaccins dès l’année prochaine. Axé sur la production de vaccins contre la COVID-19 – d’autres vaccins étaient également prévus-, les objectifs du centre régional ont depuis été réajustés. « La longue expérience de l’IPD avec la fièvre jaune prouve ses capacités pour étendre ses compétences sur d’autres maladies » souligne le Dr Ousmane Faye, responsable du pôle virologie.

Développer l’autonomie vaccinale africaine

99% des vaccins utilisés en Afrique sont importés, notamment dans le cadre du programme élargi de vaccination (PEV) pour permettre la vaccination des enfants à des prix raisonnables. Les obstacles - approvisionnement, conservation et distribution mais aussi coût des vaccins, ressources humaines et infrastructures – persistent. La pandémie de COVID-19 a cependant accentué une prise de conscience de cette dépendance.

Labo IPD
La laboratoire de l'Institut Pasteur de Dakar.
Crédit : Gates Archive / Carmen Abd Ali

« La pandémie a montré que les pays privilégient leur propre population et priorisent leurs besoins. C’est compréhensible mais cela met en péril les populations qui n’y ont pas accès. La COVID a accéléré les réflexions sur la sécurité sanitaire du continent. Nous avons besoin de développer notre capacité locale pour nos besoins domestiques. La souveraineté vaccinale est essentielle car le manque de vaccin réduit le développement de nos pays et se répercute sur le capital humain » explique-t-il. Meilleur accès, prix concurrentiels mais aussi plus de ruptures de stocks et plus large couverture des zones… Autant d’atouts dans la lutte contre les épidémies et maladies. Habituellement tributaire des dons et importations, l’Afrique souhaite renforcer ses capacités pour lutter contre de futures pandémies tout en répondant aux besoins de vaccination qui sont constants. Le Sénégal a fixé un objectif de 50% de la production locale de produits bio-pharma (vaccins, traitements, etc.) d’ici 2035 tandis que l’Union Africaine mise sur 60% de vaccins produits localement d’ici 2040. « En protégeant les pays pauvres, on protège aussi les pays riches des menaces épidémiques » rappelle le Dr Sall.

Problématiques locales

« Certaines épidémies ne sont visibles que sur le continent comme la dengue, la fièvre de Lassa, la fièvre hémorragique du Congo. Ces maladies sont repérées mais les vaccins n’existent pas » argumente la Dr Sene. « Ces maladies du continent ne font pas partie des préoccupations des laboratoires occidentaux. Nous ne devons pas attendre d’être pris en charge : il nous faut penser à nos intérêts pour résoudre nos problématiques », assure le Dr Faye pour qui la production locale doit être accompagnée d’un appui à la recherche. Selon Dr Amadou Alpha Sall, « la production locale peut aussi contribuer à bâtir une confiance avec les populations », alors que les préjugés sur les vaccins occidentaux persistent. Les possibilités de production de vaccins sont nombreuses pour arriver à la souveraineté vaccinale.

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